Paulo Coelho est aujourd’hui l’auteur brésilien le plus connu au monde, bien plus en tout cas que ses idoles Borges et Castaneda. Pourtant, les spécialistes de littérature l’abhorrent (pour la plupart sans l’avoir lu) et je n’en connais pas un qui ait proposé un de ses ouvrages dans son corpus. La beauté de l’histoire, c’est que, pour une fois, universitaires et lecteurs ordinaires ont raison : si l’on considère qu’une œuvre dite littéraire travaille inévitablement sur la littérarité, on comprend que notre homme soit absent des programmes d’enseignement ; si, par ailleurs, l’on croit que le peuple — étouffé par le terrorisme techno-économique, le cynisme politique et le fascisme culturel — a droit de se donner des éclaireurs lui indiquant les voies de l’enthousiasme enfantin si nécessaire pour rêver et agir, des livres comme L’alchimiste ou Le guerrier de la lumière trouvent alors leur pleine légitimité.
Ce livre d’entretiens ne s’adresse pas aux gourous du texte, mais aux lecteurs humbles qui confondent parfois le narrateur et l’auteur. Après tout, est-ce si grave ? Ils rencontrent l’écrivain qu’ils aiment et celui-ci prend le temps de leur raconter son parcours depuis son enfance à Rio jusqu’à aujourd’hui. Ils découvrent alors comment il a perdu la foi puis l’a retrouvée en 1979 en visitant le camp de Daschau, ce que lui a apporté la marche sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compestelle et ce qu’il cherche à chaque début d’année dans la grotte de Lourdes, pourquoi il a été interné à plusieurs reprises, ce que lui ont appris les mouvements guérilleros et hippie, le bouddhisme, le yoga et différentes sectes. Il parle aussi de son emprisonnement au Brésil durant la dictature, de son travail de journaliste à O Globo et de parolier de Raúl Seixas, tout comme il partage ses expériences dans les mondes de la drogue et de la magie noire. Toutefois, Paolo Coelho ne cherche jamais à assener une leçon de vie : il affirme sans affectation la présence du mystère. Pour jouir de la liberté que celui-ci procure, une seule exigence : l’humilité, sentiment rare de nos jours. Cela implique tout simplement (…) que chacun soit responsable de sa conscience pour éviter d’être happé par les fondamentalismes, la mondialisation et toutes les formes d’obscurantisme. Il pourra ainsi se relier à l’énergie primordiale du monde.
En définitive, ce livre est le kaléidoscope d’une vie à propos de laquelle on pourrait reprendre le mot d’Ortega y Gasset que cite lui-même Coelho : « Je suis moi et mes circonstances. » Comment mieux définir le trajet, le voyage qui amène à choisir entre le combat ou la méditation, l’un et l’autre quête spirituelle et parfois paradoxale conduisant, si nous les réalisons à partir de notre histoire personnelle, à la « conscience totale de nous-mêmes » ? En fait, le chemin proposé par Paolo Coelho est celui de la lucidité et de l’émotion assumées dans leur vérité. Comprend-on alors son succès ? Qui ne part un jour à la recherche de lui-même, de son destin, de sa propre lumière ? Le risque est énorme. Il est pourtant la source du réveil, et de la compassion.