Il existe des livres qui m’habitent comme des lanternes, qui se superposent à mes impressions, me donnent la sensation d’être plus présente. Ceux de l’autrice sont de cette trempe-là.
À chaque page, les espaces sont porteurs d’instantanés. La poète les transporte, parfois sur de longues distances, d’autres fois sur de très courtes, pas plus loin que le bout de la rue, quelques pas dans la maison entre deux pièces ; on traverse des saisons, des chemins de souvenirs, de désir.
Les gestes de tous les jours, s’habiller, se regarder dans le miroir, travailler, cuisiner, sont sublimés à travers l’écriture de Mackay, qui dépasse de loin l’anecdote. La poète crée du sens avec ce qui semble à première vue banal. Elle construit un monde impressionniste, trace à la craie les contours des arbres « sur les quarante-huit dalles de béton de la cour arrière ». Je me trouve en état constant d’émerveillement, devant ces poèmes qui mettent en lumière d’un côté une sensation de creux, le manque de l’enfance, ses fantaisies, ses promesses, et de l’autre, une forme de plénitude, faite de moments passés avec ceux qu’elle aime ou perdue dans ses pensées. Contrées m’apparaît comme une quête minutieuse pour combler l’écart entre ces deux émotions : « je suis à la recherche constante / de l’air / juste un peu d’air / une fenêtre ». Entre le milieu du travail, l’envie d’écrire, le besoin d’être auprès de l’amoureux et de l’enfant, l’autrice cherche un équilibre, un espace où se déployer. Les lieux familiers, une chambre, un atelier, une terrasse, une cuisine, ouvrent vers des paysages intérieurs riches de réflexions. Par son regard acéré, connecté à son intériorité, Xavière Mackay anime l’immobile, regarde de biais, à travers un filtre curieux et rêveur. Elle montre l’unique dans l’habituel. (Est-ce réellement si simple ou banal, un baiser amoureux sur le front, un verre partagé dehors, une coupure sur le bout d’un doigt ?) La lire réenchante les heures les plus vastes. Ses poèmes me plongent dans de profondes méditations sur l’ennui, l’amour, l’écriture, ils me font sourire et m’émeuvent tant ils sont justes.
Dans l’univers que Xavière Mackay met en place, certains événements se répètent, des moments qui constituent la vie, tissent la trame de nos existences. On les retrouve dans des textes aux mêmes titres, comme des tableaux dépliés, « Pas encore » I et II, « Contrées » I à V, ou encore dans des éléments factuels qui me ramènent aux mêmes endroits : la température « (il fait moins trente-trois degrés dehors) », les quarante-huit dalles de béton dans la cour, le jardin, la rivière, les routes qui conduisent vers d’autres facettes de nos vies. La poète creuse sa présence au monde, et du même coup, la nôtre, la mienne, son rapport aux jours, à l’amour, à travers des poèmes qui s’ouvrent sur l’entre-deux, la passion, une certaine langueur salvatrice. Son regard oscille entre étonnement, ennui, humour bien senti : « cette lumière qu’on célèbre / comme un retour d’impôt » ou « quand le soleil décline / les feuilles d’érable se flétrissent / deviennent inintéressantes et moches / molles et bonnes à rien / c’en est gênant pour elles ». Elle superpose des jours passés au présent, elle se questionne sur le fait de profiter ou non des beautés qui sont à sa portée, tout s’enchaîne, tout devient source d’éblouissement.
Xavière Mackay dédie Contrées « À la mer / Aux miens », un signe de reconnaissance adressé à l’immensité, aux lieux de l’enfance, à la vie et aux liens. Elle pose son attention là où ça en vaut la peine, sur ce qui compte à ses yeux, à son cœur. Les poèmes de Pont Rhodia, premier ouvrage de l’autrice paru également au Quartanier, brillaient par leur lucidité empreinte d’humour, et ces nouvelles offrandes poursuivent dans la même lignée. Elles confirment une voix qui nomme la course lente des jours et leur richesse comme peu savent le faire, en ne disant pas tout, mais plutôt « juste assez », c’est déjà immense.