LES DERNIERS DIEUX

Les mythes grecs sont une source inépuisable d’inspiration. Ainsi en est-il de Tirésias surtout célèbre comme devin, mais dont le destin a été rapporté de diverses façons par les écrivains de l’antiquité gréco-romaine. Dans son dixième roman, la Manitobaine Simone Chaput suit fidèlement la version des Métamorphoses d’Ovide en la transposant dans les États-Unis d’aujourd’hui.

Écrivain important, Thierry se voit offrir un long séjour dans une villa qui appartient à son éditeur, quelque part sur les bords de l’Atlantique, mais pas très loin de son domicile new-yorkais. Cette villa est bordée par une forêt magique, encore sous l’emprise des dieux. Fantasque, Thierry décide de s’y promener. Comme Tirésias, Thierry est transformé en femme lorsqu’il interrompt l’accouplement de deux serpents. Sept ans plus tard, il dérangera un autre couple de serpents et redeviendra l’homme qu’il était. Entre ces deux temps, il devra assumer son corps de femme, belle tout de même, qu’il nomme Thérèse.

Ce nouveau corps l’introduit à la psychologie de la femme. Thierry demeure conscient des bouleversements qu’il vit et de l’écart qu’il y a entre son lui d’homme et celui de la femme qu’il est devenu, symbole d’une société en mutation, comme le lui rappelle son ami Julien.

De nombreuses anecdotes ponctuent le roman dont la plupart naissent à cause de la transformation de Thierry. Toutes suivent fidèlement la trame du mythe. Ainsi Thérèse accouchera d’une enfant, Manon Antonine qu’on appellera familièrement Manto, nom d’une des trois filles auxquelles Tirésias a donné naissance, et redevenue homme, il succombe à la pression de sa conjointe Lo Shen qui lui demande qui de l’homme ou de la femme jouit le mieux. Ce secret, Thierry ne doit pas le révéler, mais il succombe à la pression de Lo Shen et lui dit que « des dix parts du plaisir, l’homme n’en connaît qu’une seule ». Une fois de plus, les dieux interviendront : il sera aveugle, mais doué de voyance.

Pour Julien qui deviendra l’époux de Thérèse (et le père de Manto), celui-ci « a capté l’univers en mutation, le monde des identités instables, des moi multiples ». Il incarne « l’incertitude et la duplicité » de l’époque actuelle. Là était sans doute le projet du roman, mais le livre n’atteint pas cet objectif. Même si Thérèse « travaille » pendant une certaine période comme prostituée, même si elle connaît les plaisirs de l’amour charnel avec Julien, le roman demeure (trop) sagement dans les limites d’un récit pour tous. De ces plaisirs, le lecteur n’en saura rien, tout comme Thierry ne nous livre pas, ou si peu, les différences qu’il perçoit entre son expérience de femme et celle de l’homme.

Bien écrit et bien mené, ce roman demeure ainsi à la surface de son sujet, se contentant de bien reprendre les étapes du mythe. On aurait souhaité qu’il l’approfondisse.

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