Tu rentres chez toi
aveuglé
par des feux
qu’on ne sait plus apaiser
Tu ouvres tous les écrans
Les désirs réfractés
déferlent en boucle
Tu grattes sans cesse
la gale de la rumeur
la croire vraie à force
Tu tombes amoureux
comme on se lance en affaires
Tu méprises l’extrémité des âges
leurs regards sur toi
insupportables d’autorité
autant les nier, l’un et l’autre
Sans mémoire, ni lendemain
S’extraire du nombre
et dire pourtant
le NOUS tonitruant de la défaite
C’est du connu
l’agitation crée un effet d’attraction
qui nous distrait du contenu
La gravité de la planète
c’est une question
de degré d’ouverture
du paysage intérieur brut
où on a depuis longtemps oublié
la grande beauté
des corvées collectives
Le manque d’imagination
grêle sur tes espoirs
Se rassembler sous des prétextes
un peu gauches
un trop petit parapluie
pour tes ambitions électroniques
et ton carnet de voyage
La pluie sera nue et verglaçante
pour te rappeler, nous rappeler à tous,
que nous ne savons plus que faire de nos saisons
Quatre fois par année,
au moins,
prends l’avion
affiche ta classe sociale
Tu te soumets
aux voix fictives
indiquant de quel côté
il est plus joli de regarder
Ça te fait une belle photo de profil
sur ton pedigree virtuel
Devenir absolument
le sujet de tes luttes
et vérifier ensuite parmi tes amis
lesquels seront coupables
de ne pas avoir fait pleurer l’icône
Tu dois être au centre
développe ta créativité
attire l’attention vers toi
comme une onde inversée
pervertie
Et il y aura des mots traîtres
pour ordonner le silence
les classer au mérite
de la bien-pensance
On ne t’a pas montré
ni la honte, ni l’excuse
il aurait fallu négocier avec l’inconfort
et tu n’es pas fait pour ça
Tu montres du doigt
tu distribues les étiquettes
verdict sans conséquences visibles
Le jour à nu
t’éblouit de ses actualités
qui te cognent, te frappent
de ces échos desséchés
Pour compenser
plante toute une forêt
devant ta honte
et caresse ta bonne conscience
comme on console
un chat trop gros
Ton moral a le pied bot
Tu veux te cacher
du soleil un peu
et de l’ombre, beaucoup
Nous sommes ensemble, oui
à se reconnaître sans cesse
à l’abri de nos petites différences
à entonner en chœur
les mantras circulaires
des longues fins de semaine
Nous nous aimons aussi fort
que nous nous détesterons bientôt
Quand nos paroles sont de fiel
que les regards mutinent
et que nos clics mutilent
Ensemble, chacun chez soi
nous coupons la tête de ceux celles
qui parmi nous hier
dépassent un peu trop aujourd’hui
et qui ont oublié la chansonnette
La psychanalyse (C’est qui ça, Freud ?)
pleurer en payant l’autre chèrement
Tu ne fais plus ça dans la discrétion
mais gratuitement, mais à nu
Je veux dire devant tout le monde
devant le plus de monde possible
sur ta page virtuelle, sur un plateau télé
et sans pudeur, que ça devienne un spectacle
Car ton MOI est politique
sur les heures de grande écoute
Et c’est à l’ombre de tes mains liées
que tu cherches à dessiner un nouvel horizon
claudiquant lui aussi comme ton esprit
Qui étions-nous d’abord
quand les bateaux ont mouillé des rivages sans ports ?
Fuyant là-bas
la mort par la faim, par les armes, par le feu
de celles qui savaient
La mémoire est une chose effrayante
et le futur inquiète
Au lieu, coche la bonne case
celle qui t’invite à te penser
enfermé dans des boîtes
d’enterrements de vie
Filles, garçons
c’est dépassé, du passé
Ce qu’il faut, c’est dire
affirmer, crier, revendiquer, exprimer
faire sortir de soi, de toi
ces filles et ces garçons du passé
Mais s’identifier absolument
à quelque chose
drapeau, licorne, étoiles filantes,
des choses mortes
mais clairement identifiées
Le béluga, par exemple,
l’option n’apparaît pas encore
mais ça viendra,
tu le sens, tu y crois
il finira lui aussi par disparaître
Tu clames haut et fort
la cause qui te fait
ta génération sacrifiée à l’autel Internet
La complexité refoulée aux frontières
c’est beaucoup trop compliqué
il faut simplifier et un seul mot suffira
Toi qui ne possèdes qu’une mémoire
du bout des doigts
ta langue trop occupée à se plier
dans des mots-valises
Tu nous rappelles sans cesse
l’actualité de cette dette
et ce sera très commode
pour prendre la place
Prendre le pouvoir
l’air de rien
On t’a donné les phrases clés
tu pourras enfin toi aussi
te glisser dans la position idéale, rêvée
celle de la victime, la pauvre
à qui tu voudrais tout emprunter
Tu sais comment passer ta vie
dans le simulacre de l’excuse
sans remonter à la source
Celle qui se terre
et effrite les mains des enfants
au fond des mines du Congo
Il faut, oui, quelque chose entre toi
et le reste du monde
entre toi et quelqu’un
qui n’est pas toi
Tu ne peux pas supporter
le malaise que tu provoques
ni ressentir la douleur des privilégiés,
ceux que tu nommes tels
C’est certainement une force que tu as
Tu peux t’en féliciter, tu es tous les autres
tu t’en fais même le porte-voix universel
Et toutes ces frontières floues et fragiles,
tu les assumes avec violence
Comment vivre autrement ?
Ton unique rapport au monde,
un plan d’affaires.
L’écologie, t’inquiète,
ce n’est qu’un exercice de style
comme tant d’autres.
Demain, si l’idée te vient
que la vie serait meilleure
si un enfant t’y tenait la main
tu auras une bonne raison
d’aller t’acheter un chien