Depuis Suite pour un visage, publié en 1970, à Mercredi soir au Bout du monde, paru en 2007, Hélène Rioux dévide, à partir d’une scène, d’une coïncidence et d’un titre le plus souvent trouvé très longtemps à l’avance, le fil d’une œuvre tout en jeux de miroirs d’un livre à l’autre. Finaliste et lauréate de plusieurs prix littéraires tant pour son travail d’écrivaine que pour celui de traductrice de l’anglais et de l’espagnol vers le français, Hélène Rioux traduit pour nous les liens, parfois ténus mais toujours indubitables, qui nous unissent à l’intérieur de ces petits fragments du monde que nous habitons un moment.
Nuit blanche : Dans Chambre avec baignoire, Éléonore traduit les romans d’amour pour la collection « Sentiments à la main » dans des cahiers d’école puis décide de s’acheter une vieille dactylo Underwood avec l’intention d’écrire ses propres textes. Travaillez-vous comme votre personnage ?
Hélène Rioux : J’écris très souvent les premières versions de mes romans à la main, dans des cahiers lignés à reliure spiralée (format livre), avec un stylo bleu. Après, je recommence à l’ordinateur. Je ne copie jamais, je réécris. Si je ne suis pas satisfaite (ce qui est la plupart du temps le cas), je reprends à la main et ainsi de suite. Pour la traduction, je ne travaille qu’à l’ordinateur. Mais quand j’ai écrit Chambre avec baignoire (ça fait quand même plusieurs années), j’utilisais moins l’ordinateur que maintenant. N’empêche que je préfère écrire les premiers jets à la main. Il y a comme un rythme, une lenteur Une façon de travailler qui me ressemble. (Et puis, ma première machine à écrire était une vieille Underwood, que j’ai gardée en souvenir.)
Vous avez d’abord publié de la poésie et des récits avant votre premier roman, Une histoire gitane, paru en 1982. Depuis, outre un nouveau récit, Dialogues intimes, et deux recueils de nouvelles, votre production se compose surtout de romans dont Mercredi soir au Bout du monde1. Qu’est-ce qui vous a amenée d’un genre à l’autre ?
H. R. : Difficile à dire. La poésie était un genre très proche de moi dans ma jeunesse. J’ai commencé à écrire très jeune, dès l’enfance, toujours des poèmes. À l’adolescence, j’en lisais beaucoup (Verlaine, Éluard, Juan Garcia, Rimbaud). Après, j’ai éprouvé comme une urgence le besoin de dire des choses (pénibles, douloureuses) à mon sujet. Pour m’en libérer, d’une certaine façon. La prose est alors devenue nécessaire, pour les dire clairement, ne plus me cacher derrière les images, les métaphores. Pour ne plus embellir la douleur. Puis, j’ai créé le personnage d’Éléonore, un alter ego, qui m’a permis d’écrire une sorte d’autobiographie intérieure – sonder les profondeurs (mes amis disent qu’elle est plus moi que moi !). Avec la nouvelle, je tournais en même temps mon regard vers l’autre, j’utilisais la troisième personne. Avec Mercredi soir au Bout du monde, j’explore une autre forme d’écriture.
Écrivez-vous encore de la poésie ?
H. R. : J’en écris encore, plus rarement, c’est vrai, et seulement pour moi. Je pense pourtant que la poésie – la « musique » des mots, le rythme et les images – est toujours présente dans mon écriture.
Retrouvera-t-on Éléonore dans un prochain roman ou recueil de nouvelles ?
H. R. : Elle est l’un des deux personnages principaux de L’amour des hommes (un roman auquel je travaille depuis six ou sept ans et que j’ai, jusqu’à maintenant, réécrit dix-sept fois !).
On a souvent fait allusion, dans des entrevues accordées au fil des années, à la dimension sexuelle, à l’érotisme très présent et parfois scabreux, violent qu’on trouve dans plusieurs de vos livres, notamment dans Les miroirs d’Éléonore, Chambre avec baignoire et bien sûr dans Traductrice de sentiments ; est-ce là un désir, un besoin de choquer ?
H. R. : Ce n’est pas lié à un désir de choquer. On ne sait pas toujours pourquoi on écrit les choses. C’est plutôt que les choses s’écrivent, des choses enfouies au plus profond de soi, qu’elles s’écrivent, en quelque sorte, à notre insu. Je n’ai jamais voulu choquer. Je ne vois toujours pas ce qu’il y a de choquant dans les scènes que j’ai écrites. Je crois que ce qui m’a valu le plus de critiques à ce propos, c’est le personnage du conjoint d’Éléonore dans Chambre avec baignoire, un homme charmant mais impuissant. J’abordais là un sujet tabou, apparemment, car les critiques masculins ont été assez féroces avec moi alors que les femmes, au contraire, ont bien aimé le roman.
Ces dimensions étaient nécessaires aux personnages ?
H. R. : Oui. Ces trois romans sont centrés sur Éléonore, un personnage ambigu, aux pulsions contradictoires – vie et mort. Cet érotisme, non pas scabreux, mais parfois violent, est un des éléments qui la définissent. Cela a rapport bien sûr au fait mentionné, à savoir que son conjoint est impuissant. Comme elle ne l’accepte pas, cette dimension de sa vie prend une ampleur plus forte, plus prégnante.
Le recueil de nouvelles Pense à mon rendez-vous tourne exclusivement autour de la question de la mort. Selon le cas, elle revêt toutes sortes de couleurs pour laisser le lecteur avec le cœur serré ou avec un sourire ironique. La mort violente est aussi au cœur du roman Traductrice de sentiments alors que la narratrice traverse une période bouleversante tandis qu’elle traduit les mémoires du tueur en série Léonard Ming. La mort, la violence, la souffrance et la douleur vous inspirent ?
H. R. : Oui. Mais aussi la beauté, la mer, l’amour. J’essaie de trouver un équilibre. De voir le monde dans sa globalité. En fait, je parle toujours de la vie, toute la vie m’inspire, globalement et dans les détails. La mort est dans la vie. Je ne la comprends pas, c’est pourquoi j’en parle autant.
C’est ce qui vous a amenée à créer le personnage de Charles/Léonard Ming ?
H. R. : D’une certaine façon. Le personnage m’a été inspiré par un tueur en série ayant vraiment existé. C’était dans les années 1980 et, à l’époque, on n’en parlait pas comme aujourd’hui. Cet homme et son complice enlevaient des gens et les torturaient dans un bunker, filmaient leur agonie et vendaient les cassettes. Je me rappelle encore le moment où j’ai entendu la nouvelle à la radio – il venait d’être arrêté au Canada. J’ai éprouvé un véritable choc. J’ai écrit la nouvelle « L’homme de Hong Kong » dans les jours qui ont suivi. Je ne comprenais pas. Par l’écriture, j’essayais de comprendre, de pénétrer à l’intérieur. L’histoire a continué de me hanter. Cela explique que le personnage revienne dans les romans suivants, toujours en rapport avec Éléonore – bien qu’il ait changé de prénom d’un texte à l’autre. Je voulais les confronter, mais je n’y arrivais pas. J’ai fini par imaginer qu’elle traduisait son autobiographie. Pour moi, il n’existait pas de relation plus intime.
Dans Finitudes, recueil de poésie autobiographique, vous dites être « violente et douce, imprévisible et prédestinée, silencieuse et volubile, invincible et vulnérable, tendre et cruelle, froide et sensuelle ». On pourrait ajouter tragique et ironique L’ironie est en effet de plus en plus présente dans votre écriture au fil du temps, entre autres dans Chambre avec baignoire, Pense à mon rendez-vous, Le cimetière des éléphants et surtout dans Dialogues intimes, un petit bijou sur les relations de couple avec ses conversations graves et ridicules sur le choix d’un restaurant, des couleurs de la salle de bains ou des gens à inviter lors du réveillon de Noël.
H. R. : L’incompréhension, l’incompatibilité sont omniprésentes (du moins dans mon écriture). Les banalités expriment ce malaise. Avec Dialogues intimes, j’explorais l’humour et l’absurde. J’aimais cette idée de tourner en rond autour de n’importe quoi pour revenir toujours au point de départ.
La construction originale et très habile de Mercredi soir au Bout du monde fait penser à une comptine ou à une chanson folklorique telle que « L’arbre est dans ses feuilles » alors qu’une chose nous amène à une autre.
H. R. : La structure est l’élément essentiel de Mercredi soir au Bout du monde. J’ai d’abord conçu la structure. C’est-à-dire après le titre. C’est toujours le titre qui me vient en premier. Pour moi, le titre contient le livre.
La structure est-elle aussi importante pour vos autres romans ? Et qu’en est-il des recueils de nouvelles ? Avez-vous une thématique, un fil directeur en tête au départ ou cela apparaît-il au fur et à mesure ?
H. R. : La structure est toujours importante, mais particulièrement dans Mercredi soir au Bout du monde, où elle est une partie intégrante du roman. Pour L’homme de Hong Kong, je n’avais pas vraiment de fil directeur. Il est apparu à la fin, quand le tueur croise une femme dans la nuit. J’ai compris que c’était Éléonore. Pour Pense à mon rendez-vous, l’idée était la femme et la mort. Elle m’a été inspirée par un extrait d’un poème de Cocteau. Je voulais écrire une suite de « rendez-vous », ces moments où la mort se rappelle à notre souvenir. Juste pour nous dire qu’elle est là, qu’elle attend.
Coiffé du titre Fragments du monde et sous-titré Solstice d’hiver, Mercredi soir au Bout du monde annonce une série qui se poursuit avec Âmes en peine au paradis perdu et constituera ces fameux fragments ; quelle est votre intention avec ce cycle romanesque ?
H. R. : C’est une suite qui parle des liens. Je veux dire que nous sommes tous et toujours liés au monde et à son histoire. Chaque chapitre est lié, par un détail ou un autre, au chapitre précédent et, par un autre détail, au premier chapitre, qui les englobe tous. Un jeu de miroirs où tout se reflète et se répond. J’ai, par exemple, imaginé un film, Broken Wings, qui revient d’un chapitre à l’autre d’une manière ou d’une autre, qui traverse tout le roman. Je suis fascinée par les liens, les miroirs, les jeux. Après avoir terminé Mercredi soir, je me suis aperçue que je n’en avais pas terminé avec certains personnages, avec cette exploration des liens. J’ai donc décidé de poursuivre l’écriture de ces fragments sur une année, d’où l’idée des solstices, et celle du titre général, Fragments du monde.
À la vérité, je ne pensais pas du tout écrire un roman et encore moins une suite car, au départ, j’avais écrit un seul texte, qui est devenu le premier chapitre. Il est né d’une situation réelle vécue lors de mon déménagement dans un nouveau quartier. Le soir, alors que ma famille et moi étions tous très fatigués, nous sommes allés manger dans un petit snack-bar près de chez moi. La scène dont j’ai alors été témoin m’apparaissait tellement surréaliste ! Ces trois femmes endimanchées au comptoir, les chauffeurs de taxi qui arrivent et sortent les cartes, le cuisinier maghrébin Je me suis dit qu’il fallait absolument que je décrive cette scène. Je l’ai fait un an ou deux plus tard, puis j’ai eu envie de continuer, de pousser plus loin cette idée. J’ai pris un élément, les deux danseuses, et toute l’architecture du roman s’est alors imposée. Mais le projet a dû mûrir encore quelques années.
Quelle part occupe la recherche dans votre travail d’écrivaine ?
H. R. : Tout dépend du livre que j’écris. Pour Fragments du monde, la recherche est très importante, en particulier pour les questions de dates, de noms, de lieux.
Vous avez besoin de mettre vos pas dans ceux de vos personnages, d’aller là où ils vont ?
H. R. : C’est-à-dire que mes personnages vont là où je suis déjà allée. Je voyage beaucoup, j’ai besoin de me retrouver ailleurs. En particulier lorsque j’écris. Chez moi, à Montréal, je traduis des livres, ou bien je corrige, je fais des recherches, mais, habituellement, je n’écris pas.
Vous mentionnez trois livres en préparation dans votre biobibliographie, dont deux romans. Vous travaillez toujours sur plus d’un projet à la fois ?
H. R. : Oui. J’ai habituellement plusieurs idées en même temps. Je commence quelque chose, L’amour des hommes, par exemple. Parfois, l’inspiration me quitte, je n’arrive plus à continuer. Alors, je mets mon projet de côté et j’entreprends autre chose, Mercredi soir au Bout du monde, disons, sans toutefois perdre de vue le premier. Je vais ainsi de l’un à l’autre. Pour Mercredi soir, il s’est écoulé plusieurs années entre l’écriture des deux premiers chapitres et l’écriture du reste du roman. Mais je savais que je l’écrirais un jour, le roman continuait de vivre en moi Certains projets n’arrivent pas à terme et j’ai des caisses remplies de manuscrits inachevés Quand je dis que je travaille sur plusieurs projets à la fois, je veux dire que j’ai plusieurs projets en même temps. Ce qui fait que la genèse de mes livres est toujours assez longue. En fait, je n’y travaille pas en même temps. Sauf la traduction. Mais ils sont dans ma tête.
Un autre livre en préparation porte sur l’écriture et la traduction, que vous pratiquez également depuis de nombreuses années : comment voyez-vous votre travail de traductrice littéraire ?
H. R. : Telle que je la perçois, la traduction se rapproche du théâtre. Le traducteur ne joue-t-il pas le rôle de l’auteur qu’il traduit ? C’est ce que, chaque fois, j’essaie de faire. Traduire, c’est jouer sans être sur une scène, c’est jouer sans public. Le public vient après, mais on ne le voit jamais, on n’est jamais en sa présence. Traduire, c’est entrer dans l’autre, trouver sa musique. Trouver les mots en soi pour raconter l’histoire de l’autre. Se mettre, presque littéralement, « dans la peau de l’autre ». Une osmose, donc. Alchimie. Imaginer comment l’autre aurait écrit son histoire s’il l’avait écrite en français. Traduire, c’est interpréter, comme la comédienne interprète Lady Macbeth, le pianiste interprète Bach ou Mozart. Et sait-on comment Bach ou Mozart jouaient leurs pièces ? Comment Shakespeare concevait Ophélie, le roi Lear ? Soupçonne-t-on toujours le metteur en scène ou le comédien de trahir le dramaturge ? Le musicien de trahir le compositeur ? Je ne peux concevoir de ne pas connaître la musique de Bach, mais sans ses interprètes, comment l’aurais-je connue ? Et, au fond, que m’importe de savoir comment il jouait, lui, les Variations Goldberg quand Glenn Gould m’en donne sa vision ? Traduire, c’est en quelque sorte recréer. Ajouter sa perception, sa sensibilité. Enrichir l’œuvre initiale, voire suppléer parfois, même si cela peut sembler présomptueux de le dire. Inutile de dire que la traduction me fascine. Je la pratique avec passion. Aussi, je considère que l’écriture relève également de la traduction. Chaque écrivain traduit en mots de sa propre langue son univers intérieur, ce qu’il ou elle porte et qui n’a alors pas de mots. C’était d’ailleurs le titre d’une communication que j’ai donnée au Mexique : Écrire : traduire dans sa propre langue. Ce sont ces deux aspects que je veux explorer dans mon essai.
Est-ce de cette passion et de ce questionnement sur le travail de traduction qu’est né votre roman Traductrice de sentiments ?
H. R. : J’ai voulu imaginer ce que pourrait être, pour Éléonore – par ricochet, pour moi aussi, sans doute –, de traduire l’autobiographie du tueur Léonard Ming déjà croisé dans L’homme de Hong Kong. J’ai voulu la faire réfléchir – et j’ai voulu réfléchir en même temps – aux choix éthiques que peut parfois poser la traduction. Que peut-on accepter de traduire ? Jusqu’à quel point s’engage-t-on dans une traduction ? Comment une femme qui a elle-même perdu un enfant peut-elle traduire l’histoire d’un homme qui torture et assassine les enfants ? J’ai délibérément choisi une situation extrême. Je n’ai, pour ma part, jamais eu à faire ce genre de choix.
La traduction a-t-elle une incidence concrète sur votre propre création ?
H. R. : Oui. J’ai commencé par l’écriture. La traduction est venue ensuite. Les deux se sont bientôt mêlées. J’ai ainsi eu la possibilité de pratiquer certaines techniques que je maîtrisais mal dans ma propre écriture, l’humour et l’art du dialogue, par exemple. De cette façon, la pratique de la traduction a enrichi mon écriture – l’œuvre à traduire nourrissait en moi l’écrivain malhabile. Chacun des livres que j’ai traduits m’a appris quelque chose. J’ai traduit des textes que je ne trouvais pas nécessairement « beaux » d’entrée de jeu. Je veux dire que, parfois, leur écriture ne correspondait pas à mon esthétique. Des livres que je trouvais même rébarbatifs, peuplés de personnes à des années-lumière des miens, pratiquant des métiers, des activités dont je n’avais aucune idée. L’effort exigé est énorme. C’est ainsi que je me suis retrouvée dans des histoires de pêche à la morue à Terre-Neuve, ou au milieu de faussaires, à Londres, à l’époque de la reine Victoria, ou encore en compagnie de chevaliers en armure dans une France médiévale mythique. Le défi qui se pose alors est grand. Je dois faire totalement abstraction de moi, m’absenter de moi-même, adhérer à une musique, à une esthétique, à des émotions qui me sont étrangères. Utiliser des mots, des temps de verbe, une syntaxe qui n’auraient pas leur place dans mes propres livres D’une certaine façon, je dirais que moins un livre me ressemble, plus j’éprouve du plaisir à le traduire. Réflexe de comédienne frustrée à la recherche de rôles de composition ?
Vous avez traduit de nombreux textes pour enfants, mais n’en avez jamais publié vous-même En écrivez-vous ?
H. R. : Je n’en écris pas, mais j’adore traduire des livres pour les enfants. C’est sans doute lié au plaisir que j’ai éprouvé à raconter des histoires à mes enfants, et que j’éprouve aujourd’hui à en raconter à mes petits-enfants. Pour moi, ces histoires ont toujours été orales, improvisées. Un jeu. Je n’ai jamais pensé à les écrire.
1. Cette entrevue a été réalisée juste avant la parution d’Âmes en peine au paradis perdu, roman paru en 2009 et commenté par Linda Amyot à la page 21 du no 118 de Nuit blanche.
Hélène Rioux a publié :
Romans : Une histoire gitane, Québec Amérique, 1982 ; Les miroirs d’Éléonore, (finaliste au prix du Gouverneur général 1991 et au Grand Prix littéraire du Journal de Montréal 1991), Lacombe, 1989 ; Chambre avec baignoire (Grand Prix littéraire du Journal de Montréal 1992 et prix de la Société des écrivains canadiens 1992 ; traduit en anglais par Jonathan Kaplansky sous le titre de Room with Bath, Ekstasis Editions, 2006), Québec Amérique, 1992 et « Romanichels poche », XYZ, 2000 ; Traductrice de sentiments (finaliste au Grand Prix des lectrices Elle Québec 1996 et finaliste au prix France-Québec 1996 ; traduit en anglais par Jonathan Kaplansky sous le titre de Reading Nijinsky, XYZ Publishing, 2001 et en bulgare par Magdalena Levy, Éditions Prozoretz, 2005), « Romanichels », XYZ, 1995 et « Romanichels poche », XYZ, 2008 ; Le cimetière des éléphants (traduit en espagnol par Margarita Pena sous le titre de La isla de los elefantes, « Reino imaginario », Ediciones Coyocan, 2004), « Romanichels », XYZ/Phi, 1998 ; Fragments du monde, T. 1, Mercredi soir au Bout du monde, Solstice d’hiver (prix du jury du prix France-Québec 2008, prix Ringuet de l’Académie des Lettres du Québec 2008, finaliste au prix du Gouverneur général 2007 et finaliste au prix Biblioblog 2008), « Romanichels », XYZ, 2007 ; Fragments du monde, T. 2, Âmes en peine au paradis perdu, « Romanichels », XYZ, 2009.
Récits : Yes, monsieur, La Presse, 1973 ; Un sens à ma vie, La Presse, 1975 ; J’elle, Stanké, 1979 ; Dialogues intimes, « Étoiles variables », XYZ, 2002.
Nouvelles : L’homme de Hong Kong (troisième prix du deuxième concours de nouvelles de Radio-Canada 1986), Québec Amérique, 1986 ; Pense à mon rendez-vous (finaliste au prix du Gouverneur général), Québec Amérique, 1994 et « Romanichels poche », XYZ, 2008.
Poésie : Suite pour un visage, Carré Saint-Louis, 1970 ; Finitudes, Orphée, 1972.
Hélène Rioux a également traduit plus de cinquante œuvres littéraires de l’anglais ou de l’espagnol vers le français, dont :
Self, roman de Yann Martel (prix QSPELL de la traduction 1998 et finaliste au prix du Gouverneur général 1998 pour la traduction), XYZ, 1998 ; Faussaires, roman de James King, XYZ, 2001 ; Sentences, roman de Gustavo Sainz (prix Québec/Mexique 2004), 2005 ; Voyage parmi les touristes, essai de Taras Grescoe, VLB, 2005 ; Sept étés de ma jeunesse, Souvenirs de North Hatley, récit d’Anne Coleman, XYZ, 2007 ; Les artistes de la mémoire, roman de Jeffrey Moore, XYZ, 2007 ; La pivoine de Jade, roman de Wayson Choy, XYZ, 2007 ; Certitudes, roman de Madeleine Thien, XYZ, 2008.
Textes et nouvelles parus dans des anthologies :
« Requiem pour la mort d’une enfance », dans 80 voix au féminin, Anthologie Arcade, 1981-1996 ; un texte tiré de Finitudes dans L’anthologie de la poésie des femmes au Québec, préparée par Nicole Brossard et Lisette Girouard, Remue-Ménage, 1991, réédité en 2003 ; « Marguerite ou celle qui voit derrière le miroir », nouvelle traduite sous le titre de « Marguerite or She Who Sees Behind the Mirror » par Julie Rieman, dans Doing Gender : Franco-Canadian Women Writers of the 1990s, préparée par Paula Ruth Gilbert et Roseanna L. Dufault, 2001 ; « Le souper au restaurant »,
EXTRAITS
Au Bout du monde, les chauffeurs de taxi viennent se restaurer la nuit – le spécial des Fêtes est offert à cœur d’année, c’est même la spécialité. Ali s’est habitué. Il travaille ici depuis six mois – un record : au Bout du monde, les cuisiniers d’habitude ne font pas de vieux os, allez savoir pourquoi. Ils sont peut-être trop mal payés. Sa farce est un succès. Il y ajoute des raisins secs, des noix, des dattes, des pruneaux parfois, quelques épices que personne ne connaît. Un petit goût du Maghreb au cœur de Montréal, et les mangeurs ont l’impression de voyager.
Quand les hommes ont fini de manger, les femmes sortent les cartes et tout le monde s’installe pour jouer. Le cinq cents est leur jeu préféré. D’habitude, Boris et Doris jouent ensemble parce que leurs prénoms se ressemblent – c’est une tradition, et la chose n’a jamais été remise en question. Entre eux, il y a peut-être autre chose, une idylle, qui sait ? Les autres alternent. Le couple qui ne joue pas boit du café en attendant de remplacer les perdants. La nuit se poursuit ainsi jusqu’au petit matin, puis ils mangent les œufs, le bacon et les rôties qu’Ali prépare avant de s’en aller. Oui, la nuit de mercredi est toujours une fête.
Mercredi soir au Bout du monde, p. 16-17.
L’éthique. En traduction comme en tout ce qui concerne l’entreprise humaine, les problèmes d’ordre moral sont épineux, délicats, souvent difficiles à cerner. Je parlais tout à l’heure de fidélité, ce serment d’allégeance prêté à l’auteur par le traducteur. Si le traducteur doit d’abord être fidèle à l’auteur – sens, musique, images –, il doit aussi l’être au temps et au lieu dans lesquels prend place l’intrigue racontée. Quand je traduis, quand je lis, j’exige cette fidélité. Je l’exige pour moi-même, et je l’exige des autres. Et je fulmine quand je tombe, par exemple, sur la traduction d’un roman dont l’action est censée se dérouler à Montréal et que j’y retrouve des expressions d’argot parisien que je n’ai jamais entendues dans ma ville natale. Ainsi, «Tu me prêtes cent balles ? » demande un type à un autre. Quand on sait qu’une « balle » équivaut à un franc et que le système monétaire canadien est basé sur le dollar (lequel valait, selon les années, entre trois et cinq francs), on se demande de quelle somme il peut bien s’agir. Pour le savoir, il faudrait s’astreindre à une opération mathématique bien fastidieuse. Bien sûr, j’imagine que le traducteur voulait sans doute ici parler de dollar. Il a commis une faute par rapport au lieu. Une faute d’éthique « professionnelle », si l’on pense à la fidélité à laquelle il s’est engagé. Ou une faute d’intelligence ? Mais je m’éloigne…
L’écriture, ma musique, donc, je l’ai trouvée en moi. L’anglais, je l’ai appris dans la rue, très jeune, ce fut d’abord une langue orale. La langue espagnole je l’ai apprise d’abord à l’école, elle fut d’abord écrite. Plus tard, en Espagne, à l’occasion des nombreux séjours que j’y ai faits au cours des années, elle est aussi devenue orale, alors que l’anglais, que je pratique moins, s’est transformé, de par mon travail, en langue surtout écrite. Et si je les reconnais et comprends leur sens, il m’arrive maintenant de ne plus savoir comment se prononcent les mots anglais que je lis. On pourrait alors se demander comment, dans ce cas, je peux rendre leur musique en français. C’est qu’il existe une musique pour ainsi dire inhérente à la langue écrite, et qu’il n’est pas besoin d’« entendre » les sons pour en sentir la musique. Si, en traduction, la rigueur est indispensable, une large part d’intuition entre aussi en jeu. Ezra Pound affirmait d’ailleurs qu’il n’est pas nécessaire de maîtriser parfaitement une langue pour la traduire – car tout le processus ne se résume pas à une histoire de vases communicants. Rien n’est jamais aussi simple. Heureusement. – Un jour, un ami de ma fille, trouvant que je faisais un drôle de travail, m’a fait remarquer qu’un ordinateur le ferait sans doute aussi bien – et beaucoup plus vite – que moi. J’ai mis une heure à lui expliquer, avec une foule d’exemples, qu’il ne s’agissait pas seulement de chercher des mots dans le dictionnaire, ce que, bien sûr, un ordinateur ferait plus vite que moi…
Traduction : musique, éthique (extrait), non paru.