Un roman historique se définit comme une œuvre fictive basée sur une toile de fond historique, mais où il est difficile pour le lecteur non familier du sujet de départager le vrai du faux.
Billy Wilder et moi débute par des faits véridiques, même si Jonathan Coe n’a jamais rencontré l’auteur de Sept Ans de réflexion (The Seven Year Itch). Après des années du succès à Hollywood – avec notamment deux films mettant en vedette Marilyn Monroe –, le réalisateur Billy Wilder (1906-2002) se rend à Munich pour y tourner ce qui sera son avant-dernier long métrage, Fédora (1978), dont l’intrigue autour d’une actrice vieillie et déchue s’apparente à son classique Boulevard du crépuscule (Sunset Boulevard, 1950). Peu avant son départ, une jeune Grecque, Calista Frangopoulos, s’introduit dans l’entourage du cinéaste. La partie centrale contient la trouvaille la plus originale de ce roman : deux longs passages totalisant une cinquantaine de pages sont rédigés comme la transcription d’un scénario ; le texte délaisse provisoirement la forme proprement romanesque pour emprunter le style scénaristique, avec des descriptions des actions et des images suivies de dialogues.
« BILLIE pénètre dans le bureau et EMERIC lève les yeux et lui sourit, sincèrement ravi de le voir.
EMERIC
Salut Billie, quoi de neuf ?
BILLIE
Pas grand-chose. Dis, est-ce qu’il y a du nouveau pour mon scénario sur l’ivrogne ? Il en pense quoi Gorrell ? »
Cette bifurcation stylistique alimente de nouveau la question de la délimitation (et de la cohabitation) des genres littéraires, déjà abordée ailleurs à propos de l’esthétique du scénario, à savoir : est-ce que le scénario, conçu pour guider le tournage d’un éventuel film, peut être considéré comme une véritable œuvre littéraire, avec ses qualités narratives, son style et sa littérarité ? Et en outre, si un scénario est reconnu comme une œuvre littéraire, peut-il encore et toujours constituer un matériau pour guider les acteurs et techniciens en vue d’un tournage ? Cette question revient à l’esprit au fil des pages, mais Jonathan Coe n’y répond pas.
En annexe, Jonathan Coe reconnaît s’être inspiré de plusieurs livres d’entretiens sur le cinéma, et notamment l’excellent Billy Wilder in Hollywood (1988), jamais traduit en français, de Maurice Zolotow. Les cinéphiles à la recherche d’une vraie biographie du cinéaste de Certains l’aiment chaud seront sans doute déçus, mais ils pourront se contenter en consultant les quelques sources authentifiées et plus précises répertoriées dans la bibliographie.
Paru dans la prestigieuse collection « Du monde entier » consacrée à la littérature étrangère, Billy Wilder et moi contient sa part d’imaginaire et d’extrapolations et fourmille d’allusions à des noms du cinéma du milieu du XXe siècle : Gottfried John, acteur fétiche et méchant récurrent des films de R.W. Fassbinder, ou encore Charles Laughton, autre acteur campé dans les rôles antipathiques. Le style de Jonathan Coe est maniéré à l’extrême, avec un goût prononcé pour s’attarder aux menus détails, en suggérant des images : « Monsieur Wilder opina d’un air pensif et tapota le bout de son cigare dans le cendrier posé devant lui pour en faire tomber la cendre ». En raison de ses longueurs, ce Billy Wilder et moi n’est toutefois pas le meilleur roman de Jonathan Coe, ni la porte d’entrée idéale dans l’univers du cinéaste ; ses films indémodables restent un préalable.