Voici un très beau livre, dont l’édition est réellement soignée ! Le premier geste est de parcourir, avec les yeux et les mains, les treize œuvres de Gemot Nebel, reproduites dans tout le feu de leurs couleurs. L’artiste est d’origine autrichienne et vit au Québec depuis 1956 ; il a maintenant son atelier près du fleuve, dans la région de Kamouraska. Vient par la suite la lente découverte des mots animés de beaucoup d’ardeurs.
Une femme va mourir à Kamouraska, pleine d’amour pour un homme qui est reparti ; elle évoque les éblouissements des petits matins, la souffrance qui la mine au cœur de cette longue absence, l’espoir insensé de le voir apparaître dans l’encadrement de la porte, « le rêve fou d’encore vivre quand elle peut à l’instant mourir ». La « Passante de Jérusalem », partout Juive et partout condamnée, présente à Kamouraska comme à Jérusalem, nourrit chez cet homme un remords constant devant « la haine, l’horreur méthodique au bout des rails ».
Dans cette prose poétique très dense, les souvenirs heureux côtoient la mort déjà rôdant ; les phrases sont parfois entrecoupées mais sans ponctuation excessive ; les accouplements de mots sont harmonieux, Julie Stanton parle de « l’écho de son errance », de « l’insensibilité à ce qui n’est pas lui », de ceux qui meurent chaque nuit « additionnés à l’infini ». La texture même des phrases oblige le lecteur à ralentir le rythme de sa lecture. Après deux ou trois pages, apparaît la belle reproduction intitulée Suite pour un fleuve et plus loin La Souveraine, que précèdent les mots : « L’étreinte avait l’ivresse d’un bordeaux » .
Oui, c’est un beau chant, d’une simplicité très touchante, sorte de mélopée qui ne dit que l’essentiel de ces deux suprêmes réalités de la Vie : l’amour et la mort.