Le scénario de ce classique du cinéma québécois montre un « sympathique » usurier, Polo, exploitant les plus pauvres que lui, au cœur d’un quartier populaire de Montréal, au coin des rues Saint-Denis et Rachel, au milieu des années 1970.
La publication du scénario de L’eau chaude, l’eau frette permet de lire textuellement le message du cinéaste-scénariste, tel qu’il est suggéré dans le film et clairement annoncé, noir sur blanc, dans le synopsis qui précède la séquence d’ouverture : « [V]éritable métaphore du Québec, où les exploités célèbrent leurs exploiteurs ». On y suit un groupe de personnages insolites habitant un immeuble où tout le monde se connaît et se trahit.
Sur le fond, les œuvres d’André Forcier sont dans la continuité du réalisme poétique, propre à certains films français du début du parlant, pensons à Jean Vigo et aux premiers Jean Renoir comme Le crime de monsieur Lange (1936), ou même le Truffaut de Domicile conjugal (1970). Mais les films de Forcier ont une esthétique urbaine et un ancrage montréalais. Le scénario de son long métrage précédent, Bar salon(1974), avait également fait l’objet d’une publication sous forme d’un dossier annoté et illustré. Film de la jubilation, L’eau chaude, l’eau frette méritait pleinement une telle publication, près d’un demi-siècle après son tournage. Mais ce scénario pourtant très étoffé ne peut pas prétendre remplacer le long métrage du même nom ; c’est davantage un complément indispensable à une œuvre imagée et interprétée avec maestria. Ainsi, on peut bien lire les répliques de la séquence 28 sur la réinstallation, mais pour en saisir toute la force, il faut absolument voir à l’écran l’attitude lasse et quasi grotesque de Jean Lapointe (Polo) quand il dit, presque sans émotion : « Va te r’poser, pitoune » ; aucun spectateur ne pourra s’empêcher d’éclater de rire. En revoyant cette scène au vocabulaire cocasse jouée sur un ton sérieux, on se demande combien de prises de ce plan tellement risible auront été nécessaires lors du tournage.
Cette lecture inspirera les scénaristes en herbe qui souhaiteraient consulter un modèle de découpage technique, car il ne s’agit pas d’une novellisation ni d’une retranscription a posteriori des dialogues du film (comme c’est souvent le cas), mais au contraire du scénario initial ayant ensuite servi aux acteurs lors du tournage. En annexe, un entretien très instructif avec André Forcier nous révèle que, lors de la distribution des rôles, beaucoup de jeunes comédiens à la diction soignée n’avaient pas assez l’accent québécois : « [J]e ne voulais pas des acteurs qui allaient ‘perler’ avec l’accent d’Outremont ». Quant au titre – équivoque – de ce film qui ne montre pas de robinets, l’auteur explique qu’il s’agit d’une expression entendue un jour et notée par son ami, l’acteur Jacques Marcotte (1948-2015), pour signifier la perte de repères et « pour exprimer l’idée que le monde ne sait pas ce qu’il veut ». André Forcier nous donne une autre clef en reformulant le titre dans son contexte initial : « L’eau chaude, l’eau frette ; on sait pus où est-ce qu’on s’en va ».