Connaît-on Nicole Brossard ? Quelle Nicole Brossard connaît-on ? La poétesse que l’on disait froide, cérébrale et abstraite ? Ou la femme fervente qui nous dit, le plus simplement du monde, « j’aime la vie » ?
Toutes deux prennent la parole dans les quatre entretiens que nous offre Gérald Gaudet : trois entretiens parus ailleurs en 1985, 1990 et 2016, qu’il fait précéder d’un entretien inédit, de 2016 lui aussi. Chacun est accompagné d’une brève introduction.
Soyons franc d’entrée de jeu : je ne recommande pas ces substantiels entretiens à qui ne connaît pas au moins un peu le parcours et l’univers de Brossard, je ne proposerais certainement pas ce livre comme porte d’entrée dans l’œuvre. Pas que les entretiens ne soient pas solides et éclairants. Au contraire. Ils vont droit au but, directement au cœur de la question, et là réside peut-être une partie de mon hésitation : Brossard n’est pas une écrivaine aisée. Son œuvre est exigeante, nous dit Gaudet, et la langue en est déconcertante. Le centre de son œuvre, c’est l’inscription du sujet féminin dans notre symbolique et notre imaginaire fortement masculins et dans la langue patriarcale. Il faut presque inventer la femme, suggère Brossard dans l’entretien de 1985. Vaste programme.
D’abord et avant tout une exploratrice, Brossard est une auteure pour qui « c’est souvent l’écriture qui excite et provoque l’écriture ». La perspective suivante résume sans détour une partie de sa conception de l’écriture : « […] j’ai toujours pensé que ce que je sais, je le parle, alors que ce que je ne sais pas encore je le découvre en écrivant ».
Dans son œuvre, observe Gaudet, le métalangage voisine avec des termes spontanément plus « colorés », bien que le métalangage gagne lui aussi une sorte de sensualité. Chez elle, par exemple, sur une même réplique, les mots nanoseconde, grammaire et biosynthèse côtoient jonglerie, geste et paysage. Et l’inévitable désir n’est jamais bien loin, un vocable qu’on associe tellement à l’espace sémantique de l’auteure du Désert mauve et de Picture Theory. Ici, cependant, dans ces entretiens, les mots centraux sont enthousiasme et énergie, même si le premier, regrette Brossard, de nos jours, « a plutôt tendance à être ‘commercialisé’ et, comme plusieurs produits, à être éphémère ».
Gaudet connaît l’œuvre comme le fond de sa poche. Par le biais des questions et des remarques de cet interlocuteur privilégié, Brossard nous livre ses réflexions sur le carnet, sur la prise de notes et la posture de travail, sur la littérature et la fiction, sur la sexualité. Elle a sur la littérature certaines formules et des aperçus que je trouve justes et stimulants : « Tant et aussi longtemps que nous ne saurons pas ce qu’est la littérature, il y aura de la littérature ». « Dans une histoire littéraire, observe-t-elle encore, il y a des écrivains spirituels, des intellectuels, des affectifs, des littéraires, c’est-à-dire qui tirent une grande partie de leur inspiration dans la littérature elle-même. » Nicole Brossard appartient à ce dernier groupe. À ceux pour qui la langue et les outils langagiers demeurent le fondement même du travail et de l’enthousiasme de l’écrivain.