Partant de ce fait évident que la plupart d’entre nous vivent leur sexualité dans un régime binaire (homme/femme, masculin/féminin, hétéro-/homo-, etc.), Michel Dorais s’attaque aux stéréotypes des intégrismes fondant ce qu’il appelle « l’apartheid sexuel ». Son projet est vaste, et pertinent : il vise ni plus ni moins à définir les paramètres d’une « politique de la diversité sexuelle » qui permettrait à nos sociétés d’assumer réellement la fluidité des identités en mettant en échec l’essentialisme, le naturalisme et le déterminisme.
Pour établir les bases de cette nouvelle agora, l’auteur analyse d’abord les identités de sexe pour affirmer que non seulement nous ne sommes pas que notre sexe biologique, mais qu’en vérité nous portons une multiplicité corporelle et psychique, ainsi que le montrent intersexuels (les hermaphrodites) et transsexuels. Vient ensuite une réflexion sur les identités de genre, laquelle conclut que nos comportements ne correspondent pas nécessairement à nos pulsions. Cette fois, ce sont les androgynes, les individus à genre neutre (ceux et celles chez qui on constaterait l’absence du féminin et du masculin), ainsi que les transgenrés (qui passent d’un sexe à l’autre dans des buts ludiques et non de manière permanente) qui font la preuve que la contestation des repères établis « sollicit[e] ainsi l’imagination », point à mon sens le plus important. Quant aux identités érotiques, elles sont examinées dans la troisième et la plus stimulante partie de l’ouvrage. Il s’agit dans ce cas de poser que les sexes, loin de s’opposer, sont dans un rapport mouvant où tant les différentes modalités d’homosexualité que celles de la bisexualité se fusionnent dans l’imaginaire et dans le corps.
Il est toutefois dommage que les stratégies (la résistance à la rectitude sexuelle et l’offensive politique) nécessaires pour assurer la nouvelle révolution sexuelle souhaitée ne commencent à être élaborées que dans la trop courte conclusion, d’autant plus qu’il faut faire preuve d’un certain courage pour traverser cet essai de vulgarisation souvent lamentablement répétitif et monotone. On reste en outre étonné devant l’absence quasi totale de prise en compte des travaux réalisés depuis une vingtaine d’années dans le champ des sciences humaines (et particulièrement ceux de la déconstruction) pour combattre le dualisme, de même que devant plusieurs assertions tout simplement caricaturales (la science ne ferait plus partie de la culture et serait même contre elle en niant la diversité sexuelle !). Tout en partageant l’ensemble des thèses constructivistes de Michel Dorais au sujet des possibles sexuels et tout en revendiquant comme lui et d’autres une identité queer (sans aucunement souscrire à l’idée d’une nation queer) remettant en question les idéologies réductrices, je crois qu’une plus grande reconnaissance des acquis s’impose si l’on veut promouvoir, au-delà de l’égalité entre hommes et femmes, l’égalité des hommes entre eux et des femmes entre elles.