Et si nous n’étions que des papillons de nuit (savèches, en acadien du nord-est) attirés par la lumière au point d’y laisser notre peau ? Et si nous étions capables de l’apprivoiser plutôt que de la laisser nous détruire ?
Quelle est cette lumière? D’abord celle d’Internet, qui nous offre le monde mais fragmenté en d’innombrables avenues comme si rien ne l’unissait. Ce monde dans lequel baigne la génération Y, celle de Jonathan Roy. Ce monde qui semble éclaté en mille éclats. Ce monde dans lequel le sens de la vie perd tout son sens : « Je ne parlerai donc que de ceux qui doutent toujours […] qui doutent de leur utilité dans l’univers et de leur existence ». Un cri qu’il poursuit dans tout le recueil à la recherche de la place que pourrait occuper sa génération : « Tu cherches les symptômes / de ta génération sur les forums tu es / une machine à cliquer / et c’est peut-être ça le problème et tu cliques / et tu cliques et tu tombes et tu t’évades ».
L’ordinateur est au centre de la façon dont il entre en contact avec le monde, mais il n’arrive pas à trouver la réponse à sa question existentielle. Demeure la fragmentation qu’il décrit de multiples manières dans une dérive « vers le temps d’avant le temps ». Les images naissent, entremêlant le flux virtuel et son « char » en aussi mauvais état que ce qu’il éprouve. Le char coule de toutes parts, huile, liquide à transmission, fluide des freins, tout comme lui. Descente dans l’enfer de ses angoisses, dans son incapacité à ordonner le flux qui s’écoule et prend forme dans une déferlante qui n’est pas sans lyrisme et qui devient incantatoire.
D’un autre côté, il sait ce qu’il ne veut pas : « T’as pas voulu toi / aller te tuer à la job à pomper de la mélasse / pour la mettre dans une paille […] parce que t’as des principes » et il fait cette constatation : « […] faut pas se sentir mal pour autant / pas trop l’choix / faut continuer ». Il devra d’abord trouver quoi continuer. Deux poèmes apporteront la réponse. Le premier énumère tout ce que sa mère a tenté de lui inculquer tout en constatant ironiquement qu’« on aurait dû écouter nos mères ». Dans le second il demande à son père « pourquoi tu pleures » et la réponse dresse un portrait sombre de la situation économique de la famille et de la faillite de son modèle de vie.
Il y aura un « u.turn.dash » dans lequel il ouvre « un livre de chenous ». Les vers de Gérald Leblanc, « nous sommes des parcelles de divinités / à travers des galaxies de feu / le recul n’est plus possible », lui font l’effet d’une révélation : « […] fait qu’on a viré ça boutte / pour boutte ». S’il y a un monde possible, il est « chenous ». Reste à déterminer « tchisse que t’es », ce que le poète explorera dans les deux dernières parties.
Habité d’un souffle qui déferle d’un bout à l’autre du recueil tout en traçant un portrait sensible d’une génération, Savèches à fragmentation poursuit en l’approfondissant le premier recueil de l’auteur, Apprendre à tomber (2012). Il reste au poète à apprendre comment mettre la lumière (ou Internet ou la société) au service de sa génération, mais aussi de l’humanité.