Depuis 2006, Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot, fondateurs de la maison d’édition La Peuplade, font rayonner la littérature d’ici et d’ailleurs. Spécialistes des premières œuvres, ils publient des textes fracassants et inspirants qui explorent l’identité et le territoire. C’est grâce à eux que le public a pu entre autres découvrir les voix de Christian Guay-Poliquin, Mélissa Verreault, Daniel Canty, Frédérick Lavoie…
À la fois ouverte sur le monde et enracinée dans son milieu, La Peuplade témoigne manifestement du fait que l’édition en région n’est pas synonyme de régionalisme.
Portrait d’une maison d’édition nordique.
Naissance du projet
Liés par leur passion commune qu’est l’écriture, Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot avaient toujours eu en tête de mettre sur pied un projet culturel. Partageant d’abord leur vie entre Montréal et Tadoussac – où ils tenaient une galerie d’art plutôt dynamique –, ils ont vite pris conscience du potentiel qu’offraient les petits milieux. Là, les projets leur semblaient porteurs, ils reflétaient les particularités des lieux et des gens qui y vivaient. Ils ont finalement eu envie de s’ancrer : « On a eu envie de faire le saut, de s’établir quelque part, de quitter la ville. On a donc décidé de revenir s’installer au Lac-Saint-Jean. On a racheté la maison de mes parents à Saint-Henri-de-Taillon. On ne savait pas trop encore ce qu’on ferait, mais notre pari était de créer notre propre projet, une entreprise culturelle X ».
C’est finalement un article paru dans Le Devoir qui permet au projet d’éclore : « Je me rappelle qu’il y était question de plusieurs maisons d’édition, dont l’Hexagone, qui venaient d’être achetées par Québecor. Nous, on n’en revenait pas que ces maisons-là, associées à de grands auteurs comme Gaston Miron et Roland Giguère, passaient à la grande machine. C’est ce qui est devenu le moteur. On a décidé de combattre le gros par le petit et c’est ainsi qu’on a commencé à élaborer le projet de La Peuplade ». L’idée de départ comprenait deux volets, soit l’édition et la diffusion d’art, mais ils ont rapidement réalisé que l’édition était une pratique à part entière : « On partait de zéro. Il a fallu chercher, il fallait séduire les gens autour de nous pour qu’ils aient envie de publier dans notre maison. Au départ, le projet a été plus familial. J’ai publié, puis on a publié François, le frère de Simon Philippe. C’étaient les deux premiers livres. Ensuite, Simon Philippe a publié, puis Sophie, ma petite sœur. C’est un hasard de la vie qu’on soit tous des écrivains. Cela a en quelque sorte facilité des choses, mais en a aussi compliqué d’autres… On ne pouvait pas seulement rester entre nous ».
Traverser le parc
Il leur a paru évident que, pour rester dans la région, il était essentiel de s’illustrer ailleurs. Il leur a donc fallu déployer bien des efforts : « Dès le départ, on voulait l’expansion, on voulait traverser le parc [des Laurentides] très vite, se faire connaître partout. On ne voulait pas être étiquetés comme une maison régionaliste. On est donc partis sur la route avec nos livres. On tenait à faire la tournée des librairies. À chaque livre qu’on sortait, on repartait sur la route. Après cinq ou six livres, c’est devenu trop lourd de faire ça nous-mêmes ». Il reste que leurs efforts n’ont pas été vains. Lorsqu’ils ont rencontré leur futur distributeur, celui-ci a été impressionné par le nombre de librairies avec lesquelles ils faisaient déjà affaire. Et même si aujourd’hui ils n’ont plus à jouer ce rôle, le contact reste essentiel dans leur démarche : « Je dis toujours que l’édition, c’est relation. Même pour tout ce qui se joue sur la scène internationale, il y a des rencontres ; tout se tisse ainsi ».
Onze ans plus tard, les enjeux sont ailleurs, plutôt du côté de la diffusion, l’une de leurs forces : « On comprend bien la diffusion, comment elle doit se faire aujourd’hui. Cela a beaucoup changé dans les dernières années, la game est vraiment différente et certains ne s’adaptent pas. On est un chef de file dans la diffusion du livre, on est entre autres très, très présents sur les réseaux sociaux. On a accès à des données, on sait qui suit La Peuplade, on analyse ces données-là. Des gens nous ont aidés à nous construire des outils pour y arriver. Ce n’est pas si compliqué mais il faut y voir. On vend un livre à la fois et dans dix ans ce sera la même chose… »
Mais comme le dit si bien Mylène Bouchard, l’édition, c’est surtout une question de temps puisque « le jour où on achète le livre n’est pas nécessairement le jour où on va le lire ». Ainsi, il faut compter des années avant que les gens aient lu quatre, cinq livres de la maison : « Après onze ans, on peut maintenant dire qu’un public nous suit. Nos lecteurs ont adopté la maison parce qu’elle est gage de qualité, ils savent qu’ils ne seront jamais déçus. Ça va au-delà de nos attentes. C’est impossible de créer un tel intérêt de toutes pièces. La seule chose qu’on peut faire, c’est de continuer à publier d’excellents livres et de se dépasser chaque fois ».
L’édition en région « éloignée »
Pour Mylène Bouchard, éditer en région est loin d’être un obstacle : « Faire un livre, le produire, peu importe où tu es ça ne change rien. Après, c’est faire connaître les livres qui est le véritable défi, toujours revenir sur la crédibilité de la maison. Il y a parfois des préjugés qui peuvent surgir… Je me rappelle que David Bouchet, l’auteur du livre Soleil, avait envoyé son manuscrit à douze maisons d’édition. La douzième était La Peuplade et il a avoué s’être dit qu’il perdait son temps. Il souhaitait publier à Mémoire d’encrier. Finalement, c’est nous qui l’avons appelé et le mariage est parfait ».
Le principal inconvénient reste la distance par rapport aux grands centres : « On va deux ou trois fois par mois à Montréal. On devrait vivre là-bas parce qu’on serait plus présents dans les lancements, les événements, les soirées littéraires… toutes sortes de choses auxquelles on ne peut pas toujours participer personnellement ». D’un autre côté, cet éloignement offre aussi des avantages et La Peuplade les voit d’un bon œil : « Je dis tout le temps, un peu à la blague, que quand je rencontre les gens de mon milieu, je suis vraiment contente de les voir parce que je ne les vois pas souvent. Pour moi, la région représente un mode de vie. Un mode de vie calme où il y a moins de bruits, moins d’influences. On n’est pas au courant des potins et notre visibilité dans les médias est toujours positive. Ils ne nous connaissent pas personnellement, quand ils parlent de nous, c’est parce qu’ils en ont vraiment envie ».
Ainsi, La Peuplade cherche constamment à tirer profit de sa situation géographique afin que cet enjeu soit positif et dynamisant. Elle leur a d’ailleurs permis d’établir des ponts avec d’autres territoires, entre autres par la collection « Fictions du Nord » : « On a traduit de l’islandais le roman de Gyrðir Elíasson (Les excursions de l’écureuil), cet automne [2017] on publie un livre groenlandais à propos d’une jeune femme inuite (Homo sapienne de Niviaq Korneliussen1) qui est extraordinaire et j’ai aussi vraiment envie d’aller au nord du Japon… En même temps, cet automne, paraît Borealium tremens de Mathieu Villeneuve2, un Chicoutimien, qui réinvente le roman de la terre. C’est fascinant… Je dis souvent que nous sommes une maison d’édition sans frontières… »
Défi relevé
Il ne semble donc pas exagéré d’affirmer que La Peuplade a atteint les buts visés et que cette « entreprise culturelle » a de quoi flatter l’orgueil. Secret de polichinelle, c’est la passion le vrai moteur de ce beau projet : « Nous sommes fiers d’avoir relevé le pari : être ici, avoir fondé une famille, avoir un salaire. On vient d’engager un nouvel éditeur, une autre personne se joindra probablement à l’équipe d’ici six mois à un an, sans compter les pigistes qui gravitent autour de la maison… On a une famille d’auteurs incroyable, on a maintenant énormément de propositions qui nous amènent à faire des choix parfois déchirants. La maison a une identité complètement autonome, même par rapport à nous qui en sommes les fondateurs. La Peuplade fait sa vie et c’est ça qui est extraordinaire. Notre passion pour le métier grandit toujours et je souhaite que ça se poursuivre. On crée de petits miracles avec chaque livre. On veut continuer à travailler avec humilité et humanité, à s’intéresser aux autres. Il faut continuer de faire les bons choix et de suivre notre route ».
1. Voir « From Greenland with Love » par Pierre-Luc Landry dans Nuit blanche, no 149, p. 16-17.
2. Voir « Le délire nordique de Mathieu Villeneuve » par David Laporte dans Nuit blanche, no 150, p. 49.