À la question posée, Jean Forest offre une réponse au moins double : Bible et psychanalyse se rejoignent dans la dure lutte menée par le signifiant contre l’imaginaire, mais empruntent des voies divergentes lorsqu’elles rencontrent la foi. Il faut, pour y voir clair, entendre l’hypothèse majeure de l’ouvrage, offerte comme en supplément dans l’après-propos, à savoir que le livre – l’auteur s’intéresse surtout au Nouveau Testament, plus particulièrement aux Évangiles – viendrait servir de relais à l’analyse, en ceci qu’il contiendrait à l’horizon de ses signifiants le signifiant/chaînon manquant : YHWH, « seul message » (je souligne), « signifiant parfait », « pur signifiant », « pur objet du désir… mais à la condition que la foi lui donne ce statut ». Bon, voilà tout un nettoyage, dira-t-on…, d’autant plus qu’une impressionnante surprise nous attend – moi du moins, néophyte convaincu – dans la postface en forme d’adresse à Bernard Dubourg, grand chasseur de signifiant littéral.
De quoi s’agit-il ? Oups ! Pardon ! Ceci plutôt : comment ça fonctionne ? On réaffirme d’abord le fait, heureusement incontournable…, que le signifié est de l’ordre de l’imaginaire tandis que le signifiant est de l’ordre du symbolique. Et puis quoi encore ? Partant du principe que la Bible nous est parvenue de seconde main et qu’on ne sait guère qui parle dans cette histoire (n’est-ce pas là le propre de la littérature, comme le prouve, tiens au hasard, Balzac ou Zola), il y a là une perte « irrémédiable » : pas de signifié d’origine, celui supposé tel voilé à jamais. Jean Forest creuse un peu et voit bien que les choses sont plus sérieuses : comment lire un texte dans lequel des Sémites parlent le grec !? La traduction, la traduction, Messieurs Dames ! Tous ces problèmes, fort connus des spécialistes, ne sont pas ce qui rend le propos de Jean Forest productif. La raison est ailleurs.
Reprenons avec l’auteur au moment où Bernard Dubourg montre que la langue, concrète, de la Bible est l’hébreu, et non le grec. Dans cette perspective, et dans celle de Lacan, c’est la logique signifiante de cette langue qui intéresse. Une éthique du texte et de la vie se dessine, entée aux trois codes cabalistiques (gématrie, themoura et notarique) : « C’est une passion pour la production narrative, le sentiment que le sens de la vie en dépend : lire, écrire la parole de YHWH. L’entendre de toutes ses oreilles. » Plaisir du geste et des nombres qui puise sa sagesse dans l’incroyable coffre aux trésors des noms et des équivalences.
Bible et psychanalyse… si celle-ci ne se réduit pas à Lacan. Car chez Forest (dont l’ouvrage, opulent, mérite sans contredit une attentive lecture), pas de problème : l’Homme, « cela inclut bien sûr la Femme », de même que le « passage de la mère au père est notre résurrection, quand elle se produit. » Pardon ? Quelques pages plus loin : « L’Un n’existe pas. Il suscite immédiatement l’autre ! » Et puis, j’allais oublier : il me semble, quoi qu’on en dise, qu’il ne suffit pas à l’Homme (et la femme ?) de parler pour être. La vie n’est pas que du signifiant. Non plus que la Bible et l’analyse.