Ce matin, le ciel est gris-blanc et il pleut sur Saint-Roch. Les fenêtres ouvertes laissent entrer le son d’une pluie tellement bienvenue, des roues de chars sur l’asphalte mouillé et la rumeur voisine des poèmes de Christian Girard.Dans la préface qu’il signait dans Scrapitude (Moult Éditions, 2011), premier livre de l’auteur, le poète Alain Larose écrivait que les poèmes de Girard, inscrits dans une démarche de « littérature erratique », savaient exactement où aller s’égarer. C’est la même impression qui m’étreint tandis que je plonge dans Le temps qu’il fait, livre où faire un pas de côté devient nécessaire, où la poésie se déroule sur un fil tendu entre critique sociale, rêverie, humour brillant, inquiétude bien sentie, révolte et tendresse.Les « Trésors violents », première suite du recueil, sont des tableaux aux teintes sombres et organiques, comme un manifeste, d’où fusent des étincelles : « C’est un nid d’oiseaux fous dans l’incendie du verbe, un fleuve immense dans l’échancrure de la tristesse. Ça ne regarde jamais des deux côtés d’un miroir avant de le traverser. C’est une audace parmi les décombres du monde ».D’une suite à l’autre, la poésie mue. Elle passe d’une prose dense à des vers très brefs, où le poète emprunte aux formes du bulletin météo ou de la petite annonce pour offrir par moments des textes qui s’approchent du haïku décalé. La vague est légère, malgré le poids et la mélancolie de certains textes. La voix de Christian Girard a la particularité d’être portée par un humour grinçant, tout en étant chargée d’angoisse, de gravité et d’étonnement. Toute la suite « Météo », ma favorite, en témoigne. Elle fait la part belle aux flâneurs, aux rêveurs, ceux qui se taisent et observent ; elle me laisse la sensation que le poète défend une certaine fantaisie, un droit à la lenteur, à la beauté de l’ennui, à la moquerie. En ce sens, le livre entier est un pied de nez en réponse à notre époque, à ses débordements et à ses dangers. Dans « Loin du paysage », on se déplace en zone intérieure : « Pour qui sait lire les yeux fermés, / l’ennui produit ici / quelques miracles ».L’intime reste lié au dehors, le regard du poète est clair sur un monde qui l’est beaucoup moins, le quotidien et l’inattendu se marient dans des images qui surprennent autant qu’elles émeuvent. Christian Girard creuse, semble chercher quelque chose de perdu, pas l’enfance, mais quelque chose qui s’en approche, dans ce qu’elle porte d’innocence, de magie. Le regard propre à celle-ci est évoqué à quelques reprises dans des poèmes d’une sensibilité assumée : « J’y ai vu mon enfance / trier ses larmes, / ses sourires, / comme des travaux forcés / dans l’attente / du cri parfait ».De ses poèmes, Christian Girard bâtit des refuges (marécage, île, chalet, maison), des lieux de solitude et d’isolement. En position de retrait, l’auteur en appelle au silence et réussit le tour de force de lui redonner sa puissance, à des lieues de l’habituel cliché du silence en poésie.Si la section « Petites annonces » peut sembler anecdotique à côté des autres suites du livre, elle se révèle au contraire un fort condensé de l’ensemble du recueil. Tout s’y trouve, sous des jeux de mots et des airs frivoles, et elle reste, elle aussi, empreinte du croquant, de la vivacité qui embrasse le livre en entier et qui fait écho, tristement, étrangement, à la réalité des derniers mois. En quatrième de couverture, on m’intime de rester à la maison, comme si dehors était une menace. Pourtant, au-delà du danger, la vie, la peur, l’exaltation, la laideur comme la beauté, tout palpite et invite : « La terre est si petite et le hasard à la portée de n’importe qui ».
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