Il fait partie, dit-il, de ceux qui chuchotent. Mais les nouvelles, les romans et la poésie de Donald Alarie, murmurés depuis plus de trente ans, pavent les sentiers de nos vies quotidiennes comme de petits cailloux qu’on repère tout à coup et qu’on garde à portée de main, tel un talisman, pour le reste de la route tant on s’y retrouve entre les lignes.
Lauréat, entre autres, du Grand Prix du Conseil des arts et des lettres du Québec dans Lanaudière en 2006, Donald Alarie écrit sotto voce une œuvre où se côtoient, au jour le jour, la part sombre et la part lumineuse de personnages qui ressemblent à la voisine d’en face ou à l’inconnu croisé dans un café ou ailleurs.

Nuit blanche : On parle souvent de Donald Alarie comme d’un écrivain intimiste. Êtes-vous d’accord avec ce qualificatif ?
Donald Alarie : Je regarde le journal télévisé au moins deux ou trois fois par jour. Je lis les journaux régulièrement. Je m’intéresse autant aux nouvelles d’ici qu’à ce qui se passe sur le plan international. Pourtant lorsque j’écris, j’aborde rarement les problèmes d’ordre social ou politique. C’est comme si depuis le début je réservais l’écriture à des sujets plus intimes. Cela n’a pas été chez moi un choix réfléchi, mais la chose s’est faite naturellement. J’ai d’ailleurs opté pour l’écriture parce que c’est un art intime. On écrit dans la solitude, sauf si on fait un livre en collaboration… Je suis en général du côté de ceux et celles qui chuchotent ou qui murmurent, plutôt que dans le clan des gens qui haussent le ton sans arrêt. Et mon écriture ne se prête peut-être tout simplement pas aux grands sujets sociaux. Je trouve un peu embêtant d’être mis dans une case, mais j’admets que l’expression écrivain intimiste me convient.
Ces sujets plus intimistes ne sont pas pour autant autobiographiques ou autofictionnels ?
D. A. : Quand j’ai commencé à publier, je me suis dit que je devais m’efforcer de ne pas utiliser, dans mes livres, des éléments de ma vie ou de celle des gens autour de moi. Mais je me suis rendu compte que tout écrivain le fait un peu, même quand il ne le veut pas. Cela se développe parfois de façon subtile, à notre insu. À d’autres moments, cela se fait de manière plus consciente. Mais je n’écrirai jamais ce qu’il est convenu d’appeler de l’autofiction. Par certains côtés, le personnage de David dans mon dernier roman me ressemble beaucoup. Je dirais même que c’est mon livre le plus autobiographique. Mais je pourrais par contre donner plusieurs exemples qui font qu’il se distingue de moi. Par exemple, il s’est toujours refusé à enseigner, alors que moi je l’ai fait pendant 27 ans. Comme le dit d’ailleurs David à propos d’une de ses propres nouvelles : « De toute façon, j’aurais été incapable de raconter les faits sans les transposer ».
Vous écrivez depuis plus de trente ans. Vous avez d’abord écrit deux romans et des recueils de nouvelles, puis, pendant presque dix ans, vous avez publié exclusivement des recueils de poésie, avant de revenir aux nouvelles et, tout dernièrement, au roman. Peut-on parler de cycles d’écriture ?
D. A. : À la fin de mon adolescence, quand je rêvais de devenir écrivain, c’est d’abord à la poésie que je pensais. Ce sont pourtant des romans et des recueils de nouvelles que j’ai publiés en premier. J’avais une telle admiration pour les poètes que j’en étais venu à me sentir indigne de partager leur art. Et lorsque j’ai publié un premier recueil chez un éditeur de poésie [Petits formats, 1987], c’étaient des poèmes en prose. Et ce fut le cas pour les recueils suivants. Puis un jour, j’ai osé publier en vers… Je ne peux pas dire que tout cela correspond à des cycles. En tout cas, je ne me suis jamais dit : je vais me consacrer à la poésie pendant les années qui viennent. Et il faut ajouter que je ne publie pas nécessairement les livres dans l’ordre dans lequel ils ont été écrits. Un manuscrit peut parfois dormir un an ou deux, puis je me décide à le retravailler. Entre-temps, j’ai écrit autre chose qui sera peut-être publié en premier.
Qu’est-ce qui vous amène à choisir un genre plutôt qu’un autre ?
D. A. : À un moment donné, je me sens bien dans l’écriture d’une nouvelle. Elle peut m’avoir été inspirée par quelqu’un que j’ai croisé dans la rue, par un souvenir d’enfance ou une remarque entendue au café ou à la télévision. À une certaine époque, je feuilletais les quotidiens en espérant y trouver des éléments déclencheurs. Bien sûr, il y a souvent peu de rapport entre le point de départ et le produit final. C’est le travail d’écriture qui fait le texte. Et si d’autres nouvelles viennent s’ajouter sur le même ton, cela donnera éventuellement un recueil.
Pour la poésie, c’est encore plus difficile à expliquer. C’est l’art de la suggestion. Ce sont habituellement les images qui me viennent en premier. J’écris alors à la main, sur des petites feuilles. Si je réussis à faire quelques poèmes autour d’un même thème, je me dis que je viens possiblement d’entreprendre la rédaction d’un recueil. Par la suite, je m’installe devant l’ordinateur, car c’est là, depuis 1990, que je me sens le mieux pour écrire. Que j’écrive des poèmes en vers ou en prose, il y a toujours plusieurs versions. Parfois, je fais même une version en vers et une en prose et j’hésite longtemps avant de décider laquelle je vais offrir à mon éditeur.
Je pense qu’il faut une énergie particulière pour aborder le genre romanesque. Même si mes romans sont plutôt brefs, cela demande un certain souffle. Et surtout un personnage central qui s’impose. Aussi un décor, quelques lieux où se développera tout cela. Mon roman Tu crois que ça va durer ? m’est venu d’un lieu précis : la rue où je suis né à Montréal. J’y suis retourné pour constater qu’elle avait relativement peu changé. Puis je prends des notes pendant quelque temps. Parfois, elles me servent au moment de l’écriture, mais parfois pas du tout. Chose certaine, je ne fais jamais un plan détaillé. L’écriture sera toujours pour moi une sorte d’aventure. Si je savais exactement où je m’en vais, je n’écrirais pas.
Il se produit parfois des surprises en cours de route. Il m’est arrivé, il y a quelques années, de commencer un livre en pensant que ce serait un recueil de nouvelles et, après avoir écrit six ou sept textes, je me suis rendu compte que mon travail glissait vers le roman. C’était pour David et les autres paru en septembre 2008. Dans ce cas, c’est le personnage de David qui s’est imposé. Il y a plusieurs années, j’ai travaillé longuement à un recueil de poèmes en prose. Je ne l’ai jamais publié, mais certains de ces textes brefs sont devenus des nouvelles qui font maintenant partie d’Au jour le jour [2006].
Votre écriture est organique, écologique, pourrait-on dire, au sens où on retrouve souvent un même bout de texte ou un texte complet retravaillé, développé dans des œuvres ultérieures, comme votre roman jeunesse Comme un lièvre pris au piège, qui a pour origine une nouvelle précédente. Est-ce conscient, volontaire ?
D. A. : J’ai souvent pensé que l’écriture demeurait, malgré tous nos efforts, quelque chose d’inachevé. Il arrive un moment où, à tort ou à raison, on laisse aller un texte, on le publie. Une fois cela fait, il m’est arrivé d’en reprendre un (un poème, une nouvelle…) pour le retravailler, le développer et l’intégrer dans un autre manuscrit. C’est comme si je réalisais que je n’en avais pas fini avec tel ou tel texte. J’éprouve le besoin de recycler, en quelque sorte. L’exemple que vous donnez est tout à fait juste. Je peux en donner un autre : le premier chapitre de David et les autres était, à l’origine, un poème en prose publié dans un recueil intitulé Au cru du vent [avec des textes de Bernard Pozier, 1990].
Vous travaillez donc sur plus d’un projet à la fois ?
D. A. : Il m’arrive de laisser dormir un manuscrit pendant un bon moment. Quand je le reprends, je me rends parfois compte que je ne le publierai jamais. Ou je le retravaille pour le mener à terme. Il m’est arrivé une fois de passer d’un manuscrit à l’autre pendant environ trois ans : un recueil de poèmes, un recueil de nouvelles et un roman. Les deux premiers ont survécu et l’autre a été abandonné. Et mon éditeur était alors d’accord avec ma décision de ne pas publier le roman. Mais je préfère, en général, me concentrer sur un projet à la fois.
Certaines images récurrentes traversent l’ensemble de votre œuvre mais en particulier la poésie : le vent, qui semble toujours tout détruire ; l’été et juillet, surtout, qui apparaissent comme une forteresse contre tout ce que la vie peut apporter de tragique ; l’arbre, miroir des états d’âme du narrateur, comme si vous creusiez toujours de plus en plus profond autour d’elles.
D. A. : On n’en finit jamais avec ses obsessions. Sinon, elles ne porteraient pas ce nom… Il y a sûrement chez chaque écrivain, surtout chez les poètes, des images fondatrices. D’où viennent-elles ? Belle question… Par exemple, l’arbre est présent dans mes poèmes. Pourtant, je ne suis pas ce qu’il est convenu d’appeler un amant de la nature. Mes textes sont avant tout urbains. Et pourtant, on y trouve des arbres, mais ce sont ceux de la ville, ceux qu’il y a par exemple dans le parc. Derrière ma maison, il y a un érable, un pommier et un bouleau. Ils évoluent sous mes yeux au fil des saisons. Ils se dépouillent et ils renaissent. Et ils se font entendre dans le vent. L’arbre appartient à la terre et au ciel ; il est à la fois force et fragilité. Tout cela me fascine depuis un bon moment. Pour ce qui est de l’été, il a longtemps été associé pour moi à la liberté. J’aimais enseigner, mais lorsque je quittais le collège pour deux mois, je me sentais infiniment plus léger. Ma vie m’appartenait alors un peu plus. Et j’ai toujours pensé que mon temps était un de mes biens les plus précieux. Beaucoup plus précieux que tous les produits de consommation pour lesquels je suis sans cesse sollicité. En ce qui concerne le vent, il peut parfois tout bousculer, y compris mon monde intérieur. C’est un ennemi qu’il faut tenter d’apprivoiser.
Une autre image qui revient avec insistance, au point d’ailleurs d’illustrer la couverture de quatre de vos livres Au jour le jour, David et les autres, Les figurants et Parfois même la beauté, est celle de la fenêtre. Les personnages sont-ils avant tout des témoins, des observateurs de ce qui se passe à l’extérieur ? Ou est-ce alors celui qui écrit ces textes ?
D. A. : Je dois dire que j’ai toujours essayé de participer à la production de mes volumes. Et la couverture en est un élément important. Je fais habituellement des suggestions à mes éditeurs, qu’ils sont libres d’accepter. Une fenêtre est symbole d’ouverture. Mais on peut aussi regarder de l’extérieur vers l’intérieur… Quand je regarde par une fenêtre, je ne vois qu’une partie du monde et c’est sur cette portion que je peux me concentrer. Saisir le monde dans son entier n’est pas possible, mais on peut lui trouver un sens si on le regarde d’un point de vue particulier. On peut alors l’observer, l’analyser et en jouir. Ou être attristé. C’est selon ce qui s’offre à nous. Ce besoin de regarder le monde à travers un cadre, de n’en saisir qu’une partie à la fois, explique peut-être pourquoi la nouvelle occupe un place de choix dans mon travail d’écriture. C’est ce que font les peintres et les graveurs. Ils mettent dans un cadre (une fenêtre) des formes et des couleurs qui acquièrent ainsi une signification originale. On pourrait aussi parler du cinéma, une autre de mes passions, qui se présente, en quelque sorte, à travers une immense fenêtre. J’ajoute que je porte des lunettes depuis l’âge de trois ans et, depuis ce temps, je regarde le monde à travers deux petites fenêtres qui ne me quittent jamais.
Dans Tu crois que ça va durer ?, justement, votre personnage principal travaille dans un musée ; aussi plusieurs de vos textes font explicitement référence à des œuvres picturales. Les arts visuels vous inspirent ?
D. A. : J’ai toujours eu une immense admiration pour les artistes en arts visuels, les peintres, les graveurs. Ils font ce que je ne pourrai jamais faire. Dans les années 1980, j’ai d’ailleurs écrit plusieurs textes inspirés par des œuvres picturales. J’aimais bien imaginer ce qui se produirait si le contenu d’un tableau se mettait en mouvement. Dans Au cru du vent, publié en 1990 avec Bernard Pozier, tous les textes ont été inspirés par des œuvres du Musée d’art de Joliette. J’ai également mis sur pied, avec le photographe Jean-Marie Savage, deux expositions de photos. J’ai écrit de petits textes pour accompagner ses photos. J’ajoute qu’il y a une dizaine d’œuvres d’artistes québécois sur les murs de la pièce où je travaille.
Dans ce même roman, Tu crois que ça va durer ?, chaque chapitre se termine par un poème ou un extrait de poème d’écrivains tels Marie Uguay, Jacques Brault, etc. La conception de ce roman a-t-elle son origine dans ces poèmes ?
D. A. : L’idée de mettre des poèmes à la fin des chapitres m’est venue en cours d’écriture. Le narrateur de ce roman aime bien traverser la journée en ayant en tête quelques vers qu’il a lus le matin. Et je trouvais intéressant de briser la cloison qu’on met habituellement entre deux genres littéraires, le roman et la poésie. Je me souviens qu’une lectrice de ce roman m’a dit qu’elle ne lisait pas de poésie, mais que là, elle n’avait pas eu le choix. Cela m’a fait plaisir. Peut-être y a-t-elle pris goût ?…
On distingue deux veines particulières dans vos premiers textes : l’une axée sur des personnages ordinaires bien que souvent décalés, des histoires de la vie quotidienne ; l’autre où, sous des apparences de normalité, surgit tout à coup un élément proche de la science-fiction, ce qu’on ne trouve plus dans vos derniers recueils de nouvelles.
D. A. : Dans les années 1980, il m’est arrivé en effet d’écrire des textes à caractère fantastique ou merveilleux. On en trouve surtout dans Jérôme et les mots et dans Un homme paisible. Dans certains poèmes en prose aussi. Il faut dire que j’avais alors parmi mes écrivains préférés des auteurs comme Edgar Allan Poe et Boris Vian. Et je lisais avec ravissement les œuvres de Jacques Ferron. Puis j’ai compris que je me sentais plus à l’aise dans les histoires quotidiennes et c’est cette veine qui a pris toute la place. Je me rappelle par ailleurs avoir écrit un texte, vers 1978, pour la défunte revue Hobo Québec, qui s’intitulait « Au quotidien ». Et je crois que ce titre convient encore bien à mon travail d’écriture et à ma façon de vivre en général.
À l’inverse, se dégage de plus en plus dans vos derniers recueils une ironie apparue de façon évidente lors des lectures publiques, par des comédiens du collectif lanaudois À voix haute, de nouvelles extraites d’Au jour le jour. Donald Alarie devient-il ironique avec le temps ?
D. A. : Je dois avouer que j’ai été surpris d’entendre les gens rire en écoutant les comédiens lire quelques nouvelles. Il est vrai que certaines mimiques ou certaines intonations peuvent accentuer des aspects qu’une lecture silencieuse ferait moins ressortir. Je ne me suis jamais perçu comme un auteur comique. Par contre, les gens de mon entourage, parents et amis, trouvent que j’ai parfois un humour bien personnel. C’est sans doute une façon de survivre, de faire face à ce qui est souvent inacceptable… L’ironie sera-t-elle plus présente dans mes textes à venir ? Je l’ignore totalement.
Vos personnages de nouvelles et de romans sont le plus souvent des gens ordinaires ou, pourrait-on dire, des « marginaux ordinaires » mendiants, marcheurs, timides maladifs, grands malades, etc. dont on découvre, comme en passant, les drames cachés. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre de personnages ?
D. A. : J’aime bien l’expression « marginaux » ordinaires. Par contre, s’il y a des « timides maladifs » dans mes textes, mes personnages ne le sont pas tous… Ils sont souvent démunis, mais ne le sommes-nous pas tous devant ce que la vie nous offre trop souvent… Traverser l’existence, s’en sortir convenablement, est déjà pour moi un parcours héroïque. Et tous les êtres humains, même les plus humbles, vivent des drames cachés ou de grandes joies que seuls leurs intimes connaissent parfois. Il n’est pas nécessaire de toujours se tourner vers les héros adulés par les foules. J’admets par contre que ceux-ci peuvent parfois nourrir mon existence.
À plusieurs reprises, y compris dans David et les autres dont le personnage principal apparaît comme une sorte d’alter ego
D. A. : Il est certain que si je n’avais pas un jour découvert le grand bonheur de lire, je n’aurais jamais écrit. En ce sens, je suis d’accord avec tout ce que dit à ce sujet le personnage de David dans mon dernier roman. Parfois, la lecture d’une œuvre bouleversante peut être pour moi à l’origine d’une nouvelle ou d’un roman. À d’autres moments, je suis tellement ébloui par ce que je viens de lire qu’il m’arrive de mettre en doute la nécessité de poursuivre mon travail d’écriture. Le thème de la lecture est d’ailleurs présent dans plusieurs de mes œuvres. Dans La rétrospection [1977], le narrateur est libraire et il parle beaucoup de ses lectures. Comme nous l’avons vu précédemment, le narrateur de Tu crois que ça va durer ? est un lecteur de poésie. Et il lui arrive d’aller faire la lecture à sa belle-mère, dont la vue se fatigue rapidement.
J’ai passé infiniment plus de temps, dans ma vie, à lire qu’à écrire. Il m’arrive d’être quelques mois sans écrire, mais je ne pourrais me priver de la lecture aussi longtemps. Un peu comme le personnage de David auquel vous faites allusion, je ne quitte jamais la maison sans un livre. Je peux lire n’importe où : au café, dans un parc, dans le métro… Je me permets de reprendre une phrase d’un texte que j’ai publié dans la journal L’Unique de septembre 2008 : « Je me demande ce que serait devenue ma vie si je n’avais pas eu ces centaines d’auteurs qui m’ont accompagné au fil des ans, comme des être chers ».
Donald Alarie a publié :
Romans : La rétrospection, Pierre Tisseyre, 1977 ; La vie d’hôtel en automne, Pierre Tisseyre, 1983 ; Tu crois que ça va durer ?, XYZ, 1999 ; David et les autres, XYZ, 2008.
Nouvelles : La visiteuse (avec Le dragon blessé de Claude R. Blouin), APLM, 1979 ; Jérôme et les mots, Pierre Tisseyre, 1980 ; Un homme paisible, Pierre Tisseyre, 1986 ; Les figurants, Pierre Tisseyre, 1995 ; Au café ou ailleurs, XYZ, 2004 ; Au jour le jour, XYZ, 2006.
Roman jeunesse : Comme un lièvre pris au piège, Pierre Tisseyre, 1992.
Poésie : Petits formats, Écrits des Forges, 1987 ; La Terre comme un dessin inachevé, Écrits des Forges, 1990 ; Au cru du vent (en collaboration avec Bernard Pozier), Écrits des Forges/Musée d’art de Joliette, 1990 ; Parfois même la beauté, Écrits des Forges/Le Dé bleu, 1993 ; Ainsi nous allons, Écrits des Forges, 1997 ; Avec notre fragilité ordinaire, Écrits des Forges/Grand Océan, 1999 ; Cinéma urbain, Écrits des Forges, 2002 ; Todo está perdido, todo se vuelve a encontrar/Tout est perdu, tout est retrouvé, édition bilingue espagnol/français, Secretaría de Cultura, État de Colima (Mexique)/Écrits des Forges, 2006.
EXTRAITS
J’y arrive tranquillement. Encore quelques heures à écrire dans ce cahier et tout sera dit. Tout sera expliqué. Mais au moment de quitter la maison ce lundi soir-là, je ne pensais pas que je me retrouverais, quelques mois plus tard, assis régulièrement devant une fenêtre donnant sur une vieille rue de Montréal, un crayon à la main, tentant de revivre une partie de mon passé.
Gabrielle passe de l’autre côté de la rue, toujours vêtue de façon aussi peu discrète. Elle s’arrête, gesticule, repart. Depuis quand accompagne-t-elle Bruno à l’école ?
Tu crois que ça va durer ?, p. 76.
Pour David, traverser la journée sans cette arme rassurante – un livre bien chargé au fond de la poche de son manteau –, ce serait comme se promener nu en plein hiver, à trois heures de l’après-midi, dans une ville de province où tout le monde se connaît depuis la petite enfance.
Sans cette arme rassurante, il se verrait assujetti aux faits divers fâcheux pouvant surgir à chaque intersection. Il n’aurait aucune chance de s’en sortir. Il glisserait peut-être vers la folie. Il avait compris cela depuis longtemps.
David et les autres, p. 74.
C’est l’arrivée d’un nouveau client, un autre résidant du quartier, un homme dans la quarantaine que je salue à peine lorsque je le croise, qui est venue me sortir de ma stupéfaction. J’ai fini par me lever. En m’apercevant, debout au milieu de l’allée, il a sans doute pensé un instant que j’étais le responsable de tout ce carnage. Mais comme j’avais peine à tenir sur mes jambes et que j’étais sans doute blanc comme un drap, il a compris que ce n’était pas le cas.
En le voyant réagir, je me suis dit qu’il y avait des gens capables de conserver leur sang-froid. Après avoir appelé la police, il a essayé d’aider les deux blessés tant bien que mal. Il m’a réconforté un peu par de bonnes paroles. Autrement dit, il a fait tout ce que je n’avais pas eu le courage de faire.
« Au dépanneur », Au jour le jour, p. 68.
SPECTACLE DU BONHEUR
Elles se sont réfugiées sous un grand châle de rires. On devine leurs épaules courbées dans les plis de la joie.
Petits formats, p. 32.
VIELLIR
De la poussière de fatigue recouvre la peau du visage, assèche les lèvres, cache les rides naissantes. Parfois, les yeux s’ouvrent comme deux phares clignotant dans le brouillard, au bout du quai, faiblement. Les grands cargos du soir dérivent, le souffle court.
Petits formats, p. 51.
LA PREMIÈRE FOIS
Tout peut se produire près d’une chaise abandonnée ou d’une porte entrouverte qui laisse deviner, dans l’ombre, des plats dont on se sert pour les repas quotidiens. Un petit rien et nous recommençons à nous regarder comme si c’était la première fois. Le silence nous rassure et les mots à venir ne nous inquiètent pas. Un verre brisé, un appareil ménager en détresse ou un mur qui se lézarde ne peuvent rien contre nous. Nous pourrions même faire fuir la nuit si elle se présentait à visage découvert.
Parfois même la beauté, p. 23.
Certains jours, nous aimerions être comme les miroirs qui se contentent de dire la vérité. Ils préfèrent laisser la fiction à ceux et celles qu’ils regardent passer. Ils ont l’âme en paix.
C’est du travail propre. Bien fait.
Ainsi nous allons, p. 88.
Parce que ce matin très pluvieux de fin mars n’annonce rien de bon pour la survie des émotions nécessaires, je me réfugie dans tes yeux en pensant que tout me sera ainsi redonné.
Je suis convaincu d’avoir raison.
Avec notre fragilité ordinaire, p. 82.
Rien ne sait aussi bien dire la douceur du soir que le bruit d’une fine pluie qui nous parvient par la fenêtre ouverte. Au moment où les grands arbres se recueillent avant de se retirer dans la nuit, les paroles ne sont plus nécessaires. Il reste dans l’air une musique rassurante qui rappelle de tendres moments de notre enfance.
Todo está perdido, todo se vuelve a encontrar/Tout est perdu, tout est retrouvé, p. 113.