De Quintilien à Daniel Pennac, en passant par Michel de Montaigne, Jean-Jacques Rousseau, Émile Chartier, etc., nombreux ont été les penseurs à dénoncer les lacunes de l’éducation à leur époque respective et, partant, à en recommander l’amélioration.
Tantôt doctement ou sentencieusement, tantôt avec humour et ironie, tantôt encore avec humeur et véhémence, les façons de mener ce procès ne manquent pas de variété. L’enseignant Jean-Marc Limoges s’inscrit dans cette longue tradition avec un livre-témoignage à teneur autobiographique. Ayant « souffert de l’enseignement de mauvais profs » toute sa vie, il porte un jugement sans appel sur l’éducation qui, à ses yeux, sévit « encore au Québec : un enseignement terne, fade, morne, dépourvu de joie et de plaisir, un enseignement reposant sur l’humiliation et la punition – sur la ‘correction’–, un enseignement qui nous prépare à tout sauf à penser ». Les éducateurs et pédagogues, ces « Maîtres ès incompétences », sont stigmatisés sans ménagement. Une seule professeure qu’il évoque en fin d’ouvrage semble trouver grâce à ses yeux. Les autres, véritables « éteignoirs » qui « meugl[ent] », « vocif[èrent] », « pépi[ent] », « péror[ent] », « mugi[ssent] », « barytonn[ent] », s’ingénient pour la plupart à maintenir leurs élèves dans l’ignorance ou dans l’ennui. On a compris que Limoges se veut sciemment provocateur et ironique. Il n’hésite d’ailleurs pas à se qualifier au passage de « cynique et arrogant ». On constatera en outre qu’il manie la plume avec dextérité dans un ouvrage hybride qui enchaîne souvenirs d’écolier, anecdotes personnelles, lettre ouverte, mise en scène d’une entrevue d’emploi, etc. Certains lecteurs entérineront son sévère constat, d’autres en revanche le trouveront excessif et peu nuancé. Cela dit, une vision constructive et innovatrice de l’enseignement nous est-elle proposée à travers ce réquisitoire ? Quelles sont les bases qui selon Limoges relèveraient la pédagogie ? La réponse à cette question surprendra : il s’agit de rendre jaloux et envieux les apprenants. « C’est parce qu’il [le professeur] prêtera à ses étudiants un savoir qu’on n’a pas que, pour ne pas le décevoir en retour, on se pressera de l’acquérir. C’est en titillant ainsi leur envie qu’il suscitera leur jalousie et qu’il les poussera à rattraper ce qu’on considérera dorénavant comme un gênant retard. » Voilà une approche qui a le mérite d’être originale, mais dont on peut douter de l’efficacité ! Si une telle émulation peut porter fruit chez certains, ne risque-t-elle pas de susciter honte et découragement chez d’autres ?
En somme, oubliez l’idéalisme tout en retenue de Mr. Keating dans La société des poètes disparus, ou la philosophie sous-tendue par la recherche scientifique de La dure école (2016) de Normand Baillargeon. Oubliez également Chagrin d’école (2007) de Daniel Pennac avec ses petites victoires pédagogiques et ses professeurs « sauveurs d’élèves » en difficulté. Il ne s’agit pas ici, comme dans Le chemin de l’école(2019) d’Yvon Rivard, de faire l’apologie de la lenteur ou de dénoncer l’utilitarisme des apprentissages et la culture de la performance, mais plutôt d’étriller avec une verve caustique des institutions pédagogiques qui ont failli à la noble tâche, nous dit Jean-Marc Limoges, de « décloisonner nos esprits, titiller notre curiosité et encourager le dépassement ».