« Le fantastique, c’est prendre le pouvoir sur le monde et le renverser. »
Anne Hébert
Je n’ai jamais lu Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien. Et en écrivant cette phrase, je me dis en souriant : « Je suis loin d’être le seul ! » Il n’est même pas dans mon vieux Petit Robert Culture Générale… Eh bien ! Par contre j’ai vu la trilogie cinématographique. Ici j’ouvre une parenthèse : bizarre mais j’ai eu un flash d’Alien en la voyant. C’est que le symbole du mal dans ces films est représenté de deux façons très opposées qui pourtant se recoupent par leur férocité. Dans Alien le monstre a l’air d’un pénis aux dents acérées, dans Le seigneur des anneaux le méchant œil a l’air d’un vagin qui observe et brûle. Ça va mal du côté du sexe. De La terre du Milieu aux lointaines galaxies… Dur de fermer cette parenthèse-ci ! Vite un psy !
Pourquoi je n’ai jamais lu ce livre dont j’entends parler depuis si longtemps ? Mes étudiants au cégep, entre autres, m’ont tellement cassé les oreilles avec cette saga. Je les entends encore :
– Jean-Paul, tu devrais lire Le seigneur des anneaux, c’est au boutte ! Complètement capoté ! Cool !
Ils étaient ravis évidemment que je ne l’aie pas lu. Pour une fois qu’ils pouvaient me coincer. C’était devenu un running gag entre nous.
– Tu l’as pas encore lu ? (dix ans plus tard….).
Mon regard devait être éloquent car ils se mettaient systématiquement à rire. Plus je les écoutais m’en parler, moins j’en avais envie. Pourtant ce n’était pas leur enthousiasme qui manquait. Mais tout cet univers construit comme un théorème linguistique, peuplé de guerres et de sorciers, ne m’emballait pas. Or j’ai toujours aimé (en général) les livres de littérature fantastique et de science-fiction. Poe. Lovecraft. Bradbury, Patricia Highsmith, Anne Rice… Eh oui, j’ai lu tous les Harry Potter !!! Et d’autres tels Zola, Balzac (tiens ! La peau de chagrin) Tchekhov, Pouchkine (La dame de pique) ou Homère… Et j’adore Dracula de Bram Stoker, Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Les mille et une nuits, les contes de Perreault, des frères Grimm, de Michel Tremblay (Contes pour buveurs attardés), Héloïse d’Anne Hébert… ces univers peuplés de vampires, de sorciers, de géants, de loups-garous, de divinités… bref ces mondes où l’imagination n’a pas de limite. Et j’ai été et je reste un fan de Star Trek (inconditionnellement trekkie)… Alors pourquoi n’ai-je pas lu Le seigneur des anneaux pour m’en débarrasser une bonne fois pour toutes ? Je sais plein de choses sur son auteur. Avec tous les articles qui ont paru dernièrement, accompagnant la sortie des films, (on a même eu droit à une carte de La terre du Milieu dans plusieurs quotidiens…), pourquoi diantre ne pas aller directement à l’œuvre ? Car parfois le cinéma nous amène au roman. Parfois.
Il y a des livres qu’on a hâte de découvrir. Et ceux de J.R.R. Tolkien vont rester en librairie, quant à moi. Suis-je rébarbatif à une construction trop lisse ? J’entends des cris qui m’excommunient… En tout cas, ce n’est certainement pas par paresse, car j’ai lu des milliers de livres : romans, poésie, théâtre, essais… J’aurais facilement pu me taper ceux de J.R.R. Tolkien, cet astucieux linguiste, philologue (parlez-vous l’elfique : comme le quenya et le sindarin ?). Or je sais que je ne le ferai pas. Comme le chante une de mes divas favorites, miss Peggy Lee : « Is thatall there is ? »
À partir de mon enfance, entre Tintin sur la lune d’Hergé ou Le voyage sur la lune de Jules Verne, ou tous les fameux Bob Morane d’Henri Vernes, je pouvais facilement passer des heures enchanteresses. Oups ! À l’adolescence je découvre le divin marquis, pas mal fantastique lui aussi ! Ou « La charogne » de Baudelaire…
J’ouvre une autre parenthèse : il serait intéressant dans cette rubrique du Livre jamais lu de faire revenir un auteur qui n’a pas lu un livre célèbre et de parcourir son compte-rendu sur le livre en question… Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’il y aurait souvent de la déception… (qu’une suggestion daoustienne…). En passant, comme cette rubrique nous déculpabilise ! Ah ! merci à tous et à toutes, car de voir des auteurs(e) respectés(e) avouer publiquement ne pas avoir lu tel chef-d’œuvre, c’est d’un soulagement !
Un livre connu, célébré et qu’on n’a pas encore lu, c’est comme un dessert qu’on se garderait. On jouit quasiment à l’idée qu’un jour on va le lire. Par exemple, il y a Don Quichotte que je n’ai pas encore lu. Celui-là, je vais le lire. Ça, je le sais. Mais je risque de relire Dante Alighieri ou Marie-Claire Blais avant. Et soyons francs : ne pas lire un livre archi-célèbre a un côté délinquant. Comme donner une gifle à la littérature. « Tiens, prends ça ! »
Je n’ai pas lu tous les livres et c’est tant mieux. Je suis loin d’être sûr que Mallarmé pourrait aujourd’hui, sinon en faisant de l’humour, redire sa fameuse phrase. Et la chair n’est pas si triste… mais ça, c’est une autre histoire !
Certes on peut se sentir coupable de ne pas avoir lu certains livres, d’ailleurs c’est un sentiment répandu dans cette excellente rubrique de Nuit blanche. On se dit : « Je vais le faire dès que je le peux ». Mon œil ! J’ai écrit plus haut que je ne lirai pas Le seigneur des anneaux, or un doute me saisit. Qu’en sais-je ? Peut-être que dans vingt ans au centre d’accueil je vais triper dessus comme un fou, et comme les pros détester l’adaptation cinématographique de l’œuvre, surtout le dernier film paraît-il ! Et peut-être que si les livres de J.R.R. Tolkien traînaient sur les rayons de ma bibliothèque j’irais les voir de plus près ?… Tiens ! On va peut-être pour me faire taire me les envoyer par la poste ? Je suis tellement curieux que sans doute je n’y résisterais pas. Ne serait-ce que pour en avoir le cœur net comme on dit.
Or depuis les dernières années j’ai beaucoup plus lu de poésie que de prose. La poésie vient me chercher directement, parfois brutalement. J’aime être surpris, ne pas nécessairement voir venir les mots, les sentiments, ou même les intrigues. J’aime à partir du poème construire aussi le mien. La poésie permet ça. Elle fait du lecteur un complice, car il se doit pour bien saisir cet univers y mettre du sien. Le lecteur de poésie réécrit à sa manière le poème qu’il lit. Lire de la poésie demande un effort. Et on peut se promener à sa guise dans un recueil de poèmes, et dans le poème lui-même. J’ai été dix-sept ans à la revue de poésie Estuaire, et j’ai sans doute développé un excellent mauvais pli. C’est que le poème me laisse rarement indifférent. Qu’il soit bon ou mauvais, je réagis. Les recueils souvent se répondent entre eux, et c’est un fabuleux dialogue où l’intimisme côtoie le politique, le mysticisme le réalisme. La douleur y est plus intense, les questions plus essentielles. Je dis toujours que la poésie est le parfum de la littérature : condensé et efficace. La poésie est le journal intime de la planète.
D’ailleurs remarquez comme souvent les romanciers, quand ils cherchent une citation, vont du côté des poètes car leur concision est phénoménale. Et leur approche ponctue le réel d’une imagination qui n’a rien à voir avec le factice. Un poème est vrai, ou n’est pas. Le poème ne ment pas. Je vous donne ma définition de la poésie… en vous offrant ce poème :
Poésie
Quand on dépasse les limites le poème arrive
Harnaché de plumes empoisonnées
Il surgit du désert comme le Nil
Ses mots sont une tribu retrouvée
Le poème nous saute à la gorge
Détruit nos miroirs futiles
Qu’on portait comme des oiseaux morts
En boa autour du cou
Le poème ne pardonne pas
Rien
Il tue parce qu’il aime
Le poème est Caïn et Abel
Maudit il tourne le dos à Dieu
Le cœur surpeuplé d’anges pourtant
Dans le paradis des mots perdus il hallucine
Le poème est un coup de poing dans la vitrine
D’un centre ville qui regorge de luxe inutile
Le poème est une soie dentaire entre mes os
Le poème est un parfum qui envoûte le cerveau
Alors qu’il fracasse le cœur
Le poète mérite d’être maudit
Le poète sait toujours ce qu’il fait
Le pire l’attire
Et le vrai l’obtient
Alors laissons l’avenir ouvert (suis-je optimiste ?). Vais-je lire ou pas Le seigneur des anneaux ? D’après vous ?