« Je travaille à un roman, je l’élève, je le bâtis comme un mur, pierre à pierre », disait René Laporte (1905-1954), romancier d’une œuvre lucide et tourmentée, poète admirateur de Guillaume Apollinaire et des surréalistes, mais aussi fondateur, en 1925, des éditions des Cahiers libres, membre du cabinet de Jean Giraudoux au Ministère de l’Information, en 1939, et résistant, sous l’Occupation, notamment chargé de la surveillance de Radio Monte-Carlo, alors sous contrôle allemand. Laporte a publié une quinzaine de romans et autant de recueils de poésie.
Une première réédition
Mort prématurément depuis bientôt une soixantaine d’années, Laporte est aussi un éternel absent des histoires littéraires ; et ses livres ont malheureusement depuis longtemps sombré dans l’oubli. Mais Le Dilettante réédite, en mai, Hôtel de la solitude, premier titre de Laporte à revoir le jour.
Écrit en 1942 mais publié en 1944, Hôtel de la solitude est un récit d’une centaine de pages que René Julliard, appelé à devenir un ami intime de Laporte, avait fait paraître dans la jolie collection des Éditions littéraires de Monaco, en même temps qu’un recueil de Paul Éluard, Dignes de vivre. Désireux de faire oublier ses sympathies collaborationnistes, et parce que le vent politique tournait, René Julliard avait réussi, grâce à Laporte, à obtenir, pour sa collection, un titre d’Éluard, un des principaux chantres de la Résistance. C’est ainsi que l’ouvrage d’Éluard (achevé d’imprimer le 1er juillet 1944) et celui de Laporte (achevé d’imprimer le 31 juillet 1944) parurent tous deux entre le débarquement de juin en Normandie et la libération de Paris, en août. Pourtant, malgré l’activité politique de Laporte pendant l’Occupation, Hôtel de la solitude est tout sauf un récit de la Résistance. Sans doute est-il emblématique, à cet égard, de l’originalité et de la puissance poétiques d’un univers romanesque qui s’impose en dépit des circonstances.
Si l’histoire de ce récit est fort simple, l’écriture fait basculer le réel dans une sorte de rêverie qui en fait tout le charme et la réussite. Au lendemain de l’armistice, qui faisait entrer la France dans l’Occupation allemande, Jérôme Bourdaine avait abouti à Nice, traînant dans les casinos, menant une vie désemparée, désœuvrée, dérisoire, faite de plaisirs illusoires et de facilités. Un soir, il « éprouva comme une nausée de sa vie » et décida de s’installer dans un hôtel déserté du village de La Turbie, niché au-dessus de Monte-Carlo. « Dès le premier soir, la porte poussée, il était devenu citoyen d’un autre monde. » Ainsi commence le récit, qui nous introduit, avec Jérôme, dans un univers particulier. Depuis une bonne dizaine d’années, l’hôtel ne reçoit plus de clients ; le couple Barca, qui en est propriétaire, vit dans le passé glorieux du palace, à une époque où s’y retrouvaient des personnages de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. Jérôme est rapidement séduit par le charme désuet de l’hôtel, par l’impressionnante carte des vins et par la conversation de Ludovic Barca, qui évoque la vie antérieure de l’hôtel. Au moyen d’une écriture poétique très fine, Laporte parvient admirablement à dépeindre cette ambiance d’un autre monde peuplé de fantômes. Dans l’apaisante solitude de l’hôtel et du village, Jérôme vit dans un enchantement total, comme dans une sorte de « brouillard mental » qui l’isole complètement du monde en guerre. Le cinquième jour, quand il descend pour dîner, il aperçoit, assise seule à une table, une femme dont le genre respire une autre époque. Zoya Sernitch est une immigrante russe, dont le mari passe ses journées au casino, car il a découvert une combine qui lui permet, en jouant, de faire un « salaire » honorable. Jérôme en devient immédiatement amoureux, ou plutôt il devient amoureux de l’idée que représente une femme comme Zoya pour un homme qui, comme Jérôme, est un chasseur d’absolu et qui, derrière l’attrait physique, recherche « une certaine possession idéale ». Subtile et astucieuse, baignée de ce climat onirique qui habite le texte depuis le début, la fin du récit nous laisse indécis quant à l’attitude finale de Jérôme à l’égard de Zoya, avant de nous montrer le départ de celui-ci de La Turbie et de suggérer son retour à la case départ de l’échiquier d’un monde provisoirement désaxé.
On comprend que le lieu du récit, délaissé et hanté par les ombres d’un passé mémorable, représente une sorte de métaphore de l’état provisoire dans lequel l’Occupation a installé les gens ; il est une trêve contre la barbarie et « l’obscurcissement » du monde. Mais cet obscurcissement, en regard d’une réalité politique qui va « jusqu’à la condamnation morale » et qui dégage « le monde de tous ses serments vers le meilleur, vers le libre », caractérise aussi la vie fantomatique du palace avec ses barons et marquises d’autrefois. L’obscurcissement du monde, c’est alors le passage d’une société périmée et faite de privilèges à une société différente, qui déjà, après la Première Guerre, avait appris à se démocratiser rapidement. Dès lors, l’idée de la résistance est importée à l’intérieur même de cet univers décalé, où ceux qui l’habitent ignorent ou feignent d’ignorer « que chaque grève, que chaque guerre civile empêchaient un peu plus les derniers petits vicomtes de se mettre en habit, d’hésiter entre le gardénia d’Édouard VII et l’orchidée de Sir Austen ». Le rêve devient un refuge à la fois contre la guerre et contre l’espèce de basculement de la civilisation qu’elle engendre. On touche ici une question centrale chez Laporte, car cette défiance à l’égard des temps nouveaux, on la trouve d’un bout à l’autre de son œuvre. Si ce n’est jamais tout à fait sans ironie que Laporte traite de ce rapport déphasé au monde, on sent bien aussi une forme de nostalgie sincère. Peut-être est-ce cette ambivalence qui lui permet de trouver le style poétique qui est le sien, où la vie se drape dans le rêve.
La difficulté du réel
Ce personnage rêveur et faible qu’est Jérôme Bourdaine revient constamment chez Laporte, même si le romancier est parvenu, avec les années, à faire évoluer ce personnage et à lui donner une certaine épaisseur existentielle. Il ne faut pas y voir un défaut, mais une vraie réussite poétique, qui est du reste en accord avec l’esthétique de l’époque. Les premiers romans de Laporte, une quinzaine d’années plus tôt, présentaient déjà des personnages qui ne savaient guère habiter le réel, voire qui manifestaient leur « refus du réel », pour reprendre l’expression du critique Benjamin Crémieux, lecteur avisé de « l’inquiétude » qui caractérise le roman des années 1920 et qui « s’est exprimée dans toute une littérature d’évasion, évasion par le voyage, par l’aventure ou par le rêve1 ».
Dans les remarquables débuts romanesques de Laporte, cet esprit d’inquiétude se dévoile essentiellement par la forme des relations amoureuses. Joyce (1930), par exemple, nous propose une intrigue aussi ingénieuse que séduisante. Olivier invente une jeune fille, qu’il prénomme Joyce, laquelle, à la suite d’une petite annonce passée dans un « magazine galant », entretient une correspondance amoureuse avec un commis de librairie, opportunément appelé Valentin. Mais cet échange n’est un jeu pour personne : Valentin devient réellement amoureux de Joyce, bien qu’il ne l’ait jamais vue, tandis qu’Olivier s’attache à sa création au point de devenir jaloux du commis. Les deux hommes ne peuvent être que malheureux. Olivier envie à Valentin la puissance que l’amour crée chez lui. Pour Valentin, la pureté amoureuse existe, Joyce lui en offre l’image ; pour Olivier, la pureté est « impossible hors de la création de l’esprit », elle est donc dans cette image de Joyce qu’il a créée. Finalement, Olivier et Valentin sont renvoyés dos à dos en quelque sorte, mais placés tous les deux face à une impasse, puisque le premier vit dans le rêve et le second dans une réalité à laquelle donne forme l’imposture du premier. L’intrigue, minimale et singulière, sert de socle à une réflexion complexe et amusée sur la difficulté amoureuse et le mensonge, aspects clés de l’imaginaire de l’inquiétude. Ce premier aspect est aussi au centre du Dîner chez Olga (1927), autre étonnant roman poétique à lire, tandis que l’imposture et le mensonge sont interrogés dans Le guérisseur (1928), roman moins réussi et inspiré par la vie de Jean Béziat, le guérisseur d’Avignonet, et dans La part du feu (1935), roman où reviennent les héros du Dîner et de Joyce.
Avec Les chasses de novembre, prix Interallié 1936, l’écriture de Laporte témoigne d’une certaine évolution. Ici l’écriture perd en finesse poétique ce qu’elle gagne en raffinement psychologique. Le romancier commente son nouveau roman ainsi : « Les romans que j’ai publiés jusqu’ici étaient tous d’essence poétique, contes à soi-même plutôt qu’images du monde. J’ai pensé que le temps était peut-être venu d’aller chercher ailleurs, hors de ma seule conscience, ces rencontres humaines dont sont nés la plupart des livres que nous aimons. Dans Les chasses de novembre, j’ai poursuivi des vivants ». Le propos suggère que les personnages des romans poétiques participaient d’une vision intérieure qui ne saurait construire une réalité « vivante », et peut-être une vérité durable. Pourtant, Lucie Paroli, l’héroïne des Chasses, est complètement déclassée par les conditions économiques et culturelles de son temps et est incapable de s’y adapter, préférant se réfugier dans une posture théâtrale et un imaginaire qui échappent aux contraintes de la vie sociale. Comme Olivier, elle fait donc partie de ces « faibles [qui] n’ont jamais que des victoires de l’esprit, c’est-à-dire des victoires illusoires ». N’échappe pas à son personnage le romancier qui veut ! Une scène saisissante résume assez bien l’inaptitude de Lucie à vivre. Ayant apporté des bijoux au mont-de-piété afin de régler ses ennuis financiers, Lucie se fait offrir une somme inférieure à ce qu’elle estime devoir recevoir. L’employé lui explique : « Il y a du faux, là-dedans », expression qui, songe-t-elle avec raison, correspond à la « tragique définition de sa vie ».
Un roman africain
Il faut attendre les romans écrits sous l’Occupation, puis plus tard ceux qui composent le cycle Les membres de la famille, pour voir Laporte réaliser son ambition de mettre en scène des « vivants » ; et encore, le personnage faible, rêveur et idéaliste subsiste malgré tout. Néanmoins, ces romans confirment la maturité d’écriture de Laporte et témoignent de la volonté du romancier de prendre à bras le corps les problèmes de son époque.
Les passagers d’Europe (1942), un très beau roman, dont l’écriture est souvent émouvante, a été inspiré à Laporte par les années d’avant-guerre qu’il a passées en Afrique du Nord, alors qu’il est chef du Service de la Presse à la Résidence générale de Tunisie (de 1936 à 1939). Le roman est partagé entre deux points de vue. Celui de François Barnes, un jeune Français que des raisons professionnelles amènent à Tunis, et Beaumont, de vingt ans plus âgé et originaire du même village en Midi-Pyrénées que François, mais établi depuis longtemps en Tunisie, où il occupe d’importantes fonctions d’État liées à la fois aux problèmes arabes et à la sécurité nationale. Laporte réintroduit dans le premier le désarroi de son personnage habituel, tandis qu’il met au compte du second son expérience des questions politiques et un certain recul sur la vie qui le rend plus pratique et plus patient que ne l’est François. Alors que François est un impulsif qui se cherche, un tourmenté qui est habitué à se battre avec lui-même, quelqu’un de peu de sens critique, dont le jugement « aveugle » ou « boiteux » est « impardonnable à trente ans », Beaumont est un homme de responsabilité et de décision. Bref, l’un tend à s’abandonner au rêve, l’autre a appris à vivre dans la réalité, avec le temps il a « glissé dans l’action ». La confrontation entre ces points de vue, la qualité de la réflexion des personnages, la vulnérabilité de François, qui vit dans l’attente d’une sorte de révélation à lui-même que lui apporteraient les événements, les situations, les relations amoureuses, rend l’écriture souvent émouvante. C’est ce bonheur que François croit trouver auprès d’Annie Servand, qui est tout aussi rapidement séduite par lui qu’elle est effrayée par la ferveur qu’il investit dans leur liaison. François ignore les mises en garde de Beaumont, qui sait parfaitement que cette femme, qui chérit avant toute chose son indépendance, ne convient pas au tempérament exalté de François ; mais quand Annie rompt, François craque complètement. Il sera rescapé de justesse par Beaumont, alors que nous sommes à la veille de la guerre, événement qui sera peut-être, pour François, « comme un moratoire de la douleur » vrillée en lui.
Un inventaire moral et littéraire de l’entre-deux-guerres
Il faut lire Le cheval volant (1943), autre roman attachant, dont l’aspect autobiographique est mis en valeur par une écriture moins poétique et tire profit du dessein de Laporte de dresser une sorte de bilan moral et littéraire de l’entre-deux-guerres. Le titre est bien sûr une allusion à Pégase, figure mythologique qui, à l’âge moderne, devient un symbole aérien de la poésie. Dans Le cheval volant, il désigne plus spécifiquement la modernité des années 1920 avec l’aventure surréaliste en tête, au centre de laquelle Laporte place le poète Frédéric Sanders, création composée tout à la fois d’André Breton, Louis Aragon ou Jean Cocteau. Sanders a été le grand poète de sa génération, poète anticonformiste qui n’hésitait pas à s’attaquer aux idées reçues, poète dandy, poète à scandale, poète insolent, immoral, égoïste… Sanders est surtout la grande admiration du jeune narrateur, Jacques Fourquet, pour qui ce qui fait la grandeur du poète est non seulement ses textes mais aussi la manière dont il incarne une époque, car Sanders apparaît emblématique du désarroi d’une génération coincée entre deux guerres ; d’une génération qui au début des années 1920 a retourné sa haine de la guerre contre le monde, mais qui dix ans plus tard délaisse les formes de la poésie nouvelle pour l’action politique. Cette trajectoire, ce sera aussi celle de Jacques Fourquet, qui n’a guère été poète, mais pour qui l’occupation de la Rhénanie par Hitler en mars 1936 a été un événement décisif dans sa vie. Cet événement coïncide chez lui avec l’atteinte d’un équilibre personnel qu’il visait depuis l’adolescence et que l’amour lui a permis de trouver : être « un homme à l’esprit clair » au service « des valeurs réelles et libres ». C’est ce que Jacques appelle « l’âge de la détermination », qui est en somme l’âge d’homme. « Je ne voudrais pas être un soldat, un captif, ni surtout un mort avant d’avoir réalisé quelque chose qui me démontre que je suis enfin un homme. Comprenez-vous ça ? » demande-t-il à Sanders, avec qui les sujets de mésentente abondent de plus en plus. Alors que Jacques occupe une charge importante dans un ministère, Sanders, à l’aube de la guerre, dégoûté de la politique, se replonge dans la littérature. Afin de pouvoir écrire en paix, il a loué une maison de campagne. Il n’en connaît pas les propriétaires, mais il se plaît à imaginer le père et les enfants, rôdant dans les chambres, scrutant des photos, cherchant des indices de leur vie, à partir de quoi il élabore toute une histoire qui finit par l’obséder complètement. Bref, Sanders retrouve l’attitude désaxée du héros d’Hôtel de la solitude, fuyant la réalité et s’enfonçant parmi les ombres. « J’ai découvert dans cette maison, dans ce village, le lieu de la plus haute solitude. Je suis absent du monde. » Si Jacques, à la fin de ce roman, a le dernier mot, puisqu’il en est le narrateur et que la réalité de la guerre, qui est le centre de sa vie, et la maturité qu’il croit avoir atteinte, donnent à sa parole une ascendance, une justesse et une lucidité certaines, il n’est reste pas moins que Sanders, par sa « fuite devant la réalité », rejoint plus profondément le héros type de Laporte.
Dans tous les cas, la fin ambivalente de ce roman résume on ne peut mieux l’ensemble d’une œuvre qui s’est nourrie des inclinations divergentes d’un écrivain actif mais inquiet, « vivant » mais nostalgique, sans doute fait avant tout pour la poésie et le rêve, ou qui accepte la vie seulement dans la mesure où elle accommode des refuges pour rêver.
1. Benjamin Crémieux, Inquiétude et reconstruction, Paris, Gallimard, 2011, p. 52. Cet ouvrage est paru pour la première fois en 1931.
René Laporte a publié :
Poésie : Attitudes, Les Cahiers libres, 1925 ; Vive la vie, Les Cahiers libres, 1926 ; La corde au cou, Les Cahiers libres, 1927 ; Le somnambule, Les Cahiers libres, 1932 ; Alphabet de l’amour, GLM, 1935 ; La journée du 8 mars, GLM, 1936 ; Ode à Monte-Carlo, 1941 ; Deux poèmes pour aujourd’hui, Ars, 1941 ; L’An 40, Sagittaire, 1943 ; Circonstances, Comité national des écrivains, 1944 ; Les hasards du Jeu, Julliard, 1950 ; Le gant de fer et le gant de velours, Seghers, 1951 ; Rêves perdus, Seghers, 1954 ; Poésie choisie, Julliard, 1954.
Romans : Le dîner chez Olga, Grasset, 1927 ; Le guérisseur, Grasset, 1928 ; Joyce, Calmann-Lévy, 1930 ; La part du feu, Denoël/Steele, 1935 ; Les chasses de novembre, Denoël/Steele, 1936 ; Les passagers d’Europe, Gallimard, 1942 ; Le cheval volant, Julliard, 1943 ; L’ami des anges, Laffont, 1943 ; Ma dernière volonté (Les membres de la famille, T. 1), Julliard, 1948 ; Chacun pour soi (Les membres de la famille,T. 2), Julliard, 1948 ; Le château de sable (Les membres de la famille,T. 3), Julliard, 1949 ; Un air de jeunesse (Les membres de la famille, T. 4), Julliard, 1951 ; La tête haute, Julliard, 1954.
Récit : Hôtel de la solitude, Julliard, 1944 ; Le Dilettante, 2012.
Théâtre : Fédérigo, Nagel, 1945.
Nouvelles : Histoires du mauvais temps, Julliard, 1945.
EXTRAITS
Un air de valse, odorant et coloré (rouge tzigane bien entendu), passait au travers des plantes vertes et ondulait dans la fumée des Murattis. Tandis qu’un ton au-dessous, discret, plus poli que de raison, le roulement des pièces d’or montait de la ville d’en bas, mais on faisait semblant de ne pas l’entendre : ce n’était pas encore l’heure magique. Toutes ces ombres racées, aussi orgueilleuses dans leur ruine que dans leur opulence, pelaient avec aisance les fruits les plus difficiles. Ce soir, la douceur de vivre donnait un dîner de revenants.
Hôtel de la solitude, Julliard, 1944, p. 36.
Marie-Hélène se détachait dans l’encadrement de la fenêtre. La lampe de la table éclairait à plein son visage, mais la lumière semblait venir d’elle-même, du dedans de sa peau. Et j’avais envie de lui dire : « Toi aussi, tu es un être phosphorescent. » Dans sa haute cellule, bergère du contre-jour, elle veillait sur un troupeau de toits, sur une foule d’arbres, que le vent rendait par instants indisciplinés, sur toutes les désobéissances que la nuit rassemble et prolonge dans les songes. Je l’attirai à moi. Elle me rendit mes baisers.
Mes mains se perdirent dans des détails.
Le cheval volant, Julliard, 1943, p. 188.