Très tôt dans sa vie, Hope Jahren a su que les laboratoires seraient les endroits où elle voulait passer sa vie. (En anglais, son ouvrage s’intitule d’ailleurs Lab Girl). La révélation de sa vocation, elle l’a eue dans les années 1970 (elle est née en 1969) quand son père l’amenait dans les labos du collège d’une petite ville du Minnesota où il enseignait les sciences. Plus tard, elle dira même : « Parce que le monde ne peut entrer dans mon labo, il est devenu l’endroit où je peux être moi-même », témoignant ainsi d’un malaise avec ce qui n’est pas la science.
C’est peu dire que Jahren aime la botanique. Elle fait pratiquement corps avec elle. Souvent dans les colloques, quand on lui demande l’objet de ses recherches, elle répond qu’elle veut comprendre « ce que c’est d’être une plante ». Tout son livre se lit comme l’histoire de cette quête. Nous ne sommes donc pas ici dans le registre de l’intime et du personnel mais dans celui de la science. De sa vie privée nous saurons peu de choses. Une famille où l’on se parlait peu, un parcours scolaire brillant avec, à la clé, un doctorat décroché à 25 ans à Berkeley, une bipolarité qui l’a déjà conduite jusqu’à l’internement, un mariage et une maternité heureuse, voilà à peu près tout ce qu’on saura de la femme.
Là où elle se livre plus longuement, c’est quand elle parle de sa relation professionnelle avec Bill Hagopian, entré dans sa vie à la fin de ses études et qui, depuis, ne l’a plus quittée. Plus que des collaborateurs, ils sont devenus fusionnels. « L’essentiel, c’est Bill et moi, et ce que nous pouvons faire ensemble », confesse-t-elle. Plus loin, elle ajoute : « Je suis une femme et une mère heureuse, et Bill [est] une sorte de préalable à tout ça, un frère dont je ne me séparerai jamais ».
Moitié mémoires, moitié livre de science, La fille qui aimait les sciences alterne les chapitres sur ces deux pôles. Dans certains, l’auteure évoque la vie de laboratoire : la chasse aux équipements (jusqu’au chapardage), la course aux subventions, les heures de travail impossibles, les repas sacrifiés au travail, etc. À d’autres moments, elle témoigne de son émerveillement devant certains phénomènes de la nature : la surfusion qui permet à l’eau de rester liquide à des températures de -40º, empêchant ainsi les arbres de geler l’hiver ; le bruit perceptible que font les épis au moment de leur pic de croissance ; la possibilité qu’ont les saules de communiquer entre eux grâce à des composés organiques volatils ; la nature strictement sexuelle du champignon ou encore l’aptitude d’un arbre à se souvenir réellement de son enfance. Dans la nature, les objets d’émerveillement sont pour elle infinis.
Tout ça fait de l’essai de Hope Jahren un livre passionnant, servi par une écriture d’une grande limpidité et d’une grande accessibilité, souvent même portée par un souffle poétique. Ainsi, parlant de l’étude des anneaux de croissance des arbres, elle écrit : « Pour peu que l’on sache l’écouter, chaque anneau raconte la pluie, le vent et l’aube se levant chaque matin », manière de nous rappeler que le monde qui nous entoure murmure une histoire bien plus riche qu’il n’y paraît et dont on n’a pas fini d’explorer tous les méandres. Un livre remarquable à tous égards.