Une histoire méconnue, qui culmine avec le récent succès électoral du parti Québec solidaire. Un survol historique susceptible de retenir l’attention de toute personne qu’intéresse l’histoire politique du Québec.
François Saillant jouit d’une notoriété certaine, notamment pour ses interventions en tant que porte-parole du Front populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), de 1979 à 2016. Il est également l’auteur de Le radical de velours (M éditeur, 2012) et de Lutter pour un toit (Écosociété, 2018). Il nous offre maintenant cette Brève histoire de la gauche politique au Québec, un ouvrage consacré à une famille politique dont le dénominateur commun est de « porter la cause des travailleurs et des travailleuses sur la scène politique en vue de la construction d’une société plus juste, égalitaire, socialiste dans le sens large du terme ». Le début de l’histoire est fixé ici à la décennie 1880, moment où les premiers candidats ouvriers se présentent aux élections québécoises. Militant de longue date, Saillant ne cache pas son adhésion aux objectifs généraux du mouvement dont il trace le parcours. Son effort d’objectivité, dans la description des diverses incarnations de la gauche politique dans le temps, est confirmé par les nombreuses références en appui à son propos et par le témoignage de plusieurs informateurs clés.
Il est à la fois étonnant et éclairant de suivre le chemin parcouru par la gauche politique québécoise, dans ses multiples ramifications, depuis à peine un siècle et demi. L’ouvrage montre en effet que les idées politiques de gauche ont donné lieu à une succession d’organisations et de débats qui ont progressivement enraciné ce courant dans la société québécoise. La perspective offerte par Saillant nous fait voir comment la gauche politique, bien que son influence fût très marginale pendant la majeure partie de la période couverte, a su de mieux en mieux arrimer son programme et ses actions avec les aspirations du plus grand nombre. En témoigne entre autres cette intervention du syndicaliste Marcel Pépin, lors d’un congrès du parti Mouvement socialiste en 1986 : « Nos thèmes sont plus près du terrain politique et, à mon sens, c’est nouveau. Le ton et les thèmes des discussions sont devenus plus concrets ».
La relation de la gauche indépendantiste avec le Parti québécois est un sujet majeur du livre de Saillant. On en comprend que beaucoup des tenants d’un projet socialiste ont été partagés entre leur désir d’un changement en profondeur des structures socioéconomiques et la possibilité d’une réalisation rapide de l’indépendance sous la direction du parti de René Lévesque. Toutefois, dès l’échec référendaire de 1980, une partie des espoirs créés par le Parti québécois s’effondraient. La deuxième défaite référendaire, en 1995, allait encore renforcer au sein de la gauche l’idée de créer un parti réellement représentatif des travailleurs, capable d’exercer le pouvoir et de réaliser l’indépendance. Après avoir mis en œuvre des mesures sociales-démocrates lors d’un premier mandat, le Parti québécois allait peu à peu se recentrer pour jouer le jeu de l’alternance au pouvoir. Après 1995, sous la direction de Lucien Bouchard, puis de Bernard Landry, le parti avait abandonné complètement, y compris dans le discours, son « préjugé favorable aux travailleurs ».
À partir des années 2000, dans un contexte de prise de conscience des effets délétères de la mondialisation, les velléités d’unification de la gauche politique québécoise donnent lieu à des gestes de plus en plus concrets. L’Union des forces progressistes, d’abord une coalition de plusieurs groupes politiques et syndicaux, devient un véritable parti en 2002. Sous cette bannière, dès 2003, Amir Khadir se présente une première fois dans la circonscription de Mercier. Le jeune parti fusionnera en 2006 avec Option citoyenne, un mouvement fondé par un collectif dont fait partie Françoise David. Le parti né de cette fusion adoptera le nom de Québec solidaire, et on connaît mieux la suite.
L’ouvrage se termine par quelques réflexions de François Saillant sur l’avenir de Québec solidaire, où il a occupé des fonctions de direction et où il milite toujours. Selon lui, pour continuer à gagner la confiance de la population, le parti n’a pas à recentrer son discours : « Le parti ne doit-il pas au contraire se faire plus incisif encore à l’égard du capitalisme, de son productivisme, de sa perpétuelle quête de croissance, de son appétit insatiable pour les profits et les richesses qui a des effets destructeurs sur la majorité de la population comme sur la nature? » L’auteur a toutefois raison de rappeler que rien ne garantit un progrès continu des appuis au parti de gauche. Les récentes évolutions de son programme, notamment le renforcement de son engagement envers l’indépendance et l’adoption d’une position libérale concernant le port de signes religieux par les employés de l’État, auront un effet dont la direction et l’ampleur restent bien difficiles à prévoir.