Dans ce premier livre, la nouvelle venue en poésie ouvre la porte d’une prison intérieure où la vie semble se jouer à l’envers d’elle-même.
« [E]t j’espère que tu ne m’en voudras pas d’avoir fait de ma détention la plus belle chose qui soit. » Les premières pages, une adresse possiblement à l’enfant, mais peut-être à un amoureux, annoncent la couleur. La mort a le visage d’une amie intime pour la narratrice, qui la connaît et semble vivre avec elle au-dessus de sa tête ou la porter sur son dos, comme une robe. Sa conscience de la finitude des choses, à commencer par celle de sa propre existence, est si aiguisée, c’en est d’une beauté triste, comme si l’on ne pouvait s’en défaire, dans un rapport d’amour-haine. Le suicide, l’idée de, sa simple possibilité est si réelle qu’à la lecture, j’en suis prise de vertige. Dans la poésie de Virginie Chaloux-Gendron, le vivant attire et fait mal, tout est à vif, sans peau et brûlant. Il n’y a nul abri, sauf peut-être chez l’enfant et au cœur du poème. L’enfance est lourde, belle et fatale. La nature (vent, arbres, lumière) est une force grandiose et redoutable ; on baigne entre crimes, péchés, envies de transformations intérieures et physiques ; les horloges et les cadrans ont le tic-tac entêtant, obsédant.
La sécurité et la solidité émergent de l’écriture, même si le drame intérieur s’y meut et s’y débat sans cesse. La mort est une onde souterraine qui fait tout trembler. La maternité se révèle alors peut-être salvatrice. La poète endosse le rôle de mère, reste debout, sourit et survit à sa captivité, à elle-même. Un TU et un NOUS surgissent parfois. Ils réchauffent et brisent l’impression de grande solitude qui transpire de chaque poème : « Mes dents tremblent / au sommet de ce royaume en panne / Le seul cri que le ciel écoute / est le mien ». L’ennui dépeint est large et haut, une grande vague qui recouvre entièrement la narratrice ; ni le brouillard ni la brume ne se dissipent, tout paraît enveloppé d’un voile gris qui apaise et angoisse en même temps. Si, au fil de la lecture, je me perds à travers certaines références mythologiques qui alourdissent, à travers le ton qui devient un peu ampoulé par endroits, la voix narrative est tellement incarnée qu’elle me laisse l’impression d’être devant une œuvre solide et sentie.
Par sa voix qui crie ses contradictions, qui dit les tensions du quotidien, de l’âme, de l’écrivaine et de la mère, Virginie Chaloux-Gendron est fille de Sylvia Plath, certainement. Pour la justesse, pour la gravité des images et des émotions qu’elle convoque, pour le ton, sensible, grinçant et lucide, pour la noirceur, pour la difficulté d’être toutes celles qu’elle voudrait être à perfection égale, pour la force de frappe et l’intelligence, pour trop bien connaître les leurres aussi : « [L]e poème est la ruse / d’un seul moment ». La poète n’est pas résignée, pas apitoyée non plus, plutôt extralucide, quitte à mettre son équilibre en danger : « J’aimerais ne pas savoir tout ça ».