Avec son dernier opus, l’auteur ne déroge pas des thèmes de prédilection auxquels il nous a habitués depuis Extension du domaine de la lutte (1994) : la misère existentielle, la cruauté des chairs vieillissantes et mortelles, le sexe supérieur à l’esprit, le cynisme face à la condition humaine et au devenir des civilisations.
Cependant, j’ai eu l’impression cette fois-ci d’un Houellebecq quelque peu adouci. Non pas que ces thèmes soient absents d’Anéantir, ils me semblaient seulement être moins soulignés au crayon gras. Peut-être est-ce dû à mon habitude de fréquenter cet auteur honni par les uns et admiré par les autres ?
Mais que nous raconte Houellebecq dans ce roman qui fait plus de 700 pages ?
Nous sommes en 2026. Paul Raison (la plupart des personnages ont des noms triés sur le volet) travaille au cabinet de Bruno Juge, ministre français de l’Économie et des Finances. Sa tâche est plus ou moins bien définie. En tout cas, il s’occupe de l’horaire de son patron. Son véritable rôle semble être celui de confident. Bruno est compétent, mais il est assez froid. À l’aide d’une conseillère en communication – les élections arrivent –, ce comportement sera appelé à changer. Paul et Bruno ne sauraient se passer l’un de l’autre. Ils ont ceci en commun que leur vie de couple bat de l’aile. Le couple Paul et Prudence (le nom provient de la chanson Dear Prudence des Beatles) connaîtra un revirement plutôt inhabituel chez Houellebecq.
Le roman s’ouvre sur une vidéo envoyée à Bruno Juge. On l’y voit en train de se faire décapiter. Rien de moins. Le procédé numérique utilisé est tellement bien fignolé, le réalisme, si convaincant que des spécialistes conviennent qu’il s’agit de terroristes détenant des moyens extraordinaires. Ces terroristes reviendront à la charge, non plus dans le monde virtuel, mais dans le monde réel. Faut-il soupçonner des actes commis par la gauche ? S’attaquer à une banque de sperme ne lui ressemble guère. La droite ? Peut-être, puisqu’ils s’en prendront plus tard à des immigrants, mais on n’est sûr de rien.
En parallèle, le père de Paul, un ancien de la sécurité intérieure, subit un AVC. Paul renoue alors avec sa sœur Cécile et son jeune frère Aurélien avec lequel il n’entretenait que peu de contacts. S’ensuit toute une réflexion sur le traitement réservé aux personnes âgées et le pouvoir médical.
Après 300 pages de lecture, j’avoue que je me suis demandé où Houellebecq voulait bien nous mener avec tous ces thèmes : politique française, terrorisme, asexualité, euthanasie, écofascisme, mouvement religieux, vie de couple, etc. Il ouvre plusieurs portes sans les refermer, des personnages secondaires affluent et disparaissent. Des rêves faits par Paul s’insèrent dans le texte sans préambule. Ils m’ont laissé plutôt interdit. Après deux ou trois de ces récits oniriques, j’ai fini par m’y habituer, mais, à mon avis, ils n’ajoutent rien de substantiel au récit général. Ce n’est que lorsque Paul revient véritablement sur le devant de la scène que j’ai repris un véritable intérêt à ma lecture.
J’ai un faible pour ces passages dans lesquels Houellebecq se fait critique des civilisations. Ainsi celui sur le culte voué à la jeunesse. « En accordant plus de valeur à la vie d’un enfant – alors que nous ne savons pas ce qu’il va devenir, s’il sera intelligent ou stupide, un génie, un criminel ou un saint – nous dénions toute valeur à nos actions réelles. »
Il y a mille leçons à retenir d’Anéantir. Je retiens celle-ci : nous n’étions peut-être pas faits pour vivre, mais apprécions notre chance quand elle se présente.