Mon bruit, Grand Prix Quebecor du Festival International de la Poésie 2012, est le dernier volet de la puissante trilogie Les chroniques de l’effroi de Normand de Bellefeuille, amorcée par Mon nom, que suit Mon visage. L’engouement général à l’égard de cette suite d’œuvres est bien mérité ; l’auteur atteint ici des sommets de pureté et de vérité.
Le bruit, mon bruit, prend sens par rapport au nom et au visage, qui sont, dit le poète, « des servitudes sans fin », « des territoires d’inachèvement », comme la parole. Le bruit, lui, est réconciliation avec le monde parce qu’il se tient hors du dire. Le bruit, mon bruit, c’est celui que font les fruits bien mûrs, les forêts, ces choses qui nous mènent vers la lenteur. « Vieux / on ne sourit plus / qu’aux bruits minuscules. » Les bruits lents ralentissent le cœur et la marche du temps, ils prêtent à l’amour.
Mais la fin se rapproche pourtant, inexorable. Le bruit, mon bruit, c’est aussi le « bruit de l’effroi », l’effroi étant « une défectuosité / de ce que certains nomment âme / face au néant ». Le bruit est plus fondamental qu’un questionnement métaphysique, il naît dans et par la douleur, il est une insurrection contre l’ordre des choses. S’il était poésie, ce serait Pour un tombeau d’Anatole d’un Mallarmé brisé par la mort de son fils. Il serait aussi un hymne en langue étrangère dédié à la femme aimée et partie trop vite. Le bruit, malheureusement, ne se fait jamais vraiment poème ; de Bellefeuille ne l’évoque en effet qu’au conditionnel. On aimerait que le poème soit ainsi, vrai et complètement désemparé, mais ce serait sans doute au détriment du sens, et du visage, et du nom, qui attachent le poète à l’ici, et au souvenir de la femme aimée.
Tout tourné vers ses bruissements, le poème tente de se saisir. Pour le lecteur, il pourrait résulter de ce soliloque un effet d’étouffement, d’hermétisme, mais ce n’est pas le cas. D’abord, la langue, réduite à sa plus simple expression, reste attachée à la syntaxe traditionnelle, ce qui nous la rend accessible. Aussi, à tant parler de son bruit, de Bellefeuille arrive à toucher à une sorte d’universalité. Ce bruit sous la parole n’est-il pas le même que le nôtre, au fond ?
Les « véritables régions / de la poésie » se trouveraient quelque part dans le corps, quand le cœur s’arrête. « L’histoire du vent / sera mon dernier livre », dit de Bellefeuille avec une sorte de détachement presque serein.