Après avoir consacré deux livres à ses pères adoptif et biologique, Éric Fottorino tourne cette fois son regard vers celle qui a toujours été là, à ses côtés, sa mère, dont on aurait pu croire à certains moments qu’elle était sa grande sœur tant la différence d’âge était minime.
Mère à dix-sept ans d’une jeune fille qui lui sera aussitôt enlevée parce que née hors des liens du mariage, elle aura par la suite trois enfants, trois garçons. Éric Fottorino poursuit ici sa quête identitaire, mais ne nous y trompons toutefois pas : les noms, prénoms et noms de lieux concourent autant à donner aux faits racontés une couche de véracité qu’à servir la fiction, l’auteur se tenant constamment en équilibre entre ces deux pôles. Les principaux protagonistes que nous croisons dans ces romans ont leur double réel, mais ils n’en demeurent pas moins des personnages romanesques à part entière. Le point de départ repose ici sur des faits réels, mais l’inévitable reconstitution de la mémoire, ajoutée au travail d’écriture, joue pleinement son rôle.
Rappelons brièvement le contexte dans lequel s’inscrit la quête de l’auteur et le travail du romancier. Dans L’homme qui m’aimait tout bas, Éric Fottorino rendait hommage à son père adoptif, qui s’était donné la mort en 2008. Le portrait qu’il traçait de l’homme qui avait épousé sa mère, et lui avait donné par le fait même son nom alors qu’il n’avait que neuf ans, était empreint de tendresse et de reconnaissance. Avait par la suite suivi Questions à mon père qui, comme son titre l’indique, soulevait cette fois les innombrables questions liées à la filiation dès lors que l’on cherche à comprendre qui l’on est lorsqu’on interroge son visage dans une glace. D’où les questions adressées au père biologique, un médecin marocain qui s’était vu contraint de renoncer à épouser la jeune fille qu’il aimait avant même de savoir qu’il lui avait donné un fils. Juif de confession, il s’était vu refuser par la famille de la jeune fille, bien catholique et bien bourgeoise, le statut de père, avant qu’elle ne déployât ses efforts pour lui retirer celui de gynécologue pratiquant dans une clinique bordelaise et, bien entendu, de citoyen français. Moshe n’eut d’autre choix que de retourner vivre au Maroc, où il se maria quelques années plus tard et eut d’autres enfants.
Cette double quête achevée, Éric Fottorino se tourne cette fois vers la figure maternelle. Le roman débute alors que Lina, la mère, reçoit ses trois fils, leurs conjointes et ses petits-enfants. Après le repas, leur dit-elle, elle requiert un moment seul avec ses fils pour leur livrer un secret : elle lève enfin le voile sur l’enfant qui lui a été retirée dès la naissance. Pour le personnage d’Éric, c’est le choc, la stupeur, voire une certaine colère à l’égard de celle qui leur aura caché l’existence de cette demi-sœur qu’ils n’auront jamais connue. À la veille des fêtes de Noël, il décide de prendre l’avion pour Nice afin de retrouver la trace de cette sœur perdue, et de cette mère qu’il croyait connaître tout en sachant au fond de lui-même qu’il n’en avait deviné que les contours durant toutes ces années. Que sait-on vraiment de nos parents ? Le narrateur remonte le cours du temps, enquête sur la vie de Lina, à la recherche du moindre indice qui lui restituerait les lambeaux de viequi lui échappent. Comme dans les romans précédents, le narrateur s’adressera à l’absente tantôt sous la forme interrogative, tantôt en poursuivant avec cette dernière un dialogue imaginaire. Lena est aujourd’hui atteinte de diplopie, un trouble de la vue qui lui fait percevoir deux images pour un seul objet, ou deux souvenirs pour une seule réalité. À elle seule, cette métaphore résume la quête identitaire. Cette recherche qui le ramène au lieu qui le vit naître demeurerait incomplète sans la présence de Lina, réelle cette fois. La troisième partie du roman est consacrée à uneescapade où, enfin réunis, mère et fils revisitent une dernière fois les lieux porteurs de souvenirs et de questionnement, de regrets, de tendresse et d’humour.
Telle la pièce manquante d’un puzzle qui nous serait livrée, le roman vient combler les vides auxquels les précédents romans n’avaient pu répondre. La quête identitaire entreprise par Éric Fottorino trouve ici son aboutissement.