Vous connaissez sans doute ce « parent ». Ayant adopté un petit, il force la dépendance affective chez son protégé, si bien que celui-ci supporte difficilement d’être séparé de son protecteur. Forcé bientôt de concilier ce rôle avec celui de travailleur, le « parent » abandonne son petit durant des journées entières, le laissant seul et cloîtré entre les murs d’une pièce devenue prison. Bien sûr, le petit angoisse, souffre et pleure à fendre l’âme. Les voisins se plaignent et le parent alerté appelle vite à la rescousse le médecin de son bébé adoré. Grâce à la complaisance du bon docteur, l’enfant n’incommode plus les voisins par ses cris : on lui a retiré les cordes vocales pour le rendre muet. Dans ce scénario d’horreur, vous l’aurez compris, le petit dont il est question est un animal domestique, probablement un chien ou un chat rendu anxieux par les absences de son maître-parent qui ne s’en occupe que lorsque bon lui semble. Tout au long de son essai, le vétérinaire réorienté et chasseur repenti Charles Danten se livre à une analyse exhaustive du sort que l’on réserve à ces petits êtres dont nous sommes naïvement et très superficiellement épris. Bon nombre de gens refusent le statut de pet à leur animal, préférant voir en lui un bébé à gâter et se percevant probablement eux-mêmes comme des maîtres éclairés. Or, Charles Danten s’applique à prouver que très peu de gens aiment véritablement les animaux et connaissent leurs besoins. Et encore moins de personnes s’efforcent de satisfaire ces besoins sans les déformer par l’expression des leurs. L’apprentissage de la propreté, la marche au pas, l’inhibition de la sexualité, de l’expression vocale, la suppression des traits forts du caractère, quand ce n’est pas carrément celle des traits physiques indésirables (poils, queue, oreilles que l’on taille), sont autant de violences faites à ces animaux que nous ne savons que dénaturer et pervertir.
Loin de se limiter à la psychologie de la bête et du maître, Charles Danten lève le voile sur les abus mercantiles de la médecine vétérinaire et de l’industrie des aliments et articles pour animaux familiers. Il nous entraîne dans les coulisses du sombre trafic des animaux exotiques, dont jusqu’à 90 % des représentants meurent durant leur transport, faute de soins adéquats. Il aborde aussi les ennuis provoqués chez les humains par les zoonoses et les comportements aberrants d’animaux rendus à moitié fous par l’homme.
Je me suis dit : voilà enfin un livre douloureux mais nécessaire sur un type d’abus méconnu. Mais comme il fallait s’y attendre, ce pamphlet vitriolique a fait des vagues et plusieurs ont dénoncé Charles Danten : trop alarmiste, mal informé, ont-ils clamé. N’en croyez rien. Oh ! le lecteur attentif dénichera bien deux ou trois coquilles typographiques voisinant une assertion douteuse qui affaiblissent la charge de ces trois cents et quelques pages. Pour le reste, on ne peut être que profondément troublé par les révélations du Dr Danten tant elles sont bien documentées et dérangeantes. Les souffrances dont l’animal ne peut témoigner, Charles Danten les exhibe à la face de tous, laissant à chacun le fardeau de faire son examen de conscience. Pas surprenant qu’on ait voulu le museler, lui aussi…