Grégoire Barrow voudrait faire du théâtre. Il aurait voulu. Au lieu de cela, il fait du demi-théâtre : dans un studio de doublage, il prête sa voix d’abord à des annonceurs publicitaires, puis à un canard dans une émission pour enfants, puis à un personnage antipathique, mal dégrossi, d’une télésérie américaine. Cela ne le satisfait pas : ce qu’il veut, c’est jouer Rostand, Ionesco, les grands. Mais, sans doute à cause de son physique ingrat, les théâtres le tiennent à l’écart. Sa voix, par contre, sa voix remarquable, lui vaudra des prix.
Dans le studio de Vox Dei, Grégoire Barrow se fait une réputation. Amoureux des mots, il commence par refaire les répliques pour qu’elles coulent mieux. Puis on lui confie les traductions, et même la direction des comédiens. Il est très exigeant, sur tout : le texte, l’intonation, la correspondance labiale, le jeu (vocal) des acteurs.
Reconnu, mais malheureux. Ce qu’il veut faire, c’est du théâtre. En attendant, en parallèle avec la perfection de ses textes et de ses déclamations, il vit une existence un peu brouillonne, un peu vide, et Sarah, d’ailleurs, finira par le laisser.
Un jour, la porte du théâtre s’ouvrira. Et Grégoire trouvera le moyen de ne pas la franchir. Comme le jour où il bousillera la chance incroyable qu’on lui offre de traduire Ulysse et de doubler le personnage mythique d’Homère dans une production télévisée. Il aura ses raisons.
En nous faisant suivre le quotidien de cet amoureux du beau, du sublime et de l’art pour l’art, incapable de faire des compromis et de profiter de la vie, Hélène Vachon nous pose une question : le perfectionnisme, au-delà de toute l’admiration et des succès professionnels qu’il peut nous valoir, pourrait-il être un moyen inconscient de se couper du monde, de ne pas vivre ?