Le vrai conteur n’en finira jamais de réaménager à son gré les règles qui prétendent contenir le récit. Le conteur ignore les frontières plus ou moins poreuses que la théorie trace entre nouvelles et roman, chronique et reportage. Pourvu qu’il conte…
Luis Sepúlveda, conteur envoûtant et vagabond, use de ce droit de constant renouvellement avec l’apparente désinvolture du professionnel. Si, dans Hot Line, il transplante un inspecteur rural mapuche à la gachette nerveuse sur le macadam de Santiago-l’enfumée, il se réserve de dépasser au moment de son choix le côté circonscrit et individuel de la mutation et de révéler brutalement la méfiance de tout un peuple. Son inspecteur peut survivre sans devenir insensible ; le peuple, lui, vit tout juste assez pour ne plus espérer. Le petit récit confine à l’épopée.
De même, Luis Sepúlveda se permet, dans Yacaré, un aller-retour entre le dessin net et presque clinique d’une enquête policière et l’intrusion dans le monde flou et incantatoire des peuples primitifs. Il passe, comme d’autres savent le faire, du cartésien au marécageux, mais il effectue ensuite son retour, comme peu pourraient le faire, vers une conclusion à l’arête tranchante. Récit ? Roman ? Nouvelles ? Qui s’en soucie ?