L’auteur enseigne la sociologie à l’Université de Paris. Il s’intéresse en particulier à la sociologie cognitive, c’est-à-dire aux croyances collectives et à leurs effets sur notre monde. Dans son dernier ouvrage, il se penche sur notre fascination pour les écrans et pour la place que ceux-ci prennent dans ce qu’il appelle « le temps cognitif » de nos cerveaux.
L’apocalypse dont il est ici question ne renvoie pas à un quelconque cataclysme, mais plutôt à l’origine grecque du terme, qui signifie « action de découvrir ». L’auteur veut en effet nous mettre face à notre image en nous révélant ce que dit de nous notre addiction à ces plateformes numériques – téléphone intelligent, tablette, montre branchée, ordinateur, etc. Derrière elle se cachent, nous dit-il, nos ataviques propensions à la peur, au conflit ou à la sexualité. Posées, par lui, comme des pulsions invariantes depuis l’apparition de l’Homo sapiens, leur surexploitation par nos nouveaux outils technologiques risque de plonger notre civilisation dans un affaissement dont elle aura du mal à se sortir, nous prévient-il.
Comment une technologie qui augmentait notre disponibilité mentale comme jamais aucun outil ne l’avait fait avant et qui devait permettre à tous d’accéder à la connaissance universelle, qui promettait de fédérer les êtres humains en les réunissant dans un immense réseau, et partant, permettait d’espérer l’avènement d’une société fondée sur le règne de la raison, comment une telle technologie peut-elle être perçue aujourd’hui comme une menace à l’humanité ?
En rendant possible la diffusion massive et instantanée de toute information et, simultanément, en faisant sauter les verrous constitués autrefois par les « gardiens » (gate keepers) qui régulaient le flux de l’information (journalistes, éditeurs, présidents de chaîne télé, galeristes, institutions reconnues, etc.) et qui en validaient le contenu, l’homme moderne s’est retrouvé devant un « marché cognitif » totalement dérégulé, livré à toutes les manipulations et où le bon sens a fait place aux théories du complot les plus folles, où les croyances ont pris le pas sur la connaissance, où la réalité virtuelle, pour certains, est devenue plus alléchante que le réel, où la pornographie est désormais pléthorique, où la montée des intolérances de toute nature fait que le moindre débat tourne à l’affrontement. Bref, nous dit Bronner, l’homme se retrouve aux prises avec ses pulsions les plus primitives.
Ce qui aggrave encore la situation, c’est l’attraction qu’exercent ces nouveaux outils sur l’esprit. Bronner nous apprend par exemple qu’une personne consulte l’écran de son cellulaire 220 fois par jour en moyenne. Pas étonnant qu’on parle de thérapie de désintoxication quand on aborde la question des nouvelles technologies. À travers ces dérives, rappelons-le, c’est de nous dont parle Gérald Bronner dans Apocalypse cognitive.Notre éminent universitaire appuie son analyse sur une multitude d’enquêtes, de recherches, de statistiques, d’articles savants dont il fait la nomenclature tout au long de son discours. Il y en a tant qu’on se demande parfois s’il a pris le temps d’en mesurer la validité ou l’exactitude (les comédiens en lice pour un Oscar et qui ne le reçoivent pas voient-ils vraiment leur espérance de vie réduite de quatre ans ? En coûte-t-il vraiment quatre millions pour que ses cendres reposent près de celles de Marilyn Monroe ?). En outre, Bronner écrit souvent dans un style alambiqué et recourt fréquemment à un jargon inutilement abscons (« signes horoscopiques » pour signes astrologiques, « incomplétude cognitive » pour ignorance du dénouement, « artéfactuel » pour désuet, etc.), ce qui rend souvent sa lecture fastidieuse. Qui peut s’accommoder de ces travers et d’une certaine redondance dans la démonstration prendra plaisir à lire Apocalypse cognitive, ne serait-ce que pour la quantité d’amuse-gueules intellectuels qu’il contient, comme ceux sur les recalés des Oscar et les cendres de Marilyn.