Sans les efforts tenaces de quelques-uns, que saurions-nous de la présence juive au Québec : quelques clichés au sujet d’un antisémitisme qui aurait longuement enlaidi le Québec, un vague souvenir au sujet d’un député juif élu au Québec… ? Heureusement, il s’est trouvé quelques audacieux, regroupés autour de la maison d’édition Septentrion, pour étoffer les rappels, démêler les généalogies et décrire une taupinière là où la légende avait vu une montagne. Denis Vaugeois fait partie, comme Pierre Anctil et David Rome, de ce petit cercle de chercheurs résistants.
La famille Hart méritait une place de choix dans leur enquête. Aaron, l’ancêtre, entre au Québec dans les bagages du pouvoir militaire qu’installe la Conquête. Chargé de satisfaire aux besoins de l’armée, il est, plus chanceux ou averti que d’autres, payé en sonnante et durable monnaie. Il en profite pour acquérir de la terre et rêver, dirait la Bible, d’une descendance aussi nombreuse que les grains de sable. Mêlé à tous les types d’activité, il ne s’inquiétera qu’au moment où ses descendants voudront se mêler de politiques.
Le livre de Vaugeois multiplie les angles d’observation. Heureusement, l’auteur est homme à hanter les archives et à faire rendre gorge au moindre document. Au fil des ans et des exhumations, il renouvelle les perspectives au point de devoir nuancer certaines de ses propres hypothèses. Comment s’en étonner ? Les registres juifs pratiquaient le genre discret et la famille Hart aimait utiliser, accoupler et inverser les mêmes prénoms d’une génération et même d’un cousinage à l’autre. Tant mieux si le persistant Vaugeois complète aujourd’hui ce que le jeune Vaugeois osait hier dans le pourtant fiable Dictionnaire biographique du Canada.
Deux pans de cette effervescente saga retiennent l’attention. D’une part, il est exact qu’Ezekiel Hart fut élu à deux reprises député de Trois-Rivières, mais tout aussi exact qu’il fut, pour des raisons peu glorieuses, empêché de siéger par ses pairs. Il faudra attendre Papineau pour que l’ouverture d’esprit des électeurs de Trois-Rivières séduise enfin la machine législative. D’autre part, Moses, un des descendants d’Aaron Hart, prêta souvent flanc au scandale (plus de 200 recours aux tribunaux, quelques douzaines de rejetons égarés dans la nature…), mais jamais il n’eut à se plaindre d’un quelconque antisémitisme québécois.
L’iconographie est, contenu et esthétique, d’une rare qualité. Quant à l’historien, même s’il a tendance à disputer l’avant-scène à l’histoire, on lui saura gré d’avoir maintenu pendant un demi-siècle le cap de ses premiers travaux.