Pierre Samson a le génie généreux. D’un livre à l’autre, il offre davantage, repoussant toujours plus loin les limites du vocabulaire, ajoutant sans cesse à l’incandescence des passions, bousculant sans repos les structures romanesques les plus éprouvées. Pourquoi, puisqu’il y a pensé, n’aurait-il pas donné la parole à une ville, la transformant en narratrice et en guide ? Pourquoi Ouro Prêto, en plus de servir de nef à ce terrible et envoûtant chemin de croix aux quatorze stations bien comptées, n’aurait-elle pas assumé explicitement son personnage et confessé son rôle ?
Mais Ouro Prêto n’est pas seulement une enfilade d’églises. Elle est aussi la ville où couve la révolte, où les amours fougueuses et les jalousies qu’elles suscitent défient les barrières raciales, où l’identité sexuelle se nie, puis s’incline. Elle est aussi le lieu où le passé, comme un lumignon qui vacille, se tient prêt à renaître et à flamber.
Samson réussit admirablement à fondre les lieux et les personnes, à relier sourdement le drame d’hier et les béances qu’il a ouvertes à jamais dans les personnages, à mener chacun vers sa vraie sexualité et la ville vers sa dégénérescence. En ce sens, le livre est à la fois roman et pièce de théâtre, chronique d’une époque cruelle et savant enchevêtrement d’autobiographies. À cela s’ajoute un trait propre à Samson et particulièrement inattendu chez un auteur encore jeune : la capacité de prendre de l’altitude, avec un abrupt proche de l’arrogance, de contrôler aussi bien son écriture que notre lecture et d’interdire au lecteur que nous sommes tout excès d’impatience. Ses ordres sont de ceux auxquels on se plie avec volupté.