Il était une fois… de paisibles habitants, quoique parfois exaltés ou même ombrageux, d’un tout petit village islandais dont les vies s’entremêlent davantage au bureau de poste, à la coopérative agricole, à l’atelier de tricot ou à l’abattoir qu’à l’église ou au cimetière dont les fermiers ne voulaient pas.
Dans Lumière d’été, puis vient la nuit, roman de Jón Kalman Stefánsson, les personnages qu’on aurait pu croire quelconques ne le sont guère. Ils intriguent, fascinent et attendrissent aussi. Le pays étant situé entre le 63e et le 67e parallèle – le cercle polaire arctique est au 66e –, inutile de dire que les journées d’été sont longues dans le fameux petit village islandais, qui bénéficie ainsi de plus de vingt heures d’ensoleillement par jour. Tout peut arriver à la belle saison, en attente de l’hiver où tout basculera alors dans le noir et le froid.
L’auteur connaît bien la région nord-ouest de l’île, là où a lieu l’action du roman, puisqu’il y vit lui-même, précisément à Vestfirdir, le point le plus éloigné de l’Europe, près du Groenland. Est-ce pour cela que les histoires que Stefánsson raconte sont si touchantes, tellement vivantes ? On sent qu’il aime ses personnages, qu’il les connaît bien, qu’il les a peut-être fréquentés et a pu prendre un verre avec eux dans un des rares lieux de rencontres de cette presqu’île du bout du monde. « Certes, il est stupide d’imaginer connaître quelqu’un de fond en comble, chacun abrite toujours en lui des recoins sombres parfois aussi vastes que des palais. »
L’humanité dont fait preuve l’auteur, combinée à un talent certain pour la narration, ne peut que confirmer l’universalité du propos. Stefánsson s’impose ainsi comme un écrivain de premier plan. Magnifiquement traduite par Éric Boury, cette comédie humaine est présentée avec humour, beauté et tendresse dans un endroit où il ne se passe rien à première vue. Et pourtant. Le narrateur confirme : « Il y avait jadis tant d’innocence dans le monde, qu’ici, au village, il suffisait d’employer un policier à temps partiel, le chemin qui menait au Ciel était sans doute plus court et celui descendant vers l’enfer d’autant plus long ».
Que de sagesse est déployée dans ce village et chez sa poignée d’habitants, à peine 400 âmes, où se manifestent parfois les fantômes. « Si nous ne transformons pas notre mode de vie et notre quotidien, nous courrons à notre perte. Nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis. Nous sommes à la fois le juge, le peloton d’exécution et le prisonnier attaché au poteau. »
Jón Kalman Stefánsson est né en 1963 à Reykjavik et y a étudié la littérature. Il ne publie son premier roman qu’en 1997, mais se fera rapidement connaître avec la trilogie formée de Entre ciel et terre, La tristesse des anges et Le cœur de l’homme. Son œuvre, aujourd’hui traduite dans une vingtaine de langues, a reçu de nombreux prix, c’est le cas notamment du diptyque D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds et À la mesure de l’univers, qui a été suivi du très remarqué Ásta.
Lumière d’été, puis vient la nuit faisait partie de la deuxième sélection du Médicis 2020, roman étranger. Quand même.