C’est par la fin de ce recueil que ceux et celles qui ne connaissent pas l’œuvre de Pierre Chatillon pourraient commencer. « Hommage à mon maître » dit en effet tout ce qui compte pour le lire. Ce seigneur, c’est le lac Saint-Pierre, lieu physique d’émergence d’un dire parfois de fer comme une lance, parfois de rêves de douceur tenace enveloppant dans un bouquet d’étamines tendues les amants des ondes et des mondes. Couplé à l’eau, le soleil, « symbole de l’Absolu », Roi de sa puissance aveuglante et réchauffante, accepte de se laisser saisir un moment par le poème. Réunissant des poèmes d’amour écrits sur une période de quarante ans (de 1958 à 1998), l’anthologie de Pierre Chatillon assume ainsi clairement la Nature dans son horizon à la fois cosmique et humain. Les éléments s’imposent sans paralyser la voix ou bloquer les libations. Un dépouillement que je nommerais l’honnêteté du désir. Homme, je respecte celui pour qui la vue d’une nymphe élabore chacune des fibres.
Après trois courtes sections où le poète esquisse, comme humblement replié dans ce qu’il appelle le « château fort du feu », des mouvements oscillant entre l’évanescence et la gravité, un foyer de lumière surgit d’entre les femmes, les chairs, des nudités gracieuses et denses. Des anges s’élèvent, tordant les glaces de l’inconscience, luttant contre le froid de la mort blanche. Bouches, lèvres et cuisses, vulves et phallus se rencontrent au détour d’une sensualité délicate et d’un érotisme qui éclôt par la fraîcheur de la parole. Sans romantisme aucun, je ne peux pas ne pas penser à Éluard ou, écoutant la voix qui parle, au faune de Rimbaud, guettant entre les feuilles la rivière rose du sang. Passion simple des corps. L’amoureuse s’offre multiple : elle est tout aussi bien brume d’automne que jour de mai, fille aux yeux verts que femme aux yeux noirs, toujours cependant feuille tatouée dont la force vient de ce qu’elle peut « nier l’hiver », cercueil d’oubli crevé par le rire et le plaisir et la joie d’énoncer l’alliance : « de long en large sur les murs de l’univers / j’écris AMOUR AMOUR AMOUR ». Se noyer sans se perdre tout en jouissant de la présence drue et éclatante des ailes de papillon, voilà l’acte auquel invite Pierre Chatillon.