Marie-Claire Blais a fait paraître en mars 2005 Augustino et le chœur de la destruction, troisième volet d’une trilogie inaugurée avec Soifs (1995), Prix du Gouverneur général, suivi de Dans la foudre et la lumière (2001). Une œuvre magistrale que Marie-Claire Blais, rencontrée au seuil du printemps, a commentée pour Nuit blanche.
Avant le flux, Les vagues. En préface de Soifs, le premier tome de sa trilogie, Marie-Claire Blais citait Virginia Woolf. Rien de surprenant à cela puisque le plus stylisé des romans de Virginia Woolf dont Marguerite Yourcenar avait percé « la lucidité jusque dans la grâce » a sans nul doute à voir avec l’œuvre de Marie-Claire Blais. Comme sa célèbre devancière anglaise, Marie-Claire Blais a « cette érudition aisée, aussi aérée que possible » qui donne l’air de se promener à l’intérieur de l’âme humaine et surtout cette révolte qui, en marge de tout courant littéraire, est « bien davantage qu’une simple rénovation technique […], l’affirmation d’un point de vue sur la vie ». Cette trilogie aujourd’hui complétée ne consiste pas en un sujet mais, comme en musique – la comparaison n’est pas fortuite – en plusieurs thèmes entremêlés. On retient la ténuité de la trame. On contemple le juste choix des vocables et leur qualité poétique, cette manière d’impressionnisme de l’observation, aussi, qui élabore un art de la suggestion conciliant pragmatisme et raffinement. On discerne enfin une eurythmie entre une écriture discursive, comme argumentée par des faits historiques, et un sens inné de la musicalité.
Certains ont dit de Marie-Claire Blais qu’elle absorbait la souffrance des autres. L’écriture lui sert-elle à exorciser ce trop-plein d’empathie, si trop-plein il peut y avoir ? « Le monde est ainsi fait. Il y a ceux qui n’ont aucune empathie et ceux qui ressentent pour d’autres. Il y a toutes ces grandes injustices et toutes ces petites lâchetés, qui font parfois plus mal encore. L’écriture est une délivrance », dit-elle. Marquée au sceau de la sensitivité, l’œuvre est empreinte d’un lyrisme dont on respire à fleur de style l’intensité mystique. La réceptivité de Marie-Claire Blais et sa manière d’humilité, sui generis, servent de bon droit la singulière herméneutique humaniste d’une œuvre aussi volumineuse que dense. Face à la trajectoire chaotique du monde, sa nature stochastique que nombre d’intellectuels tentent aujourd’hui d’interpréter, elle oppose quelque chose qui se situe bien au delà du lyrisme : un chant. Son plain-chant.
On a souvent qualifié l’écriture de Marie-Claire Blais de polyphonique et nombreux sont ceux qui ont vu dans cette trilogie blaisienne une parfaite illustration de sa rhétorique contrapuntique : il semble plutôt que dans cet ample monologue intérieur s’épanouit une musicalité épurée qui n’est pas sans rappeler l’art de la monodie. L’oralité du style, proche de la mélopée, lui donne la tonalité incantatoire d’un rituel. Certes, de prime abord, l’abondance des personnages peut laisser croire à une multiplicité des voix ; de fait, la seule voix qui se dégage au final est bien celle de leur chantre, enchanteresse qui les enthousiasme au sens premier, leur confère ce divin souffle de vie.
Outre la musicalité du verbe lui-même, les allusions directes à la musique sont fréquentes dans Augustino et le chœur de la destruction : Giacomo Puccini, « un musicien sentimental qui avait si bien compris les femmes », César Franck, Benjamin Britten ou encore Olivier Messiaen dont Marie-Claire Blais évoque en entrevue la « vision céleste. Beaucoup de compositeurs, en parlant de la fin de la vie, ont évoqué le passage. Lui seul, je crois, a su parler de l’arrivée, de l’après ». Une interprétation qui lui fait écrire un des plus beaux passages d’Augustino: « […] c’était un musicien pieux, croyant, un emporté de la foi […] il aurait mieux valu qu’il ne soit que ce compositeur magnifiquement doué, que son lyrisme ne soit que ce souffle de la beauté brève mais ce n’était pas là la croyance ou ce qu’il pressentait de notre passage, au chant de l’oiseau se réveillant dans le bruissement des feuilles, à ce sifflement éclaté de la joie, le compositeur osait insinuer, insistant parfois, qu’il y avait un au-delà, des cités, des couleurs, un royaume divin, quelque part, il allait jusqu’à décrire dans ses prophéties harmoniques des couleurs, des aubes […] ». Un pur enchantement tandis qu’ailleurs, « dans un camp de la mort, à Terezin, un chœur d’hommes et de femmes émaciés chantaient pour des bourreaux très connaisseurs de la musique un autre requiem, de Verdi ou de Mozart, le requiem de leur propre ensevelissement, une musique dans laquelle ils seraient inhumés, ensevelis vivants […] ».
On ne redira jamais assez combien est constitutive de l’humanité la fonction cathartique de l’art. Tout spécialement chez Marie-Claire Blais qui par cette célébration opère une sorte de renversement du pessimisme. On a beaucoup (trop) parlé de la noirceur des œuvres de Marie-Claire Blais. Mais c’est la nitescence qui émane de ses pages plutôt que l’obscurité, l’espérance plutôt que la désolation. Il ne semble pas y avoir chez elle de paradoxe entre la puissance créative de l’homme et sa fragilité existentielle mais au contraire une perspective synchronique qui conjugue notre part d’ombre et nos faiblesses à la lumineuse promesse d’une grâce. Marie-Claire Blais ne cherche pas à restituer le monde, pas davantage à l’expliquer, d’ailleurs. Mais elle parvient, par ce singulier procédé d’héliotropisme positif dont vivent les hélianthes, à recueillir les sources de lumière, à capter la plus infime lueur comme la plus étincelante beauté.
Le mouvement vers la fin
Dans Augustino et le chœur de la destruction, tout comme dans La foudre et la lumière et dans Soifs, l’unicité de la voix sert à merveille la multiplicité des événements et des personnages. Ce monumental triptyque où se croisent sur une dizaine d’années une centaine de personnages s’affirme comme une épure du monde et de l’humanité, de cette humanité imprégnée de grandes injustices et de petites lâchetés, d’infinies espérances et d’aspirations éphémères. Celles de Renata, de Petites Cendres, de Carlos, de Vénus, de Daniel, de Caroline, et de tant d’autres personnages que l’on ne se résout pas à quitter. C’est Augustino, ce jeune homme qui veut devenir écrivain quand tout le monde veut l’en dissuader, qui donne son titre au troisième volet de la trilogie : « […] parce qu’il est le porteur de la vie future. Parce qu’il veut écrire. Et parce qu’il est préoccupé par l’avenir, qu’il a une conscience mais qu’il reste serein », explique Marie-Claire Blais. Quand on lui demande quels sont ses personnages préférés, si elle en a, Marie-Claire Blais répond qu’elle « aime beaucoup les plus jeunes » Car, ajoute-t-elle dans un sourire, « ce sont de futurs livres » ! Elle avoue dans le même souffle se « sentir proche, au sens de la curiosité, de Renata, et de Mélanie aussi », deux grandes sensibilités.
Et toujours, en filigrane, le sentiment de ne pas avoir réussi, même chez ceux dont on estime qu’ils eurent une vie parfaitement justifiée ; ainsi en est-il de Marie Curie « qui se jugeait si ordinaire » et que la gloire n’a pas réussi à corrompre. Il y a Mère, aussi, qui a beaucoup évolué depuis Soifs, bourgeoise à la conscience un peu étriquée devenue une vieille dame digne et imposante dont on fête l’anniversaire, à la fois explosion de vie et solennité face à l’approche de la mort, mais qui a « perdu cet espoir de jamais devenir quelqu’un ». Entre renoncement et accomplissement, Mère voudrait tout recommencer. « Tout est consommé mais est-ce que cela suffit ? », dit à son propos Marie-Claire Blais ; « […] elle a consacré beaucoup de son temps à la maternité. Et elle se sent maintenant à l’aube de sa vie. Et voilà qu’elle est fascinée par ce qu’elle n’a pas vécu ». C’est Mère qui pose et qui se pose la lancinante question : « Qu’était-ce qu’une vie réussie ? » Question fondamentale à notre époque moderne, sécularisée et désenchantée, qui semble avoir congédié le divin. Manière aussi, peut-être, de mettre dos à dos le matérialisme et les idéaux religieux, nationalistes ou politiques, pour tenter finalement de proposer une nouvelle doctrine humaniste, presque humanitaire. Car il ne fait aucun doute que Marie-Claire Blais est un être doué de compassion, non de cette compassion un peu mièvre dont la démagogie outrancière de notre civilisation veut à tous crins nous affubler, mais la compassion au sens étymologique du terme, cette jumelle de la sympathie. Ce sentiment qui porte à partager les maux d’autrui, et pour Marie-Claire Blais aussi à les écrire.
Au delà des mutations vécues par les personnages – progression pour certains ou régression pour d’autres –, il y a aussi la mort, leurs morts, qu’ils n’oublient pas, ancrée en eux comme un vade-mecum : ainsi en est-il de Jacques qui se meurt du sida dans Soifs mais dont on sent encore la présence spectrale dans Augustino et le chœur de la destruction. Dans ce dernier volet, animés par un aristotélicien principe entéléchique en vertu duquel ils portent en eux le mouvement vers leur propre fin, les personnages atteignent l’acmé de leur évolution. Et c’est là sans doute un des plus grands défis de l’écriture de ce troisième volume ; Marie-Claire Blais ne cèle pas la difficulté qu’il y a à structurer une œuvre d’une telle ampleur, à relier les multiples caractères entre eux, à établir une passerelle avec les deux volumes précédents. « Je retravaille beaucoup mes manuscrits originaux. D’abord j’écris un premier flot. Puis je retravaille. C’est cette deuxième étape qui est la plus longue. J’ai travaillé moins longtemps sur Augustino mais j’ai travaillé très fort. »
Une orfèvre inspirée
Lire Marie-Claire Blais, c’est infiltrer un macrocosme méticuleusement construit, habité par un authentique enchantement. C’est s’incliner devant un style reconnaissable entre tous, hiératique, qui grandit le lecteur. Même et surtout si c’est consentir une attention soutenue à la richesse de l’atticisme blaisien. Le théâtre de la condition humaine s’unit parfois à des accents plus intimistes, l’andante escortant l’allegro, pour former une prodigieuse palette de nuances. S’il exerce sa vigilance comme il le doit, le lecteur savourera la généreuse subtilité lexicale dont Marie-Claire Blais le comble, comme on fait une offrande, relevée d’un je ne sais quoi d’un peu orphique qui respire par moments de ce flux de vocables et d’incantations.
Marie-Claire Blais est un aède du beau phrasé. L’imparfait du subjonctif, si profitable pourrait-on dire à la concordance des temps, est un des délices de cette langue rare. Jouant simultanément de ce subjonctif, mode de la tension psychologique et de la subjectivité, et d’un lexique d’une remarquable opulence, la plume de Marie-Claire Blais édifie son œuvre avec l’aisance d’une habituée.
Aucune phrase ne fait moins de six pages. La moitié se terminent sur un point d’interrogation. Est-ce une façon d’interpeller le lecteur, de faire en sorte, comme Umberto Eco l’a magistralement montré dans Lector in fabula, que le lecteur contribue à donner vie et corps au texte par sa lecture active ? « On ne sait jamais ce que prend ou ce que retient le lecteur, répond Marie-Claire Blais. Ce que je peux dire, c’est que ces points d’interrogation ont été pensés. Peut-être disent-ils tout simplement qu’il n’y a pas de réponse. C’est ce dont souffrent, aussi, mes personnages. »
Paradoxe stupéfiant de générosité et d’humilité : de son propre aveu, Marie-Claire Blais, en orfèvre perfectionniste, polit, repolit et peaufine sans cesse sa partition, lui consacrant sans compter efforts et talent. Mais une fois qu’elle est publiée, elle offre avec libéralité ses joyaux à qui veut bien s’exposer à leur rayonnement, à tel point que, contrairement à beaucoup d’auteurs jaloux de leur « autorité », elle ne s’estime nullement trahie par la traduction et fait toute confiance aux traducteurs dont elle respecte éminemment l’œuvre de passeurs.
Marie-Claire Blais dit ne pas avoir de « livre jamais lu » : « Quand j’ai envie de lire un livre, je le lis ». Parmi les auteurs qu’elle aime et qu’elle se plaît à relire, il y a Virginia Woolf, James Joyce, Marcel Proust, Jean Genet et ce cortège de femmes pionnières, Radclyffe Hall, Simone Weil, qui symbolisent à elles seules la formidable explosion de l’écriture des femmes au XXe siècle. « C’est réconfortant et stimulant de les savoir là. Mais il faut rester vigilant car l’obscurantisme opère par endroits un retour en force. Et le monde est encore plein de gens modérément sexistes, modérément racistes, modérément dangereux. »
Dans un monde en perte de repères, où il faut toujours dire plus et toujours dire plus vite, où l’on oublie aussitôt ce que l’on a consommé et où la frivolité a la décadente utilité de l’emporter sur la profondeur, il éclôt néanmoins des œuvres promises à la pérennité. Elles ne sont pas faciles ; elle n’en sont que plus marquantes. Que les lecteurs de Marie-Claire Blais se consolent : le reproche d’hermétisme est souvent fait aux esprits les plus subtils. Dans sa pure immanence, le triptyque qu’elle vient de nous offrir sublime notre univers littéraire contemporain avant d’aller hanter les générations futures. Oui, vraiment, on peut se laisser aller à penser, comme Marguerite Yourcenar, qu’« il est des âmes qui nous font croire que l’âme existe ».
Œuvres de Marie-Claire Blais :
Romans : La belle bête, Institut Littéraire du Québec, 1959 (édition épuisée), Flammarion, 1960 (édition épuisée), Cercle du livre de France, 1968 (édition épuisée), Boréal, 1991 ; Tête blanche,Institut Littéraire du Québec, 1960 (édition épuisée), De l’Actuelle, 1977 (édition épuisée), Boréal, 1991 ; Le jour est noir,Du Jour, 1962, 1967, 1970 (édition épuisée), (précédé de L’insoumise) Grasset, 1971,Alain Stanké, 1979 (édition épuisée), Boréal, 1990 ; Une saison dans la vie d’Emmanuel, Du Jour, 1965, 1970, 1972 (édition épuisée), Grasset, 1966 (édition épuisée), Du Jour, édition de luxe, 1968 (édition épuisée), Quinze, 1976, 1978 (édition épuisée), Alain Stanké, 1980 (édition épuisée), Boréal, 1991, Seuil, 1996 ; L’insoumise,Du Jour, 1966, 1968 (édition épuisée), (précédé de Le jour est noir) Grasset, 1971,Alain Stanké, 1979 (édition épuisée), (précédé de Le jour est noir), Boréal, 1990 ; David Sterne,Du Jour, 1967 (édition épuisée), Alain Stanké, 1979, 1981 (édition épuisée), Boréal, 1999 ; Manuscrits de Pauline Archange, Du Jour, 1968 (édition épuisée), Grasset, 1968, Alain Stanké, 1981 (édition épuisée), Boréal, 1991 ; Vivre ! Vivre !, Du Jour, 1969 (édition épuisée), Alain Stanké, 1981 (édition épuisée), Boréal, 1991 ; Les apparences,Du Jour, 1971, 1972 (édition épuisée), Alain Stanké, 1981 (édition épuisée) ; Le loup, Du Jour, 1972 (édition épuisée), Alain Stanké, 1980 (édition épuisée), Boréal, 1990 ; Un Joualonais, sa Joualonie, Du Jour, 1973 (édition épuisée), Robert Laffont, 1974, Alain Stanké, 1979 (édition épuisée), Boréal, 1999 ; Une liaison parisienne, Stanké/Quinze, 1975 (édition épuisée), Robert Laffont, 1976, Quinze, 1976, 1981 (édition épuisée), Alain Stanké, 1982 (édition épuisée), Boréal, 1990 ; Les nuits de l’underground,Alain Stanké, 1978 (édition épuisée), Boréal, 1990 ; Le sourd dans la ville, Alain Stanké, 1979 (édition épuisée), Gallimard, 1980, Boréal, 1996 ; Visions d’Anna, Alain Stanké, 1982 (édition épuisée), Gallimard, 1982, Boréal, 1991 ; Pierre, Boréal, 1991 ; Pierre ou la guerre du printemps 81, Primeur, 1984 (édition épuisée), Belfond, 1986 ; L’ange de la solitude, VLB, 1989, Belfond, 1989, Typo, 1992 ; Soifs, Boréal, 1995, Seuil, 1996 ; Dans la foudre et la lumière, Boréal, 2001, Seuil, 2001 ; Écrire des rencontres humaines, Trois-Pistoles, 2002 ; Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, 2005, Seuil, 2005.
Théâtre : L’exécution, Du Jour, 1968 (édition épuisée) ; Fièvre et autres textes dramatiques, Du Jour, 1974 (édition épuisée) ; L’océan suivi de murmures, Quinze, 1977 (édition épuisée) ; Sommeil d’hiver, La Pleine Lune, 1986 (édition épuisée) ; La nef des sorcières, Quinze, 1977 (édition épuisée), Typo, 1991 ; L’île, VLB, 1988 ; Théâtre (recueil de textes),Boréal, 1998.
Poésie : Pays voilés, Garneau, 1964 (édition épuisée) ; Existences, Garneau, 1964 (édition épuisée) ; Pays voilés et Existences, De l’Homme, 1967 (édition épuisée), Alain Stanké, 1982 (édition épuisée) ; œuvre poétique,Boréal, 1997.
Récits :Les voyageurs sacrés, Hurtubise HMH, 1966, 1969 (édition épuisée), (précédé de L’exilé) coll. « Bibliothèque Québécoise », Leméac, 1992 ; Textes radiophoniques, Boréal, 1999.
Nouvelles : L’exilé (suivi de Les voyageurs sacrés), coll. « Bibliothèque Québécoise », Leméac, 1992.
Carnets : Parcours d’un écrivain, VLB, 1993 ; Notes américaines, Le Grand Miroir, 2002.
EXTRAITS
[…] la gloire n’avait pas corrompu Marie Curie, avait dit Einstein, mais comment cette gloire aurait-elle pu corrompre une femme qui se jugeait si ordinaire, qui jamais n’avait pensé à l’existence de cette gloire pour elle-même ? La notoriété était une affaire d’hommes, une dérisoire ambition qui ne la concernait pas […].
Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, p. 43.
[…] ce noble ascète de la poésie n’avait peut-être avec moi que cette affinité, par amour, il consentit à perdre son âme, si l’âme est la chair qui se soumet aux tortures de l’amour […].
Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, p. 67.
Ma chère grand-mère raffinée, ou si elle était toujours aussi tendre, n’était-ce pas dans un diaphane brouillard, se remémorant ce rêve, Augustino sentait couler les larmes sur ses joues, serait-ce vrai, un jour, que sa grand-mère ne serait plus près de lui, adorant son petit-fils autant qu’elle le contraignait, cette contrainte, impérieuse, pensait Augustino, de s’habiller pour dîner le soir […].
Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, p. 106.
[…] la vie de l’écrivain, du poète est un acte d’amour qui le consume, souvent le détruit, il aura fallu que la vie de Charles soit semblable à la vie de François René de Chateaubriand, une vie où tout ne fut qu’action pétrie d’écueils, bancs de sable ou récifs, action, voyages, carrière et création aussi bouillonnantes d’intensité charnelle que d’écorchures […].
Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, p. 123.
[…] il aimait que le cercle de la piscine ait une vue sur des palmiers nains et la mer, tout n’était alors que fluidité turquoise de l’eau et du ciel, soudain il croquait un fruit, mordillait la brindille d’une plante, se souvenant vaguement que Tchouan avait rapporté du Brésil la soie des rideaux, de Chine les pièces de porcelaine un peu trop exquises pour la chambre d’un homme […].
Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, p. 142.
Cette planche est gravée d’où rien ne peut plus être effacé, ni gestes, ni paroles, l’image m’exaspère car elle dure, dure, désordonnée ou cohérente, elle dure, se grave de la phosphorescence du passé, comme du présent, elle me voit avec exactitude comme je la vois, les lèvres de mes modèles s’entrouvrent pour dire, je vais vivre aujourd’hui et mourir demain […].
Augustino et le chœur de la destruction, Boréal, p. 158.
[…] elle cultivait les fleurs exotiques de l’amaryllis, de l’Amérique du Sud, dont les bulbes sont toxiques, le lys de la pluie, la plante grimpante du pandorea et sa blancheur immaculée, la tulipe africaine, les orchidées des Philippines, la fleur de la passion écarlate, ses pétales, tels des stigmates, le gardénia et l’étoile du jasmin blanc de l’Inde, la couronnes d’épines de Madagascar, stigmates, épines, pourquoi ces évocations de la souffrance dans le nom de ces fleurs, de ces plantes […] pourquoi le souvenir d’une si lointaine douleur sacrificielle eût-elle tant à peser sur le destin des hommes, quand donc l’humanité serait-elle enfin purifiée du sang de la crucifixion […].
Dans la foudre et la lumière, Boréal, p. 95.