« L’écriture est un exercice de transformation et de simplification, au bout duquel se trouvent la solitude et la mort. » Pour Alexie Morin, la littérature représente à la fois une délivrance et une chaîne.Ça commence furieusement, ça ralentit, c’est prenant puis je me prends à vouloir sauter quelques pages, mon attention tombe. Les cinquante dernières me secouent : elles s’intitulent « Vanité », elles portent sur la genèse du livre et définissent l’écrivaine. Ce sont mes préférées, à la frontière de l’essai autobiographique. Car Ouvrir son cœur n’est pas un roman. À quoi rime un tel entêtement éditorial ? À une question de sous. Le roman se vend, en principe, mais pas l’essai, pas le journal intime.Ce récit est un brin inégal, et ce, en dépit de l’écriture toujours juste, des formules souvent heureuses, du procédé des épisodes alternés (emploi d’été de la narratrice à la Domtar, conflit avec son professeur d’arts plastiques et ascension d’un pommier quand elle a neuf ans), procédé censé maintenir une certaine tension rythmée. Attachante puis parfaitement chiante, narcissique à l’os et rongée par sa perception fuyante d’elle-même, Alexie est à l’image de ces « princesses » que les parents d’aujourd’hui mettent au monde et bichonnent, son côté répulsif inclus.Ouvrir son cœur gravite autour d’une question essentielle et paradoxale : comment devient-on soi-même ? Deux sentiments ou deux modes d’être au monde habitent la narratrice tout au long de sa quête d’une réponse qui ne viendra pas : la honte et la peur. On pourrait dire peur et culpabilité. Peur : le mot revient souvent.Le récit va heureusement plus loin que la seule petite personne de l’auteure. C’est sa force. Non seulement un cœur s’ouvre mais un rideau se déchire sur un pan bien connu de la société, de l’apprentissage d’autrui et de soi par une enfant puis une adolescente névrosée : la découverte de son corps et de celui des autres, la découverte des mesquineries, celle du nivellement par le bas, bien rendu dans deux ou trois scènes, dont celle où la maîtresse « avait installé au mur un tableau où chaque élève devait inscrire le titre des livres qu’il lisait ». Surprise par la voracité de la petite Alexie, sa prof lui dit qu’elle n’a pas à tout noter : « Non seulement personne ne m’a rattrapée, mais certains de mes camarades ont laissé leur section complètement vide ».Les autres, les autres, ils sont là, partout, toujours, au cœur du plus intense narcissisme. Dans nos vêtements, dans notre look, dans nos façons de parler et d’être. Les femmes et les jeunes femmes se délecteront aux souvenirs des gamineries puis des vacheries dont elles sont tour à tour victimes et responsables.Morin nous présente aussi des ouvriers de la Domtar, l’usine qui emploie les trois quarts de la ville où elle grandit : épais comme ça n’est pas permis, confortablement assis sur leur convention collective et leur sécurité d’emploi, sans envergure ni ambition, la plupart détestent ce qu’ils font, des tâches souvent routinières et abrutissantes, et on devine que la description cynique que propose Morin reste tristement juste. Ils veulent et ils s’achètent des pick-up et des quatre-roues et des maisons toujours plus grosses qui meublent des existences autrement vides de sens. On est aux alentours de l’année 2000, mais le portrait n’a sans doute pas pris une ride.Ouvrir son cœur ratisse un peu plus large que les seuls tourments d’une jeune écorchée, vulnérable et emmerdeuse, même si tout nous y ramène.Morin a du talent : elle le sait et elle nous le dit, sa plongée au cœur d’elle-même en témoigne, et je suis curieux de voir où ce grand talent va la conduire, et nous conduire à sa suite.
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