L’animateur de l’émission radiophonique Quand le jazz est là, diffusée à Radio-Canada, publie un recueil de textes aux allures de déambulation littéraire autour du jazz. Il y est question, bien sûr, de cette envoûtante musique, mais aussi de cinéma, de littérature, de parcours singuliers de musiciens, de même que des liens entre le jazz et l’histoire des Afro-Américains.
La préface est de Gilles Archambault. Normal, puisque ce dernier, lui aussi littérateur et passionné de note bleue, a longtemps animé sur les ondes de la radio d’État l’émission Jazz soliloque. Avant cela, on se demande même si le jazz avait été inventé. Depuis un peu plus de dix ans toutefois, l’homme du jazz à Radio-Canada se nomme Stanley Péan.
De préférence la nuit s’intéresse à plusieurs musiciens emblématiques, notamment les Miles Davis, John Coltrane, Chet Baker et compagnie. Il s’attache aussi à quelques personnages moins connus. Parmi ceux-ci, Shelton Brooks, auteur-compositeur afro-canadien, est introduit dans l’essai par le biais de La nauséede Jean-Paul Sartre. En effet, le protagoniste du roman de Sartre, Roquentin, est obsédé par la chanson « Some of These Days », un standard vraisemblablement interprété à l’époque par une vedette blanche. Or, Sartre aurait commis une interversion en imaginant pour son récit un compositeur blanc et une chanteuse noire. Faute involontaire pour certains, mais à l’endroit de laquelle Péan ne cache pas un certain agacement. Autre figure mise en lumière dans l’essai, un certain Bix Beiderbecke, « seul rival sérieux du grand Louis Armstrong », selon Péan. Le chapitre consacré à ce cornettiste mort prématurément est également prétexte à discourir sur la littérature et le cinéma, vu les œuvres inspirées de la biographie du musicien, en particulier le roman Young Man with a Horn, de Dorothy Baker. Dans le même chapitre, on trouve une référence tout à fait incongrue et désopilante au chroniqueur (aucunement spécialisé en musique) Richard Martineau : « […]l’opportuniste chantre de la droite et de l’individualisme forcené qui sévit sur toutes les tribunes médiatiques qui lui sont offertes ». À n’en pas douter, Stanley Péan a bénéficié d’une carte blanche de la part de l’inénarrable Robert Lévesque, directeur de la collection « Liberté grande » chez Boréal.
Étant donné l’approche musarde privilégiée dans l’essai, certains sujets seront nécessairement négligés. Par exemple, l’immense Thelonious Monk n’y est présent que par la citation d’une formule lapidaire, selon laquelle il faut s’assurer, avant de jouer une note, « que celle-ci est véritablement préférable au silence ». Une thématique est toutefois explorée plus systématiquement, soit celle des liens entre le jazz et l’histoire afro-américaine, à laquelle sont consacrés quatre chapitres. On y apprend entre autres que l’interprétation de « Strange Fruit », dont le texte évoque les cadavres noirs se balançant au bout de cordes dans le sud des États-Unis, fut une manière pour Billie Holiday d’exprimer un engagement profond pour la cause des Noirs, bien que la chanson soit l’œuvre d’un Blanc.
Stanley Péan précise dans son introduction connaître la mise en garde de Miles Davis, selon laquelle on n’a pas à écrire sur la musique puisqu’elle « parle pour elle-même ». Mais De préférence la nuit n’est surtout pas une redondance. Il apporte un supplément au plaisir de l’écoute.