Argentin d’origine, Daniel Castillo Durante est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont quatre romans publiés en français.
Les trois derniers, parus entre 2006 et 2009 chez XYZ, sont : La passion des nomades1, Un café dans le Sud2 et Ce feu si lent de l’exil3. La passion des nomades a été finaliste pour le Prix des lecteurs de Radio-Canada 2007 ainsi que pour le Prix du livre d’Ottawa et il a valu à son auteur le prix Trillium 2007. Un café dans le Sud a été finaliste pour le Prix des lecteurs de Radio-Canada 2008 et une mention d’excellence lui a été attribuée par la Société des écrivains francophones d’Amérique. On constate donc que le talent de romancier de Daniel Castillo Durante a été reconnu sans équivoque. D’autant que sa première œuvre romanesque, Les foires du Pacifique, publiée chez Vents d’Ouest en 1998, avait déjà remporté le Prix littéraire du journal Le Droit 1999.Dans ses trois derniers romans, certains thèmes persistent, dont le plus marquant est sans doute le ressentiment, l’animosité affichée par le fils, devenu adulte, envers son père. Dans tous les cas, ce sentiment a été nourri par la colère et l’acrimonie de la mère, qui a été trompée et délaissée et qui a rappelé sans relâche à son fils les fautes commises par son géniteur. Par conséquent, dans chacun des romans, le protagoniste originaire de l’Argentine, qui vit au Québec ou avec une Québécoise, déteste franchement son père. Et il le dit à maintes reprises.
Dans Ce feu si lent de l’exil, si le personnage central insiste moins sur la question que dans les deux autres romans, il écrit tout de même : « [Qu’] un homme [ ] aussi taciturne et égoïste que mon père donnât la vie à quelqu’un, moi en l’occurrence, m’étonnait passablement, mais que maman, devenue violente au fur et à mesure qu’elle perdait la raison, ne lui ait finalement jamais tranché la gorge me surprenait encore davantage ». Un autre thème récurrent est ici abordé, celui de la perte de raison de la mère, attribuée en premier lieu à la conduite de son mari. Cela contribue évidemment à exacerber le ressentiment du fils envers son père. Le désespoir de la mère de Paul Escalante, dans La passion des nomades, va jusqu’à la mener à mettre fin à ses jours en se jetant sous un train.
Dans le même ouvrage, ainsi que dans Un café dans le Sud, il est à souligner que le personnage principal en vient, sans l’avoir voulu, à marcher pour ainsi dire dans les pas de celui qu’il a appris à haïr avec tant d’ardeur ; ce qui l’amène, on le devine, à réviser ses convictions, bien que tardivement. Dans Ce feu si lent de l’exil, un phénomène analogue se produit, même si c’est de façon moins évidente. Cette fois-ci, Frédéric, le protagoniste, par ses agissements, finit par causer la déchéance de la femme qui l’aime et qu’il aime. Donc, sans répéter les gestes de son père, il en arrive pourtant à provoquer exactement ce qu’il lui a toujours reproché d’avoir infligé à sa mère et ce qui a, par conséquent, engendré la haine qu’il lui voue depuis longtemps.
Le personnage principal des romans de Daniel Castillo Durante, on le comprend, est invariablement un être tourmenté. C’est un homme qui aime agrémenter ses phrases de réflexions spirituelles, sagaces ou même provocantes. Ainsi, le Frédéric de Ce feu si lent de l’exil s’inspire du célèbre vers de Paul Éluard lorsqu’il lance : « J’aime ta tristesse, Catherine, parce qu’elle est bleue comme une orange ». Quant à Gabriel Olmos, de La passion des nomades, il affirme : « Un écrivain français du XVIIIe siècle, le marquis de Sade, pour ne pas le nommer, suggère qu’il faut punir non pas celui qui vole mais celui qui se fait voler ». Ailleurs, le même protagoniste fait plutôt preuve de cynisme en affirmant : « Je trouve que c’est difficile d’évaluer le degré de méchanceté de nos contemporains. Il n’y a que dans les films d’Hollywood, ou dans la bouche du président Bush, qu’on sait qui sont les méchants ».
De fait, cette déclaration décrit bien, de façon générale, les personnages de Daniel Castillo Durante. Il n’y a pas de véritables « méchants ». Même le père honni s’avère, finalement, simplement un homme avec ses faiblesses. Il y a bien quelques personnages secondaires flasques et véreux, mais sans plus, à une exception près : le cousin Victor qui, dans Ce feu si lent de l’exil, pousse malicieusement Frédéric et Catherine, la femme qui l’aime, à leur perte. Mais l’auteur n’a-t-il pas prévenu, en citant Sade, que c’est la victime et non pas l’intrigant qui est à blâmer ? Après tout, Frédéric aurait fort bien pu réaliser, s’il avait seulement fait preuve de plus de discernement, qu’il allait droit au désastre. Gabriel et Paul, dans les deux autres ouvrages, auraient pu en faire autant. Mais chaque fois, le protagoniste suit son destin à la manière d’un phalène attiré inéluctablement par la lumière, jusqu’à s’y brûler.
L’exil est une autre constante chez Daniel Castillo Durante. Ses personnages sont des Argentins exilés au Québec ou vivant en France, ou alors ce sont des Québécoises parties pour l’Argentine. Ailleurs, ce sont des Haïtiens ou une Péruvienne établis à Montréal. À Buenos Aires, c’est une Cubaine ou un Bolivien Alors, il n’est pas étonnant que le mot exil soit l’élément le plus significatif du titre de son dernier roman.
Dans ses romans, Daniel Castillo Durante crée un univers sombre et envoûtant. Ses personnages n’ont rien des héros à l’américaine. Ce sont des êtres vulnérables, qui souffrent et qui traînent leur douleur et leurs faiblesses, mais qui ont également, parfois, leurs moments de bonheur. En somme, ils « respirent », ils transpirent, et ils n’ont rien de factice. C’est là le grand talent de Daniel Castillo Durante : mettre en scène des personnages « vivants » dont on partage aisément les sentiments.
1. Daniel Castillo Durante, La passion des nomades, XYZ, Montréal, 2006, 227 p. ; 26 $.
2. Daniel Castillo Durante, Un café dans le Sud, XYZ, Montréal, 2007, 280 p. ; 25 $.
3. Daniel Castillo Durante, Ce feu si lent de l’exil, XYZ, Montréal, 2009, 244 p. ; 24 $.
Essayiste et romancier d’origine argentine, Daniel Castillo Durante, membre de la Société royale du Canada, est professeur au Département de français de l’Université d’Ottawa. Il a publié une dizaine d’ouvrages, dont Littérature, culture et société en Amérique latine, Les dépotoirs de la post-modernité (PUL, 2008) ainsi que les romans Les foires du Pacifique (Vents d’Ouest, 1998 ; prix littéraire Le Droit 1999), La passion des nomades (XYZ, 2006 ; prix Trillium 2007), Un café dans le Sud (XYZ, 2007 ; mention d’excellence des Écrivains francophones d’Amérique 2008) et Ce feu si lent de l’exil (XYZ, 2009).
EXTRAITS
On ne peut être que dans un seul endroit à la fois. On appartient au lieu qu’on habite. Dieu, dans sa miséricorde infinie, nous a pourvus d’un seul cul.
La passion des nomades, p. 115.
Dans ce pays où tout allait toujours vers le pire, Paul trouvait que la mort de son père était dans l’ordre des choses.
Un café dans le Sud, p. 55.
Et s’il ne se levait tout simplement pas, à la manière de ces escargots collectionnés pendant son enfance, qui, du jour au lendemain, ne sortaient plus de leur coquille, privés probablement de cette petite flamme sans laquelle n’importe quelle vie cesse de goûter le sel du présent ?
Ce feu si lent de l’exil, p. 131.
Je monte à présent avec tous mes rats derrière moi comme le flûtiste du conte afin de les précipiter dans le vide, et de pouvoir ainsi franchir le seuil de ta porte le regard haut et la conscience tranquille.
Ce feu si lent de l’exil, p. 188.