Après avoir entraîné ses lecteurs en Mongolie, en Islande et au Brésil, l’auteur les amène cette fois en Arménie (Turquie), à la découverte du génocide de 1915. Un devoir de mémoire qui s’inspire de la vie tumultueuse de ses grands-parents Haïgaz et Araxie Manoukian, émigrés en France dans les années 1920.
Ian Manook, un des pseudonymes de l’écrivain français Patrick Manoukian, signe bien entendu, selon son habitude, un roman d’aventures avec L’oiseau bleu d’Erzeroum, mais grâce à des témoignages de première main, il raconte aussi les horreurs du génocide arménien, que la Turquie actuelle ne reconnaît toujours pas. Sa grand-mère Araxie, née à Erzeroum en 1905, n’était qu’une toute petite fille lorsque sa famille entière a été décimée par des hordes meurtrières en folie. « Quelque part à Istamboul, dans les palais dorés de la nouvelle République, des hommes attendent ces listes pour vérifier leurs calculs : dans aucune province de la grande Turquie il ne doit rester plus de cinq pour cent d’Arméniens. » Selon les responsables du massacre, les Arméniens devaient payer pour avoir été « le premier royaume chrétien au monde ».
Araxie, dix ans, et sa petite sœur aveugle Haïganouch, six ans, connaîtront les abominables routes de la déportation des Arméniens vers le désert de Deir-ez-Zor, en Syrie, et tous les sévices associés : viol, faim, soif et épuisement. Bref, un exil vers une mort assurée. Elles seront miraculeusement protégées par une généreuse inconnue, puis vendues comme esclaves à une famille musulmane syrienne. Un court répit pour les deux enfants, car peu après leur arrivée à Alep, Haïganouch sera revendue à un vieillard et sortira à tout jamais de la vie de sa sœur. Elle réapparaitra à Erevan, en Arménie soviétique, puis à Moscou et sera plus tard expatriée volontaire, amoureuse et heureuse, sur les berges du lac Baïkal, en Sibérie.
De son côté, Araxie repartira sur les chemins de l’exil qui l’amèneront cette fois à Lyon, où son destin croisera celui de son futur mari, né Mgerditch Takian à Marach, en Cilicie. Il changera son nom en Haïgaz Manoukian et à quatorze ans rejoindra les fédaïs, les milices d’autodéfense arméniennes, puis mènera à son tour une existence mouvementée. Le couple s’établira à Meudon et viendra enfin pour eux un temps de paix. « Araxie est fière et heureuse. Elle vit en France. Elle aime Haïgaz. Elle adore Gaïzag, son garçon. »
Au-delà de la trame principale, Manook propose de nombreux personnages secondaires et des digressions qui portent parfois à confusion. Le lecteur se perd dans ces histoires parallèles qui se poursuivent en Allemagne ou aux États-Unis, et où s’agitent dans l’ombre plusieurs personnages historiques, dont Mustafa Kemal, Staline ou Hitler. « Ce M. Hitler n’intéresse pas plus [le président] Coolidge que les pauvres Arméniens n’intéressaient Wilson. »
Faisant déjà l’objet d’un récit paru en 1983, Le fruit de la patience, écrit par Pascal Manoukian, le jeune frère de Patrick, l’histoire de leurs grands-parents devient dans L’oiseau bleu d’Erzeroum une intense saga où l’histoire, la politique et les enjeux de société s’entremêlent jusqu’à la fin du livre, alors qu’en 1939 se profile déjà la Deuxième Guerre mondiale.
Manook en serait-il à préparer le deuxième tome d’une trilogie à venir ?