Arrivé à la mi-soixantaine, Paul Auster porte un regard sur le chemin parcouru jusqu’à ce jour pour en dresser un bilan des souvenirs qui, au fil des ans, s’accumulent pour former ce qu’il est convenu d’appeler l’expérience d’une vie, le bagage que l’on traîne avec soi sans toujours savoir à quoi il sert, sinon de servir de balise, de repère. Le passage du temps, les traces laissées sur le corps, visibles, et les autres, la multitude des autres marques invisibles incrustées dans la mémoire, sont ici le matériau premier de l’écrivain. Les lieux habités, les amis d’hier et d’aujourd’hui, les jeux d’enfant, les femmes aimées, le premier mariage et les soubresauts de la vie de couple, l’énigmatique relation avec le père (moins riche toutefois que dans L’invention de la solitude), celle idéalisée avec la mère, et celle encensée avec la femme avec laquelle il partage sa vie depuis plus de 30 ans, les relations parfois tendues avec des membres de sa famille, tout ou presque des événements importants qui n’ont pas sombré dans l’oubli est tamisé par le filtre de l’écriture. Paul Auster maîtrise l’art de la description et il s’applique cette fois à retracer son propre parcours en recourant à la narration à la deuxième personne, ce qui l’assure, d’une part, de créer la distanciation nécessaire qui tienne à l’écart la tentation autobiographique, et, d’autre part, d’interpeller le lecteur et de faire écho à ses propres expériences. Le choix narratif est des plus judicieux, et permet à Paul Auster de se livrer tel qu’il se voit et s’imagine, avec ce mélange dosé de retenue et de révélation qui renvoie le lecteur à sa propre chronique, à sa propre cartographie de vie. Tu vois ainsi s’étaler peu à peu les différents pans d’une vie, dont certains te sont familiers, qui fuit également à grande vitesse. Et tu te dis que si, par moments, tu ne retrouves pas la même intensité que dans les ouvrages précédents, c’est peut-être tout simplement parce que cette fois, tu es mis en présence d’autre chose, d’une voix qui se contente d’interroger le temps qui passe et qui n’a pas réponse à tout.
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