Pour son neuvième roman, l’auteur de Mourir m’enrhume (1987) et de La nébuleuse du crabe (1994) pastiche allègrement la récupération institutionnalisée de tout ce qui est sorti de la plume des écrivains disparus. Il confirme ainsi un penchant pour l’ironie, qu’il maîtrise d’ailleurs de brillante façon.
Thomas Pilaster, comme chacun le sait, est mort de façon aussi subite que brutale. Ce grand écrivain, qui ne publiait somme toute presque plus depuis la fin tragique de Lise, sa compagne et muse, a laissé quelques écrits posthumes. Marc-Antoine Marson, un de ses amis, se sent le devoir de les rassembler, non sans avoir débattu avec sa conscience, et pour le bénéfice de ses lecteurs, de la légitimité de publier les textes d’un écrivain disparu, surtout si ce dernier ne les croyait pas dignes de publication. S’autorisant du célèbre cas Brod-Kafka, Marson juge que le public a droit de se rendre compte par lui-même et édite les textes de son ami : narcissiques pages du journal intime, nouvelles misanthropiques, quelques notes sans grande originalité et aphorismes douteux. Il fait précéder chacun des textes d’une « savante » notice et, jouant jusqu’au bout le jeu de l’institution, agrémente le tout de notes explicatives où il relève ici une contradiction, là une faiblesse stylistique, plus loin une inexplicable marque d’ignorance. Commentaires et notes deviennent ainsi de plus en plus sévères au fur et à mesure que le lecteur peut juger par lui-même du peu d’intérêt des textes de Pilaster.
Finalement, nous comprenons que cette édition est pour Marc-Antoine Marson, sous prétexte de ne pas verser dans la complaisance pour le travail de son ami, l’occasion de faire l’éloge de ses propres écrits et, subtilement d’abord puis de plus en plus manifestement, de faire étalage de ses nombreux voyages qui témoignent de sa vaste expérience. À la fin, Thomas Pilaster n’apparaît plus que comme le faire-valoir de Marc-Antoine Marson. L’idée est originale bien que périlleuse, car il faut se taper les inepties de Pilaster et les commentaires parfois ampoulés de Marson. L’originalité l’emporte cependant, grâce à l’ironie qui invite à lire l’ensemble au second degré et qui rend de nombreux passages franchement rigolos.