Fort bien accueilli par la critique, Au passage, le recueil de nouvelles que faisait paraître Emmanuel Bouchard en 2008, nous révélait un nouvel écrivain qui avait su proposer une vision toute personnelle de la vie d’un quartier de la Basse-Ville de Québec et des gens qui l’habitent. Le recueil se démarquait notamment par la sobriété du ton qui émanait des nouvelles, par l’équilibre maintenu entre la description du quotidien et le merveilleux qui peut en émaner, puisant à même le particulier pour laisser entrevoir l’universel, la fantaisie, l’onirisme et la poésie que recèlent certaines situations. On ne pouvait que s’attacher aux personnages mis en scène, et se laisser prendre à son tour au passage. Emmanuel Bouchard nous revient cette fois avec un roman plus intimiste, Depuis les cendres, qui confirme l’acuité de son regard, sa capacité de donner vie à des personnages et d’aborder des sujets délicats avec une simplicité et une profondeur qui ne manquent pas de surprendre.
Depuis les cendres aborde le thème du deuil, celui du père, et celui, sous-jacent, de la quête du fils qui cherche à combler l’absence, le vide. « La poésie n’a pas de cœur. Elle se fiche de ma misère, me regarde tomber avec indifférence. » Ainsi débute la quête d’Hubert. Renouant avec son recueil précédent, et peut-être avec le désir inavoué d’en prolonger l’exploration, Emmanuel Bouchard fait d’abord errer son personnage dans la Basse-Ville de Québec avant de le lancer sur les routes du sud de la France avec, pour tout bagage, un recueil de poésie de Saint-Denys Garneau et des vêtements de son père que sa mère lui donne avant son départ. Le voyage qu’entreprend Hubert lui permettra tout à la fois d’apaiser la douleur qu’il ressent et d’en découvrir le sens en l’inscrivant dans la durée. Le voyage n’est pas synonyme de fuite, il constitue au contraire la trame spatiotemporelle qui permet à Hubert de s’affranchir du poids des remords. « L’éternité de ces traces qui s’impriment dans la mienne, toute courte. Leur interruption : il doit s’agir de cela, le passage du temps. Le temps dont je m’emploie à défaire chacun des plis pour les étaler sur les chemins d’un pays que j’aime un peu plus que les autres. »
Le roman a un côté épique (les références à Homère ne sont pas fortuites) en ce qu’il permet à Hubert d’aller au bout de sa quête : « Personne n’a la vie devant soi ; ceux qui le disent se trompent. La vie, elle est toujours sous vos pieds, au moment même où vous le constatez. Elle ne supporte pas les parenthèses ; ce n’est pas non plus une phrase subordonnée à une autre, un complément de ceci ou de cela. Ce que vous avez devant ou derrière vous, ce n’est jamais vraiment la vie, mais le rêve ou le remords ».
Empruntant diverses voies narratives (carnet de voyage, annotations personnelles, échange de courriels), le roman multiplie les références littéraires ; celles-ci agissent comme autant de marqueurs balisant le voyage qui se superpose au parcours intérieur d’Hubert. Les métaphores et les réflexions introspectives servent ici le propos avec une grande justesse. Par-dessus tout, j’ai été sensible au ton de légèreté qui se dégage du roman et qui le nimbe d’une sérénité apaisante, ce qui représente en soi une réussite pour un second livre. Assurément un auteur qu’il faudra suivre.