Passionné, certes, Jacques Côté l’est ! En route avec nous pour le petit déjeuner, il s’arrête dans une boutique du quartier Petit Champlain, histoire de faire une remarque sarcastique à propos de l’affiche unilingue anglaise qui orne la porte d’entrée.
Plus tard, pendant le repas, Jacques argumente, s’enthousiasme, ses yeux étincellent, il s’emporte !
Dans le début de la trentaine, ce jeune auteur de Québec a déjà écrit trois romans : Les montagnes russes (1988), Les tours de Londres (1991) et, tout récemment, Les amitiés inachevées (1994). Pourtant, Jacques Côté ne fait pas qu’écrire. Il prépare présentement un doctorat en littérature québécoise à l’Université Laval, en plus d’y être chargé de cours. L’écriture est-elle pour lui une activité volontaire, disciplinée ou s’exerce-t-elle de façon plus impulsive ?
« Il y a eu évolution. Je suis devenu très discipliné. C’est un exercice permanent, l’écriture. C’est comme un athlète qui doit s’entraîner, faire ses exercices de routines. Je dois faire des efforts tous les jours pour, justement, évoluer, m’améliorer, emmagasiner du savoir. Je perds moins mon temps désormais parce que, avec les compétences qui s’acquièrent au fil des ans, c’est comme si tu t’éparpillais moins ; tu fais de meilleurs placements narratifs. Écrire, c’est un plaisir extraordinaire, une jouissance absolue parfois. Je n’aurais que vingt-cinq lecteurs, je poursuivrais tout de même, parce que le plaisir est intrinsèque à l’écriture. Ça devient finalement des pulsions créatrices à satisfaire. »
Et le temps pour écrire, où le trouve-t-il ?
« Les matins valent leur pesant d’or. Un matin vaut parfois deux nuits. Mais ce peut être aussi quelques heures de sommeil en moins, une vie sociale un peu perturbée. Quand tu téléphones aux amis ou que tu les rencontres, ça prend souvent l’allure de retrouvailles. L’écriture est un trouble-fête… C’est difficile de couper les ponts et de s’isoler pour écrire, mais il faut que tu trouves ton temps, que tu lui abandonnes ton roman. C’est un grand juge. Il me serait impossible d’écrire un roman en six mois, comme semblait s’en vanter l’autre jour un écrivain. (J’ai compris alors pourquoi je détestais tant ses romans.) L’allié de l’écrivain, c’est le temps. On n’y échappe pas. Mais je suis conscient qu’il n’y a pas que ça dans la vie, écrire. Il faut vivre, puis écrire ; arriver à faire un équilibre. À mon avis, ce serait complètement absurde de ne vivre que pour écrire, et s’il n’y avait pas d’autre choix, j’abandonnerais l’écriture tout simplement. »
De l’écriture et de la vie
Si, pour Jacques Côté, la vie passe avant l’écriture, l’écriture, elle, passe-t-elle par la vie, la sienne ? En d’autres termes, quelle est la place occupée par l’autobiographie dans ses romans ?
« Avec Les amitiés inachevées, je termine une trilogie, un triptyque. C’est aussi la fin, pour un bon moment en tout cas, des romans puisant dans mon autobiographie. J’ai décidé d’aller maintenant du côté de la fiction. Cependant, on n’y va jamais à cent pour cent. Pour reprendre en la modifiant la pensée de Rimbaud, je dirais : Je est plus ou moins un autre. Je me retrouve dans chacun de mes romans. Il s’agit d’un moi fragmenté : en dix ans on évolue, on change. On retrouve différents Jacques Côté, mais c’est certain qu’il y a un noyau qui ne change pas. Je veux peindre la réalité à ma façon ; comme un peintre j’ai mes modèles, ceux que j’aime, ceux que j’aime moins. J’essaie de garder l’essentiel. Comme disait Hans-Robert Jauss : il ne faut pas se contenter de représenter le réel, mais le créer également. Je n’ai pas la prétention d’écrire ma vie, je la peins en mots en recréant des situations, je fonds mes états d’âme en images et en mots. »
Dans le troisième roman du triptyque, Les amitiés inachevées, Philippe, le personnage principal, se lance dans l’écriture par défi, pour impressionner une femme, Fabi. Lorsqu’on lui demande si c’est dans les mêmes circonstances qu’il est venu à l’écriture, l’auteur ne peut s’empêcher de rire avant de répondre : « On écrit toujours un peu pour séduire quelqu’un, pour obtenir quelque chose en retour. Dans ce cas-ci, je ne vous le dirai pas ! Mais vous pouvez reprendre le roman, ce n’est pas loin de la vérité : c’est pour une raison aussi drôle, vaniteuse et absurde que celle-là que j’ai commencé à écrire. »
On peut aisément reconnaître dans ce dernier roman des personnages rencontrés dans Les montagnes russes, percevoir une continuité dans les thèmes exploités. En fait, les trois romans de Jacques Côté font grand cas de la jeune génération et de ses problèmes : chômage, suicide, drogue, amour… « Je suis un écrivain à l’écoute de la rumeur sociale. J’essaie d’être un lecteur attentif de la société, en particulier de la société des jeunes et parmi eux des disparus : les suicidés, les exilés, les fugueurs, les ratés, les décrocheurs. Le sujet du suicide entre autres me touche profondément. Que nous détenions le record mondial m’atterre. Nous sommes issus de navigateurs, d’explorateurs, d’aventuriers, d’êtres qui aimaient la mouvance. Notre littérature, nos contes sont imprégnés d’une mythologie du voyageur, de l’exil. Nous avons ouvert bien des chemins sur ce continent, nous autres, Québécois. Aujourd’hui, il y a ceux que j’appelle les navigateurs du désespoir, ceux qui choisissent l’aller simple vers l’abîme. Est-ce que le suicide est devenu notre nouvelle frontière ? Le suprême exil ? La morgue est pleine de jeunes hommes et de jeunes femmes désabusés. Quel immobilisme ! Il n’y a plus de mouvance.
« En fait, c’est quand même terrible de penser ça, on est en tutelle. Et personne ne réagit ! On ne forme pas les jeunes à la revendication, mais on leur inculque la paresse, l’indifférence. Pour protéger leur place, les aînés ne nous ont pas appris à contester. De plus, le Québec est devenu un pourrissoir de talents. Les jeunes ne connaissent même pas leur histoire. Ils ne savent pas d’où ils viennent et où ils vont. Ça va devoir changer.
« Dans ce monde-là, où il devient de plus en plus difficile de faire un choix, de prendre sa place, l’amitié devient une oasis, une sorte de salut, un merveilleux refuge contre le désespoir. L’amitié et l’amour. Qu’est-ce qui reste d’autre quand tu ne peux pas faire ta place ? Il reste les amis, la fête, l’évasion. Et si vous regardez la littérature des jeunes auteurs, vous verrez qu’elle est beaucoup axée sur le plaisir : le sexe, l’amitié, les expériences de drogue, d’alcool. On cherche des voies de plaisir, des voies de salut. »
D’un roman à l’autre
Les thèmes, chez Jacques Côté, constituent un fil conducteur entre les romans, de même que la ville de Québec qui est le théâtre des amours de Dupuis et de Simone dans Les montagnes russes, de Philippe et Lucy Ferguson dans Les amitiés inachevées. Pourquoi écrire et décrire autant la ville de Québec ? « C’est certainement par attachement, je suis très attaché à ma ville, je la parcours sans arrêt. Je fais ma récolte d’images. Je suis un arpenteur, pour ne pas dire un flâneur, de la ville de Québec et pour moi c’est important d’inscrire la ville dans mes livres. Je veux que les gens puissent venir se promener avec mes personnages. C’est aussi une manière de graver l’Amérique française dans ce que j’écris. Québec est mon puits d’images. J’ai choisi de rester à Québec même s’il pourrait être plus facile d’être à Montréal, mais je reste ici. »
Les thèmes et les lieux sont sensiblement les mêmes dans le premier et le dernier roman de Jacques Côté, mais l’écriture est différente. Le langage dans Les montagnes russes est plus près de la langue parlée alors que l’écriture des Amitiés inachevées est plus rigoureuse, plus littéraire d’une certaine façon : « Oui, c’est carrément une évolution. À mon avis, si on ne se renouvelle pas, on meurt. Mon évolution passait par le langage : travailler davantage les figures de style, les symboles, la bonne vieille rhétorique quoi ! Dans mon premier roman, je voulais qu’il y ait une résonnance populaire et même, parfois, quand ça sonnait trop poetically correct, je coupais. Dans Les amitiés inachevées, au contraire, je voulais travailler davantage la structure, les phrases, le poids des mots. Chaque phrase passait dans la soufflerie. »
Entre ces deux romans, Les tours de Londres, différent à bien des égards, semble faire le pont. Ce second roman se distingue du fait de l’histoire, assez crue, et de la forme ; il est écrit entièrement en vers. « Après Les montagnes russes, ça m’a tenté de jouer avec la forme. Au cours d’un séjour en Angleterre, j’avais beaucoup aimé certaines lectures de textes de Byron et de Shelly auxquelles j’avais assisté. C’était un jeu : écrire, m’amuser, en me donnant une contrainte qui était la versification. J’ai essayé de décrire la vie décadente, carnavalesque de certains jeunes Londoniens et ça m’apparaissait la meilleure manière de le faire, sans me prendre pour Lord Byron bien entendu ! Mais évidemment, quand tu es hors champ, quand tu es un marginal dans le milieu de la littérature, ce n’est pas aussi facile, sauf pour l’écrivain médiatisé. Avec la télé aujourd’hui, il suffit d’aller dire deux ou trois traits d’esprit, quelques farces et c’est vendu… Le réseau fera le reste. »
Les amitiés inachevées parle de l’amitié qui unit Philippe à Alexis et de la relation amoureuse entre Philippe et Lucy. Cette dernière est torontoise ; elle est bien décidée à réussir l’assimilation de son amoureux québécois… Les allusions à la politique ont toujours été présentes dans les écrits de Jacques Côté, mais avec ce dernier livre il pousse beaucoup plus loin l’allégorie politique. « À mon avis, dans la situation où on est présentement, un écrivain, un artiste, doit s’engager. Après Meech, l’artiste qui ne s’engage pas ou qui joue sur les deux tableaux, comme certains écrivains le font présentement, c’est insupportable. On ne peut pas être à gauche, au centre et à droite en même temps. Lors des séances publiques de la commission Bélanger-Campeau, certains artistes sont venus hurler comme des fous leurs craintes de voir le Québec occuper tout le champ de la culture… Faisons-nous confiance ! À ce que je sache, les artistes français ne sont pas subventionnés par le British Council. Une subvention du Conseil des arts du Canada vaut-elle plus qu’un pays à bâtir ? Dans Les amitiés inachevées, je n’ai pas caché mes positions. À l’avant-plan il y a les relations humaines, des personnages qui ont des conflits ; en arrière-plan, une allégorie politique. Je voulais montrer l’absence d’unité au Québec, et pas uniquement entre le Québec et le Canada. »
En plus de faire des allusions, dans ce roman, à la situation politique du Québec, Jacques Côté n’a pas craint non plus de se prononcer sur la situation culturelle, en dirigeant notamment quelques attaques à l’endroit de la critique : « Je ne suis pas là pour être aimé. Si j’ai à être mal aimé, je le serai, j’assumerai ce rôle-là. Je n’avais aucun compte à régler, j’ai donné quelques coups de griffes, sans plus. Je considère en effet avoir été assez bien traité par la critique. Mais il y a des choses qui me déplaisent dans le ‘champ culturel’ (pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu) : je n’aime pas comment ça fonctionne. Je n’aime pas non plus la centralisation de la culture à Montréal, la montréalisation à outrance ; je déplore aussi certains manques d’éthique. Exemple : ce n’est pas normal qu’un critique ait, comme c’est arrivé déjà, à faire la recension de quatre romans dans la même semaine. C’est de la boucherie ! On n’est pas des quartiers de viande ! Mais il n’y a que quelques traits d’ironie à leur endroit dans mon livre ; ce n’est pas un essai que j’ai fait, ni un pamphlet, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’y aller de quelques adresses. »
« Si j’ai choisi les plaines, c’est parce que je veux éviter d’être prisonnier entre quatre murs pour expliquer les raisons qui motivent ma rupture. Qui sait, si ça tourne mal, j’aurai peut-être à battre en retraite. Dans ce cas, l’escalier du Cap-Blanc s’offrira toujours à moi comme une sortie de secours. Je ne tiens pas à effriter davantage le cœur friable de cette fille alors que je me sens en position de force. J’espère seulement qu’elle comprendra tout ce qui nous sépare. »
Les amitiés inachevées, p. 95-96.
Regard vers l’avenir
Les deux premiers romans de Jacques Côté avaient été publiés chez VLB. Or, Les amitiés inachevées a vu le jour chez Québec/Amérique : l’auteur jugeait qu’il était bon, après deux romans, d’effectuer un changement. Du changement, Jacques Côté n’a pas fini d’en provoquer puisqu’il a de nombreux projets : écrire pour la jeunesse, pour le théâtre, pour le cinéma et la télévision ; terminer son doctorat, enseigner éventuellement. De son premier roman, Les montagnes russes, on a tiré le téléfilm Embrasse-moi c’est pour la vie qui a été présenté sur les ondes de Radio-Canada dans le cadre des Beaux dimanches, le 12 février 1995.
Jamais à cours d’idées ou de ressources, l’auteur a même, assez ironiquement d’ailleurs, élaboré certains projets de promotion pour la vente des livres au Québec : inclure des gratteux dans les romans, créer des livres qui s’autodétruiront s’ils demeurent trop longtemps sur les tablettes, faire des lancements de livres plus spectaculaires, du sommet du complexe G… par exemple, comme il le suggère dans Les amitiés inachevées. Passionné ? Certes, Jacques Côté l’est.
Jacques Côté a publié :
Les montagnes russes, VLB, 1988, 225 p. ; Les tours de Londres, VLB, 1991, 121 p. ; Les amitiés inachevées, Québec/Amérique, 1994, 214 p.