Le nom d’Evelyn Dumas (1941-2012) figure au palmarès des personnalités marquantes de l’histoire du Québec. Récipiendaire du prix Olivar-Asselin pour sa carrière journalistique, elle est à nouveau honorée à titre posthume, en 2018, alors que l’on donne son nom à la salle de presse de l’édifice gouvernemental Pamphile-Lemay pour commémorer la pionnière, première femme correspondante parlementaire à l’Assemblée nationale, pour le quotidien Le Devoir. En 1962, une femme dans un monde d’hommes.
Evelyn Dumas a à peine vingt ans et exerce le métier en attendant de poursuivre des études universitaires, le temps que son mari termine les siennes. C’était sans compter la passion du journalisme qui a tôt fait de la gagner et la dissolution de son mariage. Elle réussira des études universitaires en sociologie et en histoire, tout en occupant tour à tour des postes clés dans les grands quotidiens tant francophones qu’anglophones, l’anglais étant sa langue maternelle, ce qui explique l’orthographe de son prénom. Rare journaliste à écrire avec une même aisance dans les deux langues et à bien connaître le monde anglophone, on la retrouvera comme conseillère à l’information à la délégation du Québec, à Boston et à Chicago. Evelyn Dumas a aussi occupé ce poste au bureau du premier ministre René Lévesque, les deux originaires de la Gaspésie entretenant une admiration réciproque et une amitié indéfectible. Elle avait auparavant collaboré avec Yves Michaud à la fondation du journal Le Jour dont elle a dirigé la salle de rédaction. Et combien d’autres contributions lui doit-on, sous le signe de l’engagement politique et social.
Dans son récit biographique et historique, l’autrice Carmel Dumas, de huit ans la cadette d’Evelyn, rappelle, outre le riche parcours professionnel de sa sœur, les relations amoureuses qui l’ont anéantie. Carmel étant la seule membre de la famille installée à Montréal après Evelyn, c’est à elle que l’on fera appel lorsque cette dernière commencera sa descente aux enfers. En effet, dès la fin de la vingtaine, des comportements erratiques de la journaliste surdouée l’amènent de façon cyclique en institution psychiatrique. Elle en décrit elle-même les signes avant-coureurs dans son journal intime, où elle confie notamment son manque d’amour. Carmel, scénariste et réalisatrice à la radio et à la télévision, autrice, mère de deux enfants, répond présente à chaque épisode de désorganisation de sa sœur, pour la réconforter, pour rencontrer les intervenants et s’occuper de démêler les embrouilles administratives et législatives, surtout lorsqu’après des années de crises cycliques, Evelyn a perdu son autonomie. Et que de soucis encore, pour la femme à l’horaire surchargé.
Le récit de Carmel Dumas s’avère un hommage à la sœur aînée pour qui elle a éprouvé une grande admiration et une empathie sans faille. Pour le lecteur, c’est une véritable incursion dans les dédales de la maladie mentale, notamment la bipolarité dont est affligée Evelyn, un enfer pour les personnes touchées et pour leurs proches. Le diagnostic de maladie bipolaire atypique apparaît au dossier médical de celle qui a manifesté son génie et son engagement social dès l’adolescence, qui a eu le courage de mener à bien des projets entre les épisodes psychotiques. Un récit prenant que ce Tête-à-tête avec ma sœur Evelyn. La narration de la détérioration lente mais irréversible de la grande journaliste, de ses allées et venues dans différents hôpitaux, jusqu’au CHSLD, fait ressentir l’immense souffrance des personnes atteintes de cette terrible maladie et de leurs proches.