Il est surprenant de constater qu’un texte d’une telle qualité littéraire n’ait jamais connu de réédition depuis sa parution en 1930. D’autant plus que son auteure fut en son temps une écrivaine passablement lue, lauréate du prix Femina 1927 pour un premier roman, Grand Louis l’innocent, et qu’Hélier, fils des bois, son second roman paru à Paris, est aujourd’hui considéré « comme la première incursion littéraire féminine dans la forêt nordique », souligne à juste titre Rachel Bouvet. La professeure à l’Université du Québec à Montréal, à qui l’on doit l’introduction, les notes et la chronologie du livre, laisse entendre que les lecteurs québécois de l’époque, bien que séduits par la plume de Le Franc, auraient apprécié un peu plus de rebondissements dans l’histoire de cette Française venue passer quelques mois de solitude au bord du lac sauvage de la Baie-aux-Ours, au mont Tremblant. Il se passe en effet peu de choses dans cette fiction, si ce n’est la transformation d’une bourgeoise cultivée en femme des bois et ses relations platoniques avec Hélier, « le guide, le passeur, esprit des eaux, dieu des forêts, celui qu’on invoquait au moment où l’on sombre », et Renault, le diplomate original et maniéré. En 1930, certains ont même été scandalisés par l’attirance de cette femme pour un homme sans instruction, l’apologie qui y serait faite d’un retour à la nature. D’autres ont critiqué le fait qu’une Française – l’auteure, qui vécut au Québec pendant de nombreuses années avant de retourner définitivement en France – reprenne, sans vraiment le renouveler, le mythe des grands espaces vierges habités par des petites gens rustres. Mais il y en a eu, parmi les critiques, pour louanger l’écriture excessivement poétique de Le Franc, une écriture qui puise à la fois dans la spiritualité et le vécu. Cette œuvre parlera à coup sûr à celui ou celle qui a déjà côtoyé la forêt jusqu’à y sentir cette présence difficile à nommer que l’on appelle « nature » ou « âme de la nature ». Les bruits, les ombres, les chocs imperceptibles, l’humidité, le froid prennent ici une épaisseur presque divine, comme s’ils étaient mus par une volonté, quelque chose de très grand et de très puissant. Les descriptions de la forêt, parfois romantiques, souvent étonnantes, même avant-gardistes, narrent cette découverte de l’autre et de soi. Un simple regard contiendra un monde d’une dizaine de pages où tout est mouvement et profondeur, en même temps que quête d’immobilité pour cette femme qui cherche.
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