Un écrivain septuagénaire américain a créé l’événement en France en publiant Journal d’une femme adultère, son premier livre traduit en français. Peu sont ceux qui savent que ce best-seller trouve son origine dans la métropole québécoise.
Quand l’écrivain juif new-yorkais Curt Leviant, fringant septuagénaire, parle de son livre, le best-seller Journal d’une femme adultère1, c’est avec une fierté toute teintée d’humour.
Brièvement de passage à Montréal pour la promotion de l’ouvrage, l’auteur, généreux de son temps comme de ses idées, nous a rencontré. De sa voix douce, infiniment cultivée, Curt Leviant rappelle qu’à l’origine, Diary of an Adulterous Woman (titre de l’ouvrage en anglais américain) n’a connu que des ventes assez modestes lors de sa sortie en 2001 aux États-Unis, et ce, malgré des critiques fort élogieuses, dont une particulièrement chère à l’auteur, sous la plume de Saul Bellow. « Mais, s’exclame Leviant, en France, l’engouement du public a été immédiat ! Dément, presque ! Nous avons trôné au sommet des ventes pendant des semaines ! »
Un marketing efficace
Cette différence de succès populaire, Curt Leviant l’attribue à plusieurs facteurs : « Nous avons là de toute évidence une question de sensibilité culturelle. Il semble que le livre ait touché une fibre particulière en France ». L’écrivain souligne aussi l’immense travail de promotion de son éditeur Samuel Brussell, qui a su reproduire avec le Journal et dans une veine voisine, son exploit d’un autre best-seller, L’éloge des femmes mûres (de Stephen Vizinczey). Sans cet appui, juge l’homme en toute humilité, le retentissement aurait été moins grand.
La recette ? Une vaste campagne de marketing, l’omniprésence de l’ouvrage en librairie, et, élément non négligeable, le choix d’une couverture attirante, provocante même, présentant une magnifique jeune brune au buste aussi nu que plein, sur fond rouge passion. Une couverture à laquelle l’auteur avoue lui-même avoir eu du mal à s’habituer : « Quand je l’ai vue dans une publicité, dans le journal Le Monde, au début, j’ai dit : ‘Ce n’est pas possible, j’espère que ce n’est que pour la publicité, pas pour le livre comme tel’, mais à la longue je m’y suis fait, et même, je l’ai trouvée belle, pure ».
C’est sur ce fond rouge passion que le roman fera donc des ravages dans les librairies de l’Hexagone. « Le bouche à oreilles a fait le reste, à une vitesse incroyable » Journal d’une femme adultère permettra aussi à la maison d’édition Anatolia (une filiale du groupe Libella) de connaître son premier vrai gros succès. « Et maintenant, plusieurs pays se battent pour obtenir les droits de traduction. » Curt Leviant reconnaît que ce succès, qui l’a un peu épaté, lui ouvre des portes vers de nouveaux projets.
Journal d’une femme adultère, un résumé
Difficile de classifier ce roman à trois voix mais aux influences multiples, truffé d’érudition : attirance, séduction, secrets, mensonges, quête de soi et de l’autre, relations homme-femme ne sont que quelques-unes des pistes explorées en couches complexes, à travers l’enchevêtrement des mots, à l’image des corps qui s’effleurent et se mêlent pour se mieux comprendre.
Concrètement, dans ce triangle amoureux, on trouve deux vieux amis qui renouent lors d’une réunion d’anciens camarades de leur école juive. Il y a Guido, photographe, la jeune quarantaine, séducteur invétéré, et Charlie, psychologue, plus en ombres et en lumières. Au centre, liée à ces deux hommes par la chair et l’esprit, la belle Aviva, professeure de violoncelle, patiente de l’un, maîtresse de l’autre.
Un long glossaire, érudit et original, vient clore ce livre.
Ce professeur de littérature à la retraite, auteur de quatre romans qui lui ont valu une solide renommée dans son pays, a donc livré avec ce premier livre traduit en français une œuvre étrange et créative, roman polyphonique qui joue dans une foule de registres, dont celui d’un érotisme subtil, mais qui parle aussi au passage de culture ainsi que des cultures, tout cela tendu sur le fil du langage. Le langage, force mouvante, multiforme, qui transcende langues et cultures pour permettre à l’humain de se livrer aux jeux les plus poussés, les plus dangereux.
« Aviva, c’est moi ! »
La critique, on l’a dit, a été fort élogieuse ; on a comparé l’œuvre aux écrits de Vladimir Nabokov et à ceux de Léon Tolstoï. Curt Leviant, lui, évoque plutôt Gustave Flaubert et Madame Bovary pour parler de son rapport d’écrivain, de démiurge, avec les protagonistes ; et surtout de son étonnante capacité, soulignée par bien des lecteurs et des chroniqueurs, à entrer dans la peau d’Aviva, professeure de violoncelle, épouse maltraitée et maîtresse exquise : « Flaubert disait : ‘Madame Bovary, c’est moi’. Eh bien, Aviva c’est moi ! » Un bon rire dans la voix, il ajoute : « Mais le violoncelle d’Aviva, c’est aussi moi, Aviva pince mes cordes et je joue »
Une journaliste, relate-t-il encore, lui a demandé un jour avec étonnement comment il avait pu ainsi se glisser dans la peau et dans l’âme d’une femme. « Mais pour moi, dit-il, ce n’est pas sorcier, car après tout nous sommes faits des mêmes molécules, hommes et femmes, avec de toutes petites différences, bien entendu ! »
« C’est étrange, continue-t-il, mais c’est à Montréal qu’est née l’idée du roman : j’étais dans l’autobus, quand j’ai repéré une femme, assise, qui griffonnait dans un petit calepin. Elle est descendue au même arrêt que moi, et j’ai vu qu’elle laissait tomber son carnet. Je me suis précipité pour le ramasser, pour le rendre à sa propriétaire, mais celle-ci avait disparu ! Je l’ai cherchée en vain, allant jusqu’à passer une petite annonce dans un journal. Mais personne ne s’est jamais manifesté », ajoute un peu tristement l’auteur, qui raconte avoir feuilleté le carnet : « Il y avait des trucs fascinants là-dedans ! C’est à partir de là qu’a germé l’idée du Journal… et aussi à la suite d’une réunion de classe avec mes vieux potes de l’école juive ».
Gonflé à bloc par le succès de son livre, Curt Leviant pense à l’avenir. Il a plusieurs projets d’écriture en marche, dont deux courts romans et un plus substantiel. « Mon éditeur voulait attendre deux ans avant de publier le prochain roman, pour ne pas éclipser le premier. J’ai poussé les hauts cris ! Finalement, nous avons fait un compromis : mes deux courts ouvrages sortiront dans quelques mois, et le roman l’année suivante. »
1. Curt Leviant, Journal d’une femme adultère, trad. de l’américain par Béatrice Vierne, Anatolia, Paris, 2007, 681 p. ; 34,95 $.
Curt Leviant est l’auteur de quatre romans qui ont fait sa renommée aux États-Unis :
The Yemenite Girl, The Man Who Thought He Was Messiah, Passion in the Desert et Partita in Venice. Il a reçu de nombreuses récompenses et ses nouvelles ont été publiées par les plus grands magazines.
EXTRAITS
À la dérive, je parcours le jardin de Milty Rosen, vert-de-juin et cerné d’arbres, dans la partie chic de Riverdale, contemplant l’arrière d’une grande bâtisse en brique à étage, de l’époque coloniale, dont l’élégance serait presque digne de Scarsdale. Je suis euphorique, le visage éclairé, qui sait, par un sourire béat. Mais ce n’est pas la maison que je regarde qui me rend heureux. C’est le phénomène que voici : trente ans après, sur les quinze gars que comptait notre classe de cinquième, je suis parvenu à en persuader onze d’assister à une réunion d’anciens condisciples.
Journal d’une femme adultère, p. 15.
Mais la vérité, pensa-t-elle, c’était qu’elle tenait bel et bien un journal secret, où elle notait les misères que lui faisait l’Arabe, et qu’elle le gardait caché parmi ses partitions musicales (où il ne le trouverait jamais). Bien qu’elle ne tînt pas le journal de ses diverses aventures, celle qu’elle vivait actuellement avec Guido était notée et renotée dans son esprit, de façon si nette dans son esprit que, si on le lui demandait, elle serait capable d’en écrire, dans le plus grand détail, une histoire orale, son propre journal d’une femme adultère, tatoué avec un A qui marquait son cœur au fer rouge d’une Affliction ininterrompue.
Journal d’une femme adultère, p. 159.
VIBROMASSEUR, PREMIERE UTILISATION DU
Elle déclara qu’elle avait eu son premier orgasme vers le début de la trentaine, après son retour d’un séjour en Italie. « Mais je l’ai eu toute seule. C’est une de mes amies, qui écrivait un manuel d’éducation sexuelle, qui m’a refilé le tuyau.
– À savoir ?
– Non, ça me gêne. Je te le dirai la prochaine fois. »
Une semaine plus tard, elle lui révéla de quoi il s’agissait. Mais elle le fit à sa façon coutumière, hésitante, en disant qu’elle était trop timide, jusqu’au moment où il insista, cajola et finit pas s’énerver. Ce ne fut qu’alors qu’elle commença à parler.
« Répertoire alphabétique », Journal d’une femme adultère, p. 651.