Jean Malaquais est allé pour ainsi dire partout dans le monde. Cependant, ses textes, longtemps, n’ont plus paru nulle part. Depuis 1995, on doit aux éditions Phébus et Le cherche midi de les redécouvrir.
Quant à leur auteur, il leur a consacré ses ultimes forces : jusqu’à sa mort, en 1998, et malgré la maladie qui l’épuisait, Malaquais s’est livré sur ses premières œuvres à un intense travail de relecture, de correction et même de réécriture en vue de leur réédition. Entré en littérature dès l’adolescence, il conserva intacte sa belle et douloureuse exigence de ne donner à lire que des textes qui le requéraient tout entier.
Jean Malaquais n’a jamais été citoyen français. Son nom est en réalité un pseudonyme. Pour l’administration russe qui dirigeait la Pologne avant 1914, le jeune homme s’appelait Vladimir Jan Pavel Malacki.
Il répondait aussi aux prénoms juifs d’Israël Pinkus. Né à Varsovie en 1908, il décida à dix-sept ans, le baccalauréat en poche, de quitter sa Pologne natale. Inquiet que le monde puisse disparaître avant qu’il n’ait eu le temps de le découvrir, comme il l’exprima plus tard, il traversa les frontières, visita de nombreux pays d’Orient, d’Afrique, parcourut l’Europe en crise jusqu’à la France où il voulut alors se fixer. Il choisit ce pays pour son histoire révolutionnaire et sa langue.
Une langue pour tout bagage
D’emblée, en effet, Malacki se mit à écrire en langue française. Il ne remit jamais en question ce choix. Et ceci, paradoxalement, parce qu’il ne parvenait pas à le justifier. À la question : « Pourquoi avez-vous choisi le français comme moyen d’expression ? », il répondait : « J’en suis encore à me le demander… J’aurais aussi bien pu m’exprimer en quelque autre langue, car plusieurs me sont familières. L’écrivain qui, pour créer, se sert d’une langue qui n’est pas la sienne – on veut dire qui n’est pas sa langue maternelle – je pense qu’il obéit à une impulsion d’où le libre arbitre est presque entièrement absent. Il n’y a véritablement choix – au sens formel du mot – que lorsqu’il y a conflit. J’ai écrit tout de suite en français : une sorte d’impératif absolu. Ce fut un mariage d’amour ; un des rares mariages qui ne soient point malheureux. L’option a dû se faire en moi, à mon insu, par ce que la langue française a éveillé dans mon cœur de possibles sensoriels, sensitifs, poétiques1 ».
Dans différentes interviews2, Malaquais déclara qu’à treize ans il écrivait des poèmes exprimant son mal de vivre. Ces morceaux s’intitulaient : « Abîmes », « Vertiges », « Précipices » Et déjà, le pays qui cristallisait ses aspirations et ses illusions était la France. Deux ans avant sa mort, il commentait cette inclination de la façon suivante : « J’ai quitté la Pologne en 1925, j’avais dix-sept ans, [ ] j’ai bourlingué en Roumanie, en Turquie, en Égypte, et par là-bas, et je suis arrivé en France parce que la France était, dans mon imagination de jeune homme, de ces pays-là, LE pays où il faut vivre, LE pays où il faut étudier. C’était la Révolution française, la Commune, le pays d’accueil, ainsi de suite, ainsi de suite3 ».
Au cours de ses pérégrinations, il avait rencontré des militants d’extrême gauche avec lesquels toute sa vie il garda le contact et dont il adopta les idées révolutionnaires et internationalistes. Pour gagner sa vie, il avait exercé de multiples métiers : ouvrier, plongeur, manœuvre, mineur de fond en Provence…
Arrivé à Paris, en 1935, il travailla aux Halles comme débardeur. Le soir, autant pour se chauffer que pour survivre moralement, il allait lire à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Parmi les écrivains qu’il aimait le plus figurait André Gide, alors en pleine phase d’ouverture aux sentiments sociaux et même au communisme. La colère de Malacki fut d’autant plus grande de lire, dans La NRF de décembre 1935, un texte daté du 8 mars de la même année, où Gide disait notamment : « Je sens aujourd’hui, gravement, péniblement, cette infériorité – de n’avoir jamais eu à gagner mon pain, de n’avoir jamais travaillé dans la gêne4 ».
Malacki voulut lui expliquer de vive voix la façon de penser d’un homme qui était, lui, obligé de gagner son pain à la sueur de son front, et y laissait toute l’énergie qu’il aurait fallu pour écrire. N’ayant pu obtenir le numéro de téléphone du maître, il adressa une lettre furieuse5 aux bons soins du journal Vendredi6. Pour toute adresse, il indiquait « Poste restante, rue Cujas ». C’est là qu’une semaine plus tard l’attendait une réponse de Gide, accompagnée d’un mandat de cent francs, lequel eut le don d’attiser sa colère. Il renvoya l’argent sur-le-champ. Débuts bien orageux. Alors se produisit ce qu’il n’aurait pu imaginer quelques semaines auparavant : Gide non seulement lui répondit, mais encore l’invita à lui rendre visite rue Vaneau. De ce moment naquit entre les deux hommes une amitié indéfectible entretenue par une correspondance qui dura jusqu’à la mort de Gide en 1951.
Gide encouragea Malacki à écrire. Il le recommanda, entre autres, à Jean Paulhan et Jean Cassou qui éditèrent certaines de ses nouvelles7 : « Marianka », « La Montre », « Tu as tué Mimiq ! », « Garry ». Du récit bouleversant d’un pogrom aux vagabondages d’un jeune narrateur de vingt ans, de la peinture d’un milieu exubérant à la relation baignée de désir et d’onirisme entre deux hommes, Malacki change de style, de manière et de lieu ; mais à travers toutes les lunettes et tous les tempéraments, à travers tous les déguisements ou les incarnations, émergent de nombreux éléments de sa vie. Chaque texte s’aborde comme une escale au cabotage familier de sa mémoire, même si bien entendu Malacki laisse souvent libre cours à son imaginaire et largue les amarres. Et l’on décèle des mouillages privilégiés : gens simples, obsession de la faim et du voyage, jeu sur l’identité, autant de thématiques récurrentes dans son œuvre.
Le Java… naît
En 1937, il se mit à la rédaction de son premier roman, Les Javanais8. Inspiré par son expérience de mineur dans l’exploitation de La Londe-les-Maures, il y dépeint des travailleurs de toutes nationalités, parias originaires des quatre coins du monde, d’où leur surnom. Dans ce récit sans héros, il parvient à animer tous les personnages de façon indépendante. Il décrit minutieusement leurs bassesses comme leurs beautés. Il ne veut rien prouver et confère par là même à la mine l’existence d’un vrai personnage collectif.
La langue est drue et, sur un rythme enjoué, mêle la voix ironique du narrateur aux multiples idiomes des mineurs. La mine devient le théâtre d’un moderne miracle de Pentecôte. Contrairement à ce qui se joue dans la tour de Babel, tout le monde se comprend. L’utilisation jubilatoire du langage dans Les Javanais – et par les Javanais – manifeste un sentiment de jeunesse et d’allégresse, qui contraste puissamment avec la dureté des conditions de vie décrites. Ainsi la veine de ce premier roman – misère, violence et renaissance mêlées – est-elle complètement rabelaisienne. Rabelaisienne et non célinienne, à l’inverse de ce que maint critique a avancé. Si sept années seulement séparent Voyage au bout de la nuit et Les Javanais, si l’invention d’une langue caractérise ces deux ouvrages, le premier exprime la solitude et l’angoisse d’une conscience qui se sait coupée des autres, exposée au danger que représentent les hommes, tandis que le second conçoit les individus en relation les uns avec les autres, à la recherche d’une humanité qui se dissimule souvent mais circule sans trêve entre les groupes et parvient quelquefois à les unir victorieusement. L’ironie de Céline est sans espoir, celle de Malaquais est marquée de « compassion », au sens que Rousseau donnait à ce terme. Dans certaines de ses nouvelles, Malacki avait déjà montré sa propension au lyrisme et son attention aux tics de langage et à la diversité des langues. Mais dans Les Javanais il donne à entendre un véritable Chant du monde. L’humanité pourrait se doter d’une communication sans frontières ; les apatrides, quant à eux, sont déjà riches de cette faculté qui prélude à une vie nouvelle. Cette conviction chère à Malacki et qui avait été renforcée par son expérience de voyageur sans papiers ni bagages trouve là une expression vivante et essentielle.
André Gide fut le premier critique de Malaquais et le premier à exprimer son enthousiasme à la lecture du manuscrit des Javanais. Il y trouvait quelque chose qui ne lui ressemblait pas, mais qu’il aimait, ce qu’il exprima de la manière suivante : « Je suis considérablement épaté par ton livre. Tu y atteins, parfois, un lyrisme extraordinaire, de qualité tout à fait rare et spéciale, qui me ravit9 ».
Les Javanais fut publié chez Denoël en 1939. L’éditeur changea pour l’occasion le nom de Malacki par le pseudonyme qu’on connaît, inspiré par l’analogie avec le célèbre quai de la Seine. Le roman obtint le prix Renaudot la même année.
Un monde sans évasion possible
Malaquais ne profita pas de son succès littéraire : en 1939, bien qu’apatride, il fut enrôlé et vécut en soldat la drôle de guerre. Après l’invasion allemande, son existence en sursis fut semblable à celle de millions d’autres en Europe. Le 21 juin 1940, ayant pris la décision d’échapper à un convoi de prisonniers, il rejoignit Paris. Mais cinq mois plus tard, il dut s’enfuir encore avec sa compagne : les premiers décrets contre les Juifs étaient promulgués. Le couple fut recueilli à Banon par Giono et gagna plus tard Marseille. De cette période, Malaquais tira un ouvrage étonnant de rage et de révolte contre la guerre et la bêtise, qui dut attendre 1997 pour être publié en France dans son intégralité : le Journal de guerre10 suivi du Journal du métèque. Et neuf poèmes fulgurants, les seuls qu’il ait jamais publiés11.
Malaquais demeurait alors triplement en danger : en tant qu’apatride, en tant que Juif, en tant que sympathisant d’extrême gauche. Dans la foule exsangue des réfugiés à Marseille, il entra en contact avec les individus et les nombreuses organisations qui aidèrent les persécutés de l’histoire. Il ne les oublia jamais. Parmi eux, l’Emergency Rescue Committee, que Varian Fry avait mis sur pied dès son arrivée à Marseille à la mi-août 1940 et qui permit à des milliers de personnes d’émigrer pour échapper à la Milice et à la Gestapo. Varian Fry fut finalement refoulé en septembre 1941, mais son comité continua cahin-caha à fonctionner jusqu’en juin 1942. Malaquais l’immortalisa en quelque sorte dans Planète sans visa12, chef-d’œuvre qui restitue avec l’intensité et la justesse des plus grands romans historiques la période de la France sous l’Occupation. Dans ce roman, la cité phocéenne tient le premier rôle, et pas comme un décor accidentel. Tous ceux qui ont aidé Malaquais s’y voient conférer une identité ; tous les sbires de l’administration vichyste, qui l’ont pourchassé, lui et ses semblables, s’y trouvent représentés, imaginés, jamais caricaturés. Marseille, immobilisée dans son crépuscule et son effondrement, contient assez de vies et assez de vie pour représenter l’humanité des quatre coins du monde. Représenter, et pas juger. Malaquais était certes un homme de convictions, formé aux idées d’extrême gauche qu’il a gardées toute sa vie. Mais il rejetait le roman à thèse, cherchant à exprimer sans parti pris la figure que prend le destin collectif, les thèmes de notre époque. Comme dans Les Javanais, le point de vue adopté n’est ni celui de l’auteur, ni celui d’un personnage central, mais – volontairement – celui des multiples personnages principaux, sans qu’aucun l’emporte sur un autre. Et cette fois, la dimension de la fresque sociale fait que la peinture ne se limite pas à celle d’un seul milieu qui, pour communiquer, a créé son propre langage. Elle s’étend à des couches sociales variées, de la haute bourgeoisie à la classe ouvrière. L’hétérogénéité sociale, la variété des situations romanesques trouvent leur traduction dans la diversité des registres. Réapparaît alors la symphonie concertante, moins gratuite, moins spontanée, plus située ; et reviennent les jeux avec le langage.
Malaquais mit cinq années complètes à écrire Planète sans visa, qu’on peut considérer comme son chef-d’œuvre. En octobre 1942, il parvint à s’embarquer vers le continent américain. Il arriva au Venezuela, puis passa deux années au Mexique, de mars 1943 à 1945. Enfin il s’installa aux États-Unis, pays qui avait concentré un temps l’espoir de tous les parias de Marseille, mais qui pour Malaquais incarnait tout, sauf la liberté.
Un Nouveau Monde désenchanté
Le regard sarcastique de Malaquais dépouille le pays d’Eisenhower et de Kennedy de son déguisement démocratique, comme en témoigne la correspondance qu’il entretint avec Norman Mailer13. Il avait rencontré à Paris l’auteur des Nus et les morts, et s’était attelé pour Albin Michel à la traduction de l’ouvrage. Certes, des motivations d’ordre économique l’y avaient poussé, mais c’est aussi qu’il avait trouvé dans ce « bon roman » un thème selon lui essentiel, celui « de notre temps14 ». La collaboration entre les deux hommes se poursuivit – ils travaillèrent ensemble à Hollywood à l’écriture d’un scénario que Metro-Goldwyn-Mayer finit par refuser. Leur relation s’étendit au domaine politique : Malaquais entreprit l’éducation marxiste de Mailer.
Peu à peu Malaquais et Mailer devinrent des amis pour la vie. Voici l’hommage posthume que Mailer rendit à Malaquais en 1998 : « Jean Malaquais n’était pas seulement mon meilleur ami, il était mon mentor. Il a exercé sur moi plus d’influence que jamais quiconque, et ce depuis l’époque où nous avons lié connaissance, quand il traduisait Les nus et les morts. Notre amitié s’est en bonne part fondée sur sa franchise15 ».
En 1952, Malaquais fut naturalisé américain – il n’obtint jamais la nationalité française – mais il n’en continua pas moins à se sentir apatride. Depuis son arrivée aux États-Unis, il dispensait des cours de littérature française dans de nombreuses universités américaines. Dans ses choix littéraires, comme en tout autre domaine, il ne se laissait pas guider par des illusions ou des engouements, ni par un sentiment critique qui l’en aurait fait revenir. Il obéissait à une pensée constituée, rigoureuse, achevée, qui faisait de lui un polémiste et un ironiste redoutable. Louis Aragon, pour avoir incarné la politique nationaliste des staliniens pendant la guerre, et aussi pour avoir attaqué André Gide à la Libération, fut l’objet de ses foudres dans un pamphlet intitulé Le nommé Louis Aragon, ou le patriote professionnel16.
L’ironie lucide illumine toute l’œuvre de Malaquais. Dans Les Javanais, elle a la tonalité bienveillante, optimiste et jeune des romans de Rabelais : Malaquais croit au destin de ses Javanais pouilleux et avides de vie. Planète sans visa tire là-dessus l’énorme éclipse de la guerre, qui fixe l’image des réfugiés et des apatrides devenus une caractéristique constante de la société. L’ironie adopte alors le rictus de Voltaire.
Puisqu’on ne peut plus fuir nulle part, y a-t-il des formes de survie quand on ne fait pas partie de l’« élite » qui dirige le monde ? L’ultime roman de Malaquais répond à cette question par son titre étrange, Le gaffeur17, et par son histoire hors du commun qui fait irrésistiblement songer à Kafka. Jusqu’alors au rang des plus forts écrivains réalistes du siècle, Malaquais emprunte la voie du conte philosophique. Son personnage principal ne trouve de salut que dans l’évasion totale qui est la poésie. Il se fond en elle jusqu’à n’avoir plus aucune existence dans les registres, les immeubles ni les réseaux humains de la Cité. Il faut lire ce texte un peu panique, où, de personnages burlesques en microcosmes étatiques ubuesques, le narrateur nous amène à penser que notre monde n’est au fond pas différent de sa fiction.
L’exil littéraire
Et comme s’il en était bien convaincu, Malaquais s’effaça du monde des lettres. Certes, il écrivit une pièce de théâtre18, mais elle ne fut jouée qu’une fois, en privé, et ne fut publiée qu’en 2000, à titre posthume. Il mena à bien, sous la direction de Jean Wahl, une thèse sur Søren Kierkegaard19. Et puis presque rien.
Il se retira dans l’univers littéraire qu’il avait créé et continua à y travailler, avec son clair regard et son sourire malicieux, celui du chat de Lewis Carroll. Comme il avait peu édité – il ne s’en souciait pas vraiment –, Malaquais a donc peu réédité, et chaque fois ne l’a fait qu’après avoir relu et retravaillé, ou, pour mieux dire, « revisité » son ouvrage. Revisiter les paysages, les personnages, les situations qu’il avait peints, c’est ce qu’il fit jusqu’au bout, aiguillonné par son exigence. Et c’est à la réécriture du roman Planète sans visa qu’il consacra ses dernières forces.
Sans domicile fixe une longue partie de sa vie, il a été de même défricheur itinérant du domaine des lettres. Il n’acceptait pas d’écrire deux fois la même chose, ni presque la même chose. Il s’est essayé à tous les genres. Mais loin de se disperser dans les tâches variées qu’il a entreprises, Malaquais a affirmé l’unité de son être en forgeant et en exprimant, sous de multiples formes, un point de vue global sur le monde, une vision à la fois personnelle et universelle. Sa volonté a été de répondre sur tous les fronts au siècle, de réagir à un réel dont il s’est imprégné lorsqu’il parcourait l’Europe et l’Afrique, et dont on trouve l’écho dans ses nouvelles et ses romans, non comme un paysage vu d’une étroite fenêtre, mais comme l’expression d’un drame collectif. Porte-drapeau des métèques, il a écrit ses romans comme autant de témoignages sur une société qui se prétend celle de la communication mais s’avère incapable de s’affranchir des douanes, des barbelés et des visas. Son œuvre est, de ce point de vue, une dénonciation et une promesse, à l’image du titre ambivalent Planète sans visa emprunté aux mémoires de Trotski20: l’absence de visa signifie aujourd’hui la chute dans l’enfer des persécutions, mais demain représentera peut-être la libération définitive à l’égard du passé, l’accession à la liberté pour l’humanité.
1. « Les Conrad français », Les Nouvelles Littéraires, 6 avril 1940.
2. André Bourin, « Instantanés », Les Nouvelles Littéraires, 23 octobre 1947 ; « « World Without Visa » Author Has Had Full and Exciting Life », Boston Sunday Herald, 30 mai 1948.
3. Entretien de Jean Malaquais avec Dominique Rabourdin, 20 février 1996.
4. « Ma rencontre avec André Gide », dans André Gide et Jean Malaquais, Correspondance 1935-1950, Phébus, Paris, 2000, p. 23-28.
5. Le texte en est perdu, mais Malaquais en fait le résumé dans « Ma rencontre avec André Gide ».
6. Vendredi était un hebdomadaire littéraire, politique et satirique, fondé à l’initiative d’écrivains et de journalistes, le 8 novembre 1935. Gide suivait de près cette aventure éditoriale, et donna à Vendredi, en deux ans, une demi-douzaine de textes.
7. Malaquais fera publier plusieurs de ses nouvelles pendant la guerre, dans le recueil Coups de barre, Éditions de la Maison française, New York, 1944. Réédité par Le cherche midi, Paris, 2008.
8. Jean Malaquais, Les Javanais, Denoël, Paris, 1939. Réédité par Phébus, Paris, 1995.
9. Lettre d’André Gide à Jean Malaquais du 13 mai 1938, Correspondance 1935-1950, p. 69.
10. Paru aux Éditions de la Maison française, New York, 1943. Réédité avec le Journal du métèque par Phébus en 1997.
11. Publiés entre août 1944 et septembre 1945 dans la revue France Libre. Certains de ces poèmes ont été réédités dans la revue Caravanes, Littératures à découvrir, Phébus, Paris, 2001.
12. Planète sans visa, Pré-aux-clercs, Paris, 1947. Réédition posthume par Phébus, Paris, 1999.
13. Norman Mailer et Jean Malaquais, Correspondance 1949-1986, Le cherche midi, Paris, 2008.
14. Lettre de Malaquais à Marc Chirik, 23 février 1949, archives privées.
15. Planète sans visa, p. 17.
16. Jean Malaquais, « Louis Aragon, or the Professional Patriot », Politics (New York) n° 19, novembre 1945, p 233-235 ; « Le nommé Louis Aragon ou le patriote professionnel », Masses (Paris) n° 6, décembre 1946, p. 27-29. Réédition dans Les Égaux, supplément à Masses (Paris) n° 7, février 1947, et dans Les Amis de Spartacus (Paris), 1970 ; réédité par Syllepse, Paris, 1998.
17. Jean Malaquais, Le gaffeur, Corrêa, Paris, 1953. Réédité par Phébus, Paris, 2001.
18. Jean Malaquais, La courte paille, Éditions théâtrales Art et Comédie, Paris, 1999.
19. Jean Malaquais, Søren Kierkegaard, 10/18, Paris, 1971.
20. C’est le titre du dernier chapitre de Ma vie, Rieder, Paris, 1930.
EXTRAITS
Dis, partir, naviguer, voir du pays, tu sais, l’Afrique, le désert… C’est où, Gabès ? Et ça, écoute, Tombouctou – Tom-bouc-tou…
Alors, la gare, moi, tu comprends, il n’y a pas que le chauffage central. Rien qu’à viser l’horaire des trains j’ai le cœur qui me fait boumboum.
– Budapest 3 h 26… Dis, non, mais dis, vingt-six minutes au poil, et hop ! t’es parti.
II se tut, rêveur. Des mèches blondes voletaient au gré du vent sur son front bombé. Un duvet parsemait ses joues, que la lame du rasoir n’avait pas encore bleuies. Le vague des horizons mirobolants embuait son regard.
– Partir, répéta-t-il. Les barreaux, les cages, les murs qui t’enferment, je sauterai par-dessus, et qu’on essaie toujours de me rattraper…
Les Javanais, p. 18.
C’est dimanche, le soleil est à son poste, les papillons batifolent dans la lumière oblique, la poussière monte sous les pieds des moutards. Les gendarmes sont passés, ils n’ont arrêté personne. Barbu jusqu’aux gencives, Zakharis Malinoff expose au vieux Ponzoni, dit Babbo Giuseppe, comment il a pris Nijni-Novgorod à lui tout seul. Tout à l’heure, quand Malinoff descendra de son cheval circassien, Babbo Giuseppe, qui n’en a pas saisi un mot, ira porter la nouvelle aux pierres de la garrigue. Kamo Alboudizian l’Arménien vide sa vessie derrière le Bateau-lavoir. Au Bateau-lavoir ça fait boum, on s’y égosille en volapük. La cheminée de l’ancienne fonderie veille sur le destin de l’Île. Des hommes traînent à son ombre. D’autres se gargarisent la glotte à l’épicerie-vins de Mme Michel. L’agronome Belsky fignole son potager. Des femmes reviennent de la messe, l’âme sauve et les membres las. C’est dimanche, c’est Java, c’est la Côte d’Azur.
Les Javanais, p.53.
Pantelant, sonné groggy, seul le tenait debout le hululement de Sonia qui appelait ses fils évanouis au plus lointain des Polognes, au plus profond des ghettos. Sonia savait, Sonia pouvait – ô Sonia comme tu es belle dans ta robe rouge. À toute volée le civil abattit la crosse de son pétard sur le crâne du youpin – ô Sonia, nous irons au paradis. Il ébaucha un pas de menuet puis un pas à reculons, souriant comme il aurait souri à l’heure de l’Amérique – ô Sonia, regarde, c’est la statue de la Liberté. Une seconde volée lui coupa les jambes et il s’écroula face à terre sur son sourire de fiancé. Le proprio du garni fit un écart, une miette et l’autre l’entraînait dans sa culbute, sur quoi, achevant sa ruine, le peuple envahit la chambre et se mit en devoir de tailler en pièces le civil au chapeau de feutre. Vêtue d’enflures et de cloques, appelant ses fils, Sonia Krantz s’élança sur le palier à l’instant où le civil à la liste y débouchait avec du renfort. Faisant demi-tour, elle se rua sur le peuple, à travers le peuple magnanime qui étrillait un civil coupable de faire son métier, d’une glissade enjambant la fenêtre à la rencontre du mur. Gavé de lumière et toutes plaies dehors, le mur ne voulut pas d’elle – et elle tomba comme on tombe.
Planète sans visa, p. 189.
Vers les sept heures la voûte de schiste descendit si bas qu’il fit noir. Le tonnerre n’avait pas perdu l’espoir de trouer le ciel. 1l y eut des éclairs en nappe et des grondements en cascade et des chocs en retour. L’humidité se laissait cueillir, elle se laissait prendre dans le creux de la main. La cour de l’Évêché était déserte. Il y eut un court-circuit qui dura longtemps. La lueur des éclairs dévoilait des grappes d’agents réfugiés à l’intérieur des bâtiments. Ils se pressaient aux fenêtres, fouillant le ciel avec les yeux de l’innocence. Il devait être huit heures quand il s’en alla par le grand portail. Il prit le même chemin que la veille, avançant du même pas léger. Il n’avait pas faim et il était sans force. Il retrouva sa place parmi les blocs de ciment, à l’extrême bout du brise-lames. Il y eut une courte panique parmi les crabes quand il se coucha. La pluie commença peu après et elle dura toute la nuit.
Planète sans visa, p. 351.