à mon corps
caisse exiguë
pour m’étouffer là
où je respire
ces jours-ci tu vis sous le signe du gender envy. si l’herbe est plus verte chez le voisin, son miroir est certainement plus clément. tu voudrais disparaître, toi et tes courbes. te napper de la nuit. elle seule sait aplanir les irrégularités qui te sont chair. mais chaque jour, la pleine lumière réitère cette sentence prononcée par le médecin à ta venue au monde. on t’a choisi pour le rôle et depuis tu t’acharnes à jouer le script. comme une fiction que tu enfiles au matin avant de prendre la porte : sac, portefeuille, manteau et masque du genre, tout y est.
te montrer véritable. te montrer hors binarisme : et soir et jour. trop grand risque. alors le soleil met en exergue ta cambrure. le dos flanche sous le poids de la poitrine. ta brassière t’accuse du clivage qu’elle creuse entre tes seins, entre toi et les autres. c’est d’être né·e du mauvais côté du cercle chromatique. le rose et sa blondeur infantile. mais pourquoi pas le jaune. pourquoi pas le rouge et ses déclinaisons colère. pourquoi pas l’incolore, l’informe.
le seul bleu que tu connaisses est le bleu numérique projeté contre la nuit de ta chambre. simulacre de halo n’ayant rien de saint. c’est ta période bleue qui s’étire jusqu’au matin. ainsi tu rampes les petites heures comme chemin de croix. une tentative de, toi aussi, rétrécir vers l’aurore.
ces jours-ci je travaille contre toi. te force hors du lit le matin comme un enfant. j’endosse ce rôle du parent tyrannique. te prive de ce qui est bon au goût et baume pour l’âme. vide, le garde-manger. vide, l’estomac aussi. et donc tu te venges. tu m’endolores dès le réveil et tout le jour durant : une dette douleur qui nous étire de partout, nous élance les hanches les jambes les reins le dos.
parfois j’ai l’impression que tu ne veux pas de moi ici. comme si je m’étais trompé·e d’adresse, que je n’y étais pas le·la bienvenu·e. mais soyons honnêtes, je ne t’habite pas vraiment en retour. j’ai le désir d’ailleurs, de ce pays autre que j’ignore. ici je suis locataire, et comme en appartement, tout me renvoie au temporaire des lieux. l’espace négligé n’invite pas à rester ni à défaire les boîtes, mettre la table et y réunir les convives. nous formons une anti-fête à laquelle personne n’est convié. mais en toi je demeure. nulle part partout.
j’ai déjà tenté plusieurs fois de partir. te laisser à toi-même et au sort que te réserverait ma fuite. chaque fois il s’en est fallu de peu. faut-il que je te quitte pour que tu changes enfin de forme ? que tu incarnes ton genre charogne ? la juste formule de ton identité s’exprime en épitaphe, son écriture gravée contre la pierre maison de ceux·celles qui t’ont enfanté·e. tu te souviens ce que je disais : le premier traumatisme, c’est la naissance. eh bien le second, c’est le corps. le second c’est toi.
* Morgan Lajoie est Scorpion, ascendant sad girl, bimbo occasionnelle et poète Instagram. Dans ses temps libres, iel complète un baccalauréat en études littéraires à l’UQAM. Ses poèmes sont le lieu de (re)prise de parole de corps marginalisés, incompris ou impossibles. Folies ordinaires et mythologie contemporaine s’y rencontrent dans une écriture au « je » tendant vers un « nous » boueux, terre d’asile où enterrer ses petites haches de guerre.