Croyants, pasteurs, théologiens et observateurs du fait religieux n’ont visiblement pas perdu le goût de s’exprimer. À maints égards, la littérature qu’ils produisent ressemble à l’autre : abondante, diversifiée, capable du meilleur comme du plus crispant.
Comme l’autre, elle réserve, surtout à ceux qui la fréquentent peu, quelques tonifiantes surprises. Comme l’autre, elle demande au lecteur d’entrer dans la logique de ses auteurs. Ce ne sera pas toujours facile…
La tentation de l’anachronisme
Certains ouvrages, en effet, paient encore tribut au ton assuré et aux conceptions éthérées qu’affectionnait jadis un clergé omniprésent. Paradoxalement, de tels entêtements sont souvent le fait d’auteurs qui, baignés de passéisme, pensent pourtant avoir pris le virage et pouvoir enseigner aux autres l’art de l’adaptation. Dans d’autres cas, le changement d’époque est survenu, mais les auteurs n’en savent rien.
L’ouvrage de Roger Poudrier à propos de celui que les Trifluviens appelaient Le bienheureux Frédéric1, est un exemple assez candide du livre écrit hors du temps et loin de tout public. On entasse témoignages et extraits de lettres comme si on devait les offrir en souvenirs aux pèlerins venus au Cap-de-la-Madeleine ou comme s’il importait d’étoffer toujours davantage le dossier qui permettra, espère-t-on, de conduire le prédicateur franciscain jusqu’à la canonisation. Légitime dévotion personnelle sans doute, mais document ennuyeux.
Malgré la beauté du petit livre et le renom de l’auteur comme historien, on s’étonne d’entendre dans Quel avenir pour le christianisme ?2 le même son suranné. René Latourelle a beau promettre de porter sur le présent québécois ce qu’il appelle un regard lucide, son propos prend vite l’allure d’une charge contre la décadence, la corruption, l’immoralité. Réaction déphasée du chercheur brillant qui a vécu trente ans à Rome et déployé sa carrière trop près des frilosités vaticanes ? Difficile à dire. Chose certaine, le christianisme ici proposé ne séduira pas par son sourire et seuls ceux qui sont déjà convaincus se laisseront gagner.
Quant à François Gervais, il nous entraîne, avec Oser la solidarité3, dans un univers où les bons sentiments s’expriment dans une langue sirupeuse et naviguent à deux doigts seulement du jovialisme. L’affirmation tient lieu de preuve, que ce soit à propos du suicide, du pacifisme intégral, du sens à donner à tel ou tel récit biblique. L’auteur s’invente un maître à penser qu’il affuble du nom de Petit Sage et grâce auquel il peut se citer sans se citer tout en se citant. Ainsi endossés l’un par l’autre, Gervais et le Petit Sage peuvent prodiguer des conseils qui semblent avoir été doublement testés alors qu’ils ne l’ont même pas été une seule fois. Par Petit Sage interposé, l’auteur se confiera ainsi la tâche de poursuivre, en toute modestie, cela va sans dire, sa « vocation de libérateur ». Rien de moins. Quand la candeur devient sentencieuse à ce point, elle cesse de séduire.
On trouvera de tels ouvrages par dizaines. On constatera aussi, avec un certain désarroi, qu’ils se vendent à la tonne. On se résignera mal, cependant, à ce que ce ronronnement patelin se substitue à la réflexion et à une vraie compréhension.
Avec Jacques Tremblay et Vivre la magie des histoires bibliques4, on monte d’un cran. Non que l’on tombe d’accord avec chacune des intentions et des perspectives de l’auteur, mais parce que l’apport proprement scientifique s’impose d’emblée et que l’écriture devient moins mielleuse. Ainsi, maîtrise-t-il suffisamment la pensée de Jean Piaget pour savoir et dire à quel âge l’enfant accédera à la pensée abstraite et lira les histoires bibliques d’un œil plus critique. Les explications offertes par l’enseignante ou l’enseignant correspondront ainsi de près à ce que l’enfant peut absorber. Sur ce terrain, il offre à tous les éducateurs, enseignants ou parents, la possibilité de moduler le récit biblique selon le développement atteint.
L’évident prosélytisme de Jacques Tremblay lui fait cependant courir les risques de l’anachronisme, de l’exégèse aventureuse et même de la réécriture. D’après lui, il faudrait profiter d’un récit où Jésus demande qu’on laisse les enfants approcher de lui pour mettre les enfants en garde contre les adultes qui peuvent abuser d’eux et pour commencer la lutte contre le suicide. L’interprète ne s’étonne pas non plus que la femme soit façonnée à partir d’une côte de l’homme : « L’auteur (biblique) a peut-être lui aussi, comme tant d’autres personnes depuis, senti au niveau de l’abdomen, des côtes, la souffrance liée à la perte ou à l’absence d’un être cher », écrit-il. De manière plus globale, l’auteur tient tellement à ce que la foi catholique soit le cheminement obligé vers l’équilibre humain qu’il interprète les textes tantôt à la lumière de l’histoire, tantôt, au contraire, selon l’objectif pédagogique poursuivi. La fin justifie les moyens et la fidélité au texte en souffre. Il a par ailleurs le mérite de proposer une lecture des textes bibliques infiniment moins épidermique que celle de François Gervais et celui de rappeler que les narrateurs s’exécutaient à l’intérieur d’un genre littéraire plus près du conte et de la parabole que du reportage photographique. Le problème provient de ce que Tremblay s’octroie des libertés comparables, à des fins pédagogiques en particulier, alors qu’il écrit, lui, dans un genre littéraire exigeant la rigueur.
Des frontières poreuses
Deux ouvrages dont j’attendais peut-être trop m’ont laissé sur mon appétit, en bonne partie, je crois, parce que la réflexion s’y laisse trop aisément déporter vers autre chose. L’un, La foi à l’heure d’Internet5, est dû à une plume pourtant aguerrie, celle d’André Beauchamp. L’autre est le résultat d’un travail collectif, celui de la revue Liberté sur L’expérience mystique6.
André Beauchamp, dont ce n’est sans doute pas le propos, consacre pourtant la majeure partie de son court texte à ce qu’on pourrait considérer comme des ajustements stratégiques de la proposition chrétienne. Si les mots ne sont plus intelligibles au commun des mortels, qu’on en change. Si l’heure est à l’engouement pour Internet, que l’Église crée ses sites. Cela relève davantage de la mise en marché que de la foi. On comprendra que l’Église catholique puisse hésiter entre telle ou telle stratégie pour obtenir une place dans la programmation des chaînes de télévision, mais cela la concerne au premier chef et ne rejoint guère le grand public. Ce qui, en revanche, peut étonner et déranger de la part d’un communicateur comme André Beauchamp, ce sont les exemples qu’il puise dans le travail des médias. On apprend, avec malaise, qu’il exigeait de Radio-Canada d’être interviewé par tel animateur plutôt que par l’animateur habituel. On constate, avec un malaise plus vif encore, qu’il n’a pas attendu que l’athlète Patrick Roy soit déclaré coupable de violence conjugale pour l’inciter à reconnaître ses torts. Comme quoi les règles du monde médiatique demeurent peut-être aussi impénétrables que d’autres.
Voir la revue Liberté s’intéresser à L’expérience mystique en aura étonné, voire suffoqué, plus d’un. Qu’un Jean Bédard, immergé depuis des années dans les textes de Maître Eckhart et de Nicolas de Cues, puisse, au pied levé, parler intelligemment de ce qu’est l’expérience mystique, cela va de soi. Pour le commun des mortels, pareil thème évoque, en revanche, bien peu d’images familières. Il n’est d’ailleurs pas dit que les divers collaborateurs eux-mêmes soient parvenus à un consensus minimal ni que tous aient pris le thème au sérieux. La revue se proposait, écrit Francine Gagnon, de « transcender les clivages du sacré et du profane, du laïc et du religieux, du mystique et de l’érotique ». À la lecture, on constate que plusieurs textes ont respecté les clivages et sont demeurés campés sur l’une ou l’autre rive du fossé. Le lecteur ne comprendra pas non plus qu’autant de textes concernent Marie de l’Incarnation.
À cet égard, un texte attire l’attention, par sa vigueur autant que par son débordement : celui de Suzanne Robert. Le lecteur avait hâte, soit dit bien subjectivement, qu’on suspende les éloges et qu’on inflige à cette chère Marie Guyart les questions que mérite son comportement. Suzanne Robert satisfait vigoureusement à cette exigence en reprochant à cette mère de ne pas en être une et d’étaler plus de masochisme que de santé mentale. Cela était devenu nécessaire face au concert de louanges. Suzanne Robert s’éloigne cependant du cadre choisi par le collectif réuni par Liberté quand elle glisse des expériences mystiques de Marie Guyart à son rôle dans la déculturation et le génocide des autochtones. Que ce rôle soit désolant, je n’en disconviens pas ; que cela découle de l’expérience mystique reste à démontrer.
Le besoin de recentration
Un thème, qui a valeur d’inquiétude chez plusieurs auteurs, fait surface de façon si systématique dans leur réflexion qu’il est intéressant d’en observer le déploiement : l’urgence de ramener la foi à son centre. Dans certains cas, c’est la désaffection des foules qui incite à revenir, faute de pouvoir tout faire, aux tâches essentielles. Dans d’autres cas, c’est le goût de rappeler ce qui fonde la foi et ce qui, malgré les pressions de la sécularisation, doit continuer à la distinguer. Sur ce terrain, la cueillette est d’excellent calibre.
Michel Cantin, Revenir à l’essentiel7, ouvre franchement le débat. La quantité ne joue plus en faveur de la religion, les règles du jeu non plus. En quarante ans, la fréquentation de l’église passe de 85 à 15 pour cent au Québec ; au supermarché des valeurs, la foi ne fait pas le poids. On ne saurait mieux circonscrire le propos et conduire à un questionnement précis : que faire ? L’auteur en profite pour circonscrire l’enjeu. Avant de se déprimer au spectacle des églises vides, ne faut-il pas se rappeler que, trois siècles durant, les chrétiens ne ressentirent pas le besoin des grands temples ? Cantin ne nie pas qu’il faille aux chrétiens des lieux de rencontre, mais ceux qui ont marqué nos paysages ruraux et urbains ne lui paraissent pas les seuls pensables.
L’essentiel lui paraît ailleurs. Dans l’attitude d’attente face à Dieu qui donne la foi comme il l’entend. Dans l’apprentissage des différences entre la réincarnation et la résurrection, entre le simplisme plutôt sadique de l’enfer traditionnel et la présomption de générosité que mérite le créateur. Cantin démontre peu de choses, car il s’adresse visiblement à des croyants auxquels le rappel peut suffire. Sa cohérence personnelle plaide d’ailleurs éloquemment en sa faveur : quand on passe une trentaine d’années avec les itinérants, les ex-détenus et les plus démunies des personnes âgées, on mérite le préjugé favorable.
Monique Dumais, Choisir la confiance8, navigue dans d’autres eaux, mais elle cherche le même port. Pour elle aussi, en effet, il faut aller à l’essentiel qui consiste à croire, à faire confiance, à tabler sur tout son être, corps compris, et sur la culture bue dès la naissance et sur la liberté. Désespérer ne serait pas une lecture correcte du destin, car cela nierait l’éthique et rendrait inapte à assumer la trajectoire personnelle et le projet collectif.
Monique Dumais fait confiance à ses sources, d’ailleurs nombreuses et éloquentes, de façon à la fois étudiée et abandonnée, mais il lui arrive de les suivre plus que nécessaire. Elle admire Marie de l’Incarnation sans prendre en compte l’hypothèse du dérapage qu’ont évoquée tout à l’heure certains auteurs de Liberté. Elle regrette que personne ici ne parle de simplicité, alors que La simplicité volontaire de Serge Mongeau fait l’objet de rééditions massives et de conférences multiples. En ce sens, l’attention au quotidien qui lui paraît garante et signe de la confiance fait figure d’espoir et de projet plus qu’elle n’est règle de vie. Ce n’est pas lui faire injure que de le dire : faire confiance, c’est garder le cap et non pas dramatiser longuement à chaque bouée.
Le point de vue que développe Eugène Lapointe, dans Communautés chrétiennes, Pour une Église rassemblée et responsable9, est riche du recul que donnent des expériences dépaysantes et diversifiées. On ne passe pas impunément plus de trente ans en dehors du Québec sans être marqué et éclairé par la culture d’adoption. L’Afrique en général et le Lesotho en particulier ne conçoivent ni la vie en société ni la religion à la manière d’un organigramme romain, mais faut-il leur reprocher de vivre la foi autrement ? Ne peut-on pas, au contraire, chercher dans des cultures plus conviviales les modèles de rassemblement et d’échange que l’Occident et ses immenses diocèses ont immolé sur l’autel du gigantisme et de l’efficacité ?
On sous-estimerait gravement Eugène Lapointe si on l’assimilait à ces folkloriques missionnaires qu’on invitait dans les écoles pour qu’ils déroutent les enfants en récitant le Notre Père en chinois. L’auteur connaît, en effet, à fond son histoire religieuse. Il sait en quel lieu et presque à quelle heure le clergé a fait main basse sur l’Église et réduit le laïcat au rôle de simple exécutant. Quand, de l’Église primitive, il passe aux temps modernes, il est documenté, courageux et précis. Il sait et ose dire que la Rome de Jean-Paul II et de son appareil bureaucratique répugne de façon viscérale à laisser l’Église africaine définir et affronter elle-même ses problèmes. Il décrit, par exemple, l’effort du Symposium des Conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar pour tenir un concile consacré aux problèmes spécifiques du continent noir : la démarche, qui esquisse ses premiers pas en 1982, aboutira en 1994 à un synode tenu à Rome et dominé par une large majorité d’émissaires romains…
De sa vaste culture et de ses expériences diversifiées, Lapointe sait tirer autre chose qu’une critique stérile. L’Église, selon lui, peut, à condition de revenir à ses sources et de prendre en compte les réalisations obtenues dans des contextes peu familiers, se réinventer dans le creuset de petites communautés chrétiennes. Le livre, remarquablement structuré, survole aussi bien le temps que l’espace : l’évocation de l’Église primitive témoigne du respect autrefois accordé aux laïcs, le tableau de l’Afrique moderne rappelle que la structure héritée de Constantin et maintenue depuis dix-sept siècles n’a peut-être plus de raison d’être.
Édouard-Charles Lebeau, La santé au service de la foi10, porte un regard tout aussi pénétrant sur la foi d’aujourd’hui, mais il s’intéresse moins à l’institution qu’aux pressions qu’exerce sur elle et sur ses porte-parole la montée en popularité de la psychologie humaniste et de ses différents dérivés. La recherche est abondante et rigoureuse, la compétence manifeste et généreuse, le ton exempt de hargne comme de complaisance. L’auteur rappelle, avec sobriété mais avec pleine conscience des conséquences, que notre époque vit, l’Église comprise, selon la logique de marché. Quand il s’avère qu’à l’aune du marché la foi ne trouve pas preneur, la tentation grandit de séculariser les contenus, de chercher ailleurs l’attrait que ne possède plus la foi. Puisque le culte de la santé mentale séduit le marché, il devient tentant d’inclure dans le message religieux et peut-être même d’y substituer la promesse d’un meilleur équilibre psychologique. D’où le titre, très juste, de l’ouvrage : La santé au secours de la foi. Sur cette toile de fond, l’essayiste manifeste un admirable respect des auteurs mis en cause. À chacun, il demande si, dans les textes qu’il signe, la foi se dénature en imitant de façon trop servile les attitudes qui ont cours dans le monde de la santé mentale. Dans d’autres cas, il voudra savoir si, au contraire, on ne traite pas la contribution de la psychologie avec un excès de méfiance. Jamais, cependant, il n’intente de procès d’intention. Le résultat est impressionnant. Est atteint un double objectif : celui de cerner les risques globaux d’une sécularisation de la foi et celui de situer une dizaine d’auteurs par rapport à ces risques. Dans ce cas, le besoin de recentration s’impose sans hausser la voix ; le travail de Lebeau aura suffi à le faire ressentir.
Au coeur du message
Jean-Guy Saint-Arnaud, Quitte ton pays, L’aventure de la vie spirituelle11, écrit une langue si fluide qu’on perd vite conscience de l’élévation de la pensée ou de la complexité des concepts. La pensée se déploie, sereine et étale, les vérités les plus contondantes adoptent le ton de la confidence sans aspérité, mais on se leurrerait si l’on croyait que le tranchant de la doctrine s’est émoussé. Saint-Arnaud note, comme Lebeau tout à l’heure, que le pôle subjectif gagne en magnétisme et que les jeunes ne savent plus à quoi pourrait ressembler une vérité nettement distincte des opinions. Ce qu’il appelle la syntonisation de Dieu élimine plus difficilement que jamais les parasites. Le risque n’est pas présenté sur le mode apocalyptique, mais avec, tout de même, la précision d’un bistouri. Dans un emprunt à Goethe, l’auteur laisse entendre, par exemple, que « la fixation sur le pôle subjectif serait un indice de déclin » et n’absout surtout pas notre époque d’un tel ancrage. Comme Lebeau, Saint-Arnaud « en fauche large », mais lui aussi quadrille minutieusement le domaine étudié. S’il insiste pour présenter la vie spirituelle comme un départ pour la grande aventure, il prend ensuite le temps de regarder sur combien de cheminements et d’étapes débouche cette aventure. À chacun de choisir son rythme et son parcours, la route à quatre ou à sept paliers. Le guide, pourtant, ne se bat pas pour des virgules. Sur les traces de Newman, il excelle à décrire la vie spirituelle comme une revigorante succession de défis et pas du tout comme la paterne gestion de vérités éprouvées. Contrairement à ceux qui ne parviennent plus, à force de muer la foi en itinéraire vers la santé mentale, à parler de leur Dieu, il marche constamment l’étendard du croyant à la main. Il n’y a chez lui ni mimétisme ni sécularisation ni légitimation gênée de ses croyances ; il n’oblige personne à souscrire à ses dogmes, mais il ne les cache pas. Tout au plus, à l’inverse, pourrait-on lui reprocher une sérénité et une séduction de ton et d’écriture qui confinent à l’hypnose. Mais comment en vouloir à quelqu’un de révéler sans effets de manches de rassurantes balises ?
Richard Bergeron, Les pros de Dieu12, je l’avoue sans ambages, constitue (avec Guy Ménard qui aura son tour) l’une des plus belles découvertes de ce trop rapide et trop superficiel survol. Le premier aussi chemine flamberge au vent. Il ne lésinera pas sur les assauts, mais ses remises en question garderont quelque chose du ton attristé qu’on adopte pour rappeler un ami à l’ordre. Il fut et ne peut que demeurer au fond de lui-même prêtre, religieux et théologien, mais ce bagage lui confère surtout le droit de dire quels obstacles constituent, dans la marche vers la connaissance de Dieu, « l’objectivité », « l’apparence » et « la possession ». Réduire Dieu à des schémas pour complaire aux mœurs universitaires, ce n’est pas le rencontrer. Jouer le rôle de celui qui sait alors qu’il faudrait, comme le propose Karl Rahner au terme de sa vie, faire confiance à l’analogie plus qu’aux précisions statiques de la photographie, c’est posséder avant d’entrevoir. Se rassurer l’âme parce qu’on a proféré trois vœux qui n’engagent guère, c’est siéger sans justification du côté d’une noblesse sans légitimité véritable. Richard Bergeron, qui fut (et demeure) un « pro de Dieu », ose dire, et trois fois plutôt qu’une, que le protestantisme eut souvent raison de se passer de bureaucratie, de ne pas laisser les « pros » s’approprier le champ de la foi, d’octroyer à la subjectivité le droit de participer à la gouverne des existences. On sent, car la finale ne nous laisse pas le choix, que l’auteur souffre des reproches qu’il adresse à ceux qui, comme lui, ont tout misé sur la foi, mais qui ne se sont pas aperçu, ni suffisamment ni à temps, qu’en devenant des professionnels de Dieu, ils le voyaient moins nettement.
Guy Ménard, d’entrée de jeu, étonne. Le titre dont il coiffe son essai, Petit traité de la vraie religion13, rappelle André Comte Sponville, mais met la barre plus haut que le philosophe français. Il ne s’agira pas chez lui de grandes vertus, mais de la vraie religion, rien de moins. Prétention ? Non pas, mais conviction sereine de pouvoir dire en mots simples la substantifique moëlle de la religion. À peine quelques pages plus loin, on s’incline : humour, culture, délicatesse sont au rendez-vous et font comprendre que la vraie religion, quelque nom qu’on lui donne, est toujours l’intrusion du sacré dans la vie. Quand le choc se produit, la vie trouve sa source et son sens, les humains débordent les limites du profane et, pour reprendre l’expression qu’il emprunte à Marguerite Yourcenar, « dilatent leur vie ».
La réussite de Guy Ménard est telle qu’il ne perd pas en profondeur ce qu’il s’autorise en élargissant son auditoire. Il s’adresse à quiconque veut réfléchir, il n’exige aucune foi comme préalable, mais, sitôt enclenchée, sa démarche scrute sans repos les divers visages du sacré. On saluera le mythe au passage, puis le rite, puis la fête. On s’intéressera au pontife s’il redevient ce qu’il devait être, un pont entre deux mondes. Surtout on vérifiera que toutes les religions ont en commun de donner à leurs adeptes une raison de vivre et, du coup, une raison de mourir. Tout cela, l’auteur le développe sur le ton de la conversation sans apprêt, avec ce qu’il faut d’humour et même de légère autodérision, mais avec une ampleur de vue, les ressources fidèles et mobiles d’une culture intégrée au quotidien, un évident respect de toutes les convictions. On ne quitte peut-être pas ce livre plus croyant qu’avant, mais, oui, on sait de quel choc on doit chercher la trace chez ceux qui prétendent croire.
La littérature à teneur religieuse constitue elle aussi, comme l’autre, une sinusoïdale : les creux de vague succèdent aux sommets, les remontées stimulantes aux plates platitudes. Preuve est faite, en tout cas, que des croyants lucides jugent la situation actuelle de l’Église selon des critères autres que l’assistance à la messe ou le paiement de la dîme. On remarquera aussi que, dans cette cueillette d’une bonne douzaine d’ouvrages, bien peu d’allusions sont faites à l’ordination des femmes ou au célibat des prêtres. Si, d’aventure, il est question de Jean-Paul II, c’est pour souligner à quel point il a pactisé avec le centralisme de l’Église de Rome ou, plus discrètement, pour laisser entendre que de meilleurs jours pointent peut-être à l’horizon. Comme quoi, la religion n’est pas non plus ce qu’en retiennent les médias.
1. Roger Poudrier, Le bienheureux Frédéric, Médiaspaul, Montréal, 2001, 119 p. ; 12,95 $.
2. Père René Latourelle, Quel avenir pour le christianisme ?, Guérin, Montréal, 2000, 55 p. ; 9,95 $.
3. François Gervais, Oser la solidarité, Médiaspaul, Montréal, 2000, 197 p. ; 19,95 $.
4. Jacques Tremblay, Vivre la magie des histoires bibliques, Médiaspaul, Montréal, 2001, 287 p. ; 22 $.
5. André Beauchamp, La foi à l’heure d’Internet, Fides, Montréal, 2001, 61 p. ; 6,95 $.
6. Collectif, Liberté, L’expérience mystique, no 252, mai 2001, 213 p. ; 8 $.
7. Michel Cantin, Revenir à l’essentiel, Anne Sigier, Québec, 2000, 138 p. ; 14,95 $.
8. Monique Dumais, Choisir la confiance, Médiaspaul, Montréal, 2001, 112 p. ; 19,95 $.
9. Eugène Lapointe, Communautés chrétiennes, Pour une Église rassemblée et responsable, Médiaspaul, Montréal, 2000, 207 p. ; 21 $.
10. Édouard-Charles Lebeau, La santé au secours de la foi, Médiaspaul, Montréal, 2001, 239 p. ; 24,95 $.
11. Jean-Guy Saint-Arnaud, Quitte ton pays, L’aventure de la vie spirituelle, Médiaspaul, Montréal, 2001, 240 p.; 19,95 $.
12. Richard Bergeron, Les pros de Dieu, Médiaspaul, Montréal, 2000, 215 p. ; 24,95 $.
13. Guy Ménard, Petit traité de la vraie religion, Liber, Montréal, 1999, 230 p. ; 23 $.