Ceux que Maître Eckhart n’avait pas convaincus du talent de Jean Bédard ne seront probablement pas convertis par son dernier livre. J’ai ouï-dire qu’il aurait eu de mauvaises critiques… Rien de surprenant : les mauvais critiques écrivent de mauvaises critiques ! Mais assez parlé en mal, parlons en bien.
« Avant de raconter un voyage comme celui-là, on doit expliquer la fin dès le début, car sinon on est pris de terreur. » Voilà comment tout commence. Comme lorsque nous lisons la Genèse, où le péché originel nous est raconté avec cela même qui nous y a plongés, la connaissance, les mots. Exit les amateurs d’intrigues ! Ici, c’est la plus vieille histoire du monde qu’on aura le privilège de relire, sous une nouvelle forme, d’où le titre.
La nouvelle incarnation du peuple sans terre sera une femme sans nom ; son paradis perdu, sa petite fille, morte en bas âge. Alors débutent les errances du personnage, de la forme et du fond, mais n’ayez crainte : l’auteur ne nous abandonne pas. Ses signes ne se découvrent pas facilement et le roman deviendra presque poème : ce sont les chapitres de « l’exil » et de « la traversée des temps modernes ». Nous atteindrons le paroxysme de ces errances dans « la rédemption de la mort ». Dans ce chapitre, ce qui a été dit prendra un sens nouveau. Les noms des personnages qui entouraient l’héroïne changent. Cette folie lui permettra de conclure une nouvelle alliance avec la vie, avec son sens.
Expulsés de ce qui était devenu un poème, nous retombons dans le roman, pour mieux être abandonnés. Le personnage qualifiera ses errances de dépression. Moi, je ne peux qu’employer les mots mêmes de l’auteur pour commenter ces errances : « J’avais pitié de l’âme humaine dans son éphémère chaudron calligraphique. Un poisson frais plongé dans une friture pousse un cri avant que sa peau éclate et que sa chair s’ouvre. L’homme, lui, s’écrit, du verbe écrire. C’est sa riposte et elle mérite d’être lue. »