Abdellah Taïa est une star montante de la littérature marocaine de langue française. Son homosexualité déclarée publiquement en fait une figure de la transgression et du scandale dans son pays d’origine, mais le jeune auteur est surtout un écrivain de talent qui le prouve à merveille dans Infidèles.
Abdellah Taïa est de son temps et joue à merveille des multiples enchevêtrements de l’autobiographie et de la fiction dans ce roman polymorphe qui hésite entre poésie et prose, entre l’histoire terrible du Maroc des années 1980 et la fable d’une prostituée trouvant l’amour dans les bras d’un Belge et réinventant l’islam grâce à cette affection nouvelle. Mais le roman est d’abord celui du fils de cette prostituée plongé dans les affres du métier infamant de sa mère, puis découvrant, grâce à elle, un soldat, père d’adoption mais amant aussi à l’occasion. Quant à la passion, la vraie, celle qui déplace les montagnes, elle peut faire exploser à la fois le cœur et un bâtiment dans la ville de Casablanca, puisque c’est dans les bras d’un terroriste islamiste que le jeune Jallal va enfin la vivre.
Un troisième personnage traverse le texte de part en part, jusqu’à lui donner son épilogue. Il s’agit de Marilyn Monroe, transformée en déesse, et devenue l’héroïne des laissés-pour-compte, des abandonnés de tous horizons, y compris ceux qui ne peuvent parler qu’arabe, vont à La Mecque et préparent un attentat.
Cette œuvre est écrite avec un mélange de violence et de délicatesse. L’horreur inhérente qui la caractérise parvient au lecteur presque subrepticement. La prostitution y est parfois douce, la pédophilie, présente pourtant, pourrait passer inaperçue. Ce qui blesse le plus profondément, ce n’est pas forcément ce que l’on croit. Infidèles est un roman poignant et pourtant sans lyrisme, sans emphase indue, écrit dans une poésie de la simplicité à laquelle on ne peut rester insensible.