Heureusement qu’ils existent, ces êtres parfois un peu étranges – mais pas toujours ! –, de sexe masculin la plupart du temps, qui « font des collections ».
Paru en novembre 2010, Le Québec d’antan à travers la carte postale ancienne1 est issu d’une collaboration entre trois Québécois et un éditeur français : HC. Ce « beau livre » invite le lecteur à se faire touriste, mais touriste d’un genre très particulier : celui de 1900 et quelques. Les textes de l’historien (bien actuel) Jacques Saint-Pierre sont informatifs et se veulent l’écho de ce qu’un voyageur curieux aurait noté en parcourant le Québec de l’époque. Rien ne sera dit qui outrepasse l’« âge d’or de la carte postale ».
Plus de mille cartes appartenant au collectionneur Simon Beauregard ont été présélectionnées, numérisées, puis envoyées à Paris où l’éditeur en a à son tour retenu quelque quatre cents. Yves Beauregard, directeur de la revue d’histoire du Québec Cap-aux-Diamants, lui aussi collectionneur, a coordonné la réalisation de l’ouvrage et apporté sa contribution à la rédaction des textes.
Il faut voir
Mille curiosités se succèdent au fil des pages. Rue Saint-Denis à Montréal : l’Université Laval2 ! Sur un rivage enneigé de la Gaspésie, un bSuf attend le chargement de poissons qu’il aura à tirer. Adossées au cap Diamant à Québec, de vieilles maisons sur pilotis, tristement délabrées, devant lesquelles, sur l’étroite grève, les canots et chaloupes qui sont l’unique moyen de transport des résidents du lieu. Quant à la langue d’affichage dans les villes… la « loi 101 » viendra beaucoup plus tard.
Naissance de la Postkart
La toute première n’était pas illustrée et aurait été mise en circulation à Vienne en 1869. Rapidement, d’autres pays emboîtent le pas, dont le Canada en 1871. Le gouvernement canadien se réserve toutefois le monopole de ce nouveau moyen de communication et il faudra attendre 1897-1898 pour que soient produites ici des cartes postales « privées » et illustrées. Ailleurs, notamment en Allemagne, leur usage est déjà largement répandu.
Les étrangers débarquent
La carte postale du Québec de 1900, explique en entrevue Yves Beauregard, montre souvent les attraits touristiques, les cathédrales et d’autres bâtiments. Elle s’intéresse aussi aux événements frappants tels les incendies, les inondations À Québec, les premiers éditeurs de cartes postales sont des libraires qui font imprimer leur production en Europe. De France, d’Écosse, d’Angleterre ou encore des États-Unis viennent cependant d’autres de ces éditeurs, ou leurs photographes, qui apportent un regard extérieur, manifestent une curiosité pour la vie quotidienne, les « petits métiers » et bien sûr les paysages. Ainsi les frères Étienne et Louis-Antonin de l’importante maison parisienne Neurdein. Plusieurs des cartes photographiques du Québec d’antan portent leur signature bien connue des amateurs du genre : ND Phot.
En 1907, « la ville de Québec s’apprêtait à célébrer de façon grandiose son tricentenaire, les Neurdein y virent une occasion rêvée de faire une percée sur le marché canadien où la passion de la carte postale faisait rage depuis peu. […] Nous pouvons avancer que c’est Louis-Antonin Neurdein et un assistant qui ont réalisé les photographies qui seront à l’origine des célèbres cartes postales. Un énigmatique personnage, toujours vêtu de la même manière, apparaissant sur plusieurs cartes, est sûrement Louis-Antonin3 ! »
Témoignage inestimable, la série de 613 images de l’expédition Neurdein de 1907 comprend 260 cartes de Québec et 219 de Montréal. Les autres sont consacrées à l’hiver, aux Amérindiens ; à Saint-Hyacinthe, Niagara Falls, Toronto, New York ; aux trajets Le Havre-Montréal et Montréal-Québec ainsi qu’à la traversée de l’Atlantique4.
La fin d’une époque
De 1900 à 1914, la carte postale illustrée sera le moyen de communication le plus populaire au monde. La Grande Guerre, qui entraînera la destruction des usines européennes qui imprimaient ces cartes, puis l’invention du téléphone, entre autres facteurs, mettront fin à ce que l’on considère encore aujourd’hui comme l’âge d’or de la carte postale.
Journal de voyage illustré, grand format
Puisque c’est bien d’un voyage qu’il s’agit, et que Belle Époque oblige, c’est par voie maritime, et surtout par chemins de fer, que s’accomplit le parcours des treize grandes régions du Québec d’alors – au sud du 48e parallèle –, parcours qui constitue la trame du Québec d’antan. Nous assistons à la naissance de petites municipalités alors que d’autres connaissent une soudaine expansion au fur et à mesure que les voies ferrées étendent leurs ramifications sur le territoire. Les témoignages d’Arthur Buies, de voyageurs et de journalistes de l’époque, entre autres, ont contribué à nourrir les textes.
Le format, la qualité du papier, le choix de la typographie, l’impression en deux couleurs (noir et une couleur Pantone qui confère aux images un ton plus chaud), la mise en page… tout concourt à faire de ce livre un très bel objet.
Les éditions HC, qui ont publié en France des dizaines d’ouvrages du genre, ont raison de miser sur la force esthétique et historique de la carte postale du début du XXe siècle. On doit à cette période d’à peine quinze ans de rares, de précieux documents dont Le Québec d’antan offre un superbe échantillon. Un heureux coup d’œil sur le chemin parcouru par le Québec depuis un petit siècle qui, lorsqu’on regarde certaines images, ressemble presque à une éternité.
1. Jacques Saint-Pierre, Le Québec d’antan à travers la carte postale ancienne, avec la collaboration d’Yves Beauregard, iconographie de Simon Beauregard, HC, Paris, 2010, 160 p. ; 39,95 $.
2. C’est en 1920 que « l’Université Laval à Montréal » acquerra son autonomie et deviendra l’Université de Montréal.
3. Yves Beauregard, « 1907-2007, le centenaire de l’expédition photographique de la Maison Neurdein », Cap-aux-Diamants, no 91, automne 2007, p. 27-28.
4. Ibid., p. 28.